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À Genève, la musique à l’honneur dans Tristan und Isolde de Wagner

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Genève. Grand Théâtre. 15-IX-2024. Richard Wagner (1813-1883) : Tristan und Isolde, opéra en trois actes sur un livret du compositeur. Mise en scène : Michael Thalheimer.  Décors : Henrik Ahr. Costumes : Michaela Barth. Lumières : Stefan Bolliger. Dramaturgie . Luc Joosten. Avec : Elisabet Strid, Isolde ; Gwyn Hughes Jones, Tristan ; Kristina Stanek, Brangäne ; Tareq Nazmi, König Marke ; Audun Iversen, Kurwenal ; Julien Henric, Melot ; Emanuel Tomljenović, Ein Hirt, Stimme eines jungen Seemanns ; Vladimir Kazakov, Steuermann. Choeur du Grand Théâtre de Genève (chef du choeur : Mark Biggins). Orchestre de la Suisse Romande. Direction musicale : Marc Albrecht

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Ouverture de la nouvelle saison du Grand Théâtre de Genève, avec une production du Tristan und Isolde de musicalement aboutie, malheureusement desservie par une mise en scène indigente dans un décor minimaliste.


Pour célébrer l'amour à l'opéra, les Italiens ont La Traviata de Verdi. Les Français ont Roméo et Juliette de Gounod. Les Russes ont Eugène Onéguine de Tchaïkovsky. Les Allemands ont Tristan und Isolde de Wagner. Ou du moins en théorie. La sublime musique de l'ouverture de l'opéra jouée devant un mur de capsules pour machine à café géantes est bientôt parasitée par l'apparition d'une femme titubant, tirant désespérément sur une corde sans fin, pour finalement s'écrouler de fatigue au milieu de la scène. Vêtue d'une robe blanche à volants telle une danseuse de flamenco, cette malheureuse hâleuse s'avèrera être Isolde. Elle est bientôt rejointe par sa servante Brangäne en habit de serveur de restaurant chic juchée sur une haute estrade glissant lentement, interminablement depuis les coulisses. Tiens donc ! c'est elle qui tenait l'autre bout de la corde. Voilà donc, à peu près, l'entier des éléments de décors et des accessoires dont et son équipe nous offrent pour illustrer ces trois heures et demie de musique wagnérienne. Diantre, nous allions oublier le philtre d'amour ! Isolde demandera qu'il soit versé dans la coupe d'or (In die goldene Schale), mais peut-être par souci d'économies, c'est un verre d'eau qu'apporte Brangäne. Qu'importe le flacon pourvu qu'on ait l'ivresse !

Décor minimaliste, scène vide de tous accessoires. Même l'épée avec laquelle Tristan a tué Morold, le fiancé de Isolde, et qu'il lui donne pour qu'elle puisse assouvir sa vengeance (War Morold dir so wert, nun wieder nimmt das Schwert.) n'apparait pas dans les mains du héros. Peut-être l'a-il oubliée en coulisses ? On l'aura compris, présente ce Tristan und Isolde de dans une grande économie de moyens scéniques. Encore que la note d'électricité de cette production risque d'être salée, les deux cent soixante capsules de machine à café (on a le temps de les compter !) s'avérant être autant de réflecteurs lumineux s'allumant jusqu'à l'éblouissement et s'éteignant progressivement en fonction des sentiments exprimés par les protagonistes sur scène. Et des sentiments, ils en proclament. A longueur de temps. Souvent face public. Certes, Tristan und Isolde de Wagner se résume dans le discours amoureux de deux amants. Dès lors, la scène, quelle qu'en soit l'ouverture, n'est occupée que par ces deux personnages. Il faut donc que cet immense espace scénique soit habité. Habité par la musique, certes. Par les mots, cela va de soi. Mais surtout par les chanteurs, les acteurs. Or, malheureusement, si la musique, le chant sont au rendez-vous, on peine à croire aux sentiments exacerbés, enflammés de l'amour de ce Tristan et de cette Isolde. Souvent distants, placés de part et d'autre de la scène, ils ne se regardent pas, ils ne se touchent pas. De plus, l'éclairage leur arrivant principalement dans le dos, la vision du spectateur en contre-jour permet mal de distinguer d'éventuels mouvements, regards ou mimiques. Dans ces conditions, difficile de ne pas égarer son propre regard de la scène. Sur la lecture des surtitres, comme sur le comptage des capsules.

Alors, reste la musique. L'orchestre. Le chant. Dieu, que tout cela est beau ! L'orchestre d'abord. Sous la direction de , l' épouse de belle manière la partition wagnérienne. Dosant le son de l'ensemble, le chef réussit à donner une pâte orchestrale qui enveloppe le chant d'une grande musicalité. C'est un velours dont on apprécie chaque note, avec pour apogée, l'ouverture du troisième acte que l'on peut goûter presque entièrement, devant le rideau fermé. Un moment de grâce absolue où se mélangent, dans un parfait équilibre, cordes et cuivres.

Le chant. Cette production bénéficie d'un plateau vocal de très bonne tenue. Du plus petit rôle jusqu'aux principaux protagonistes. Si la courte intervention du ténor Emmanuel Tomljenović (Un Berger) charme par le timbre de sa voix, le ténor de (Melot) s'affirme aussi bon comédien que chanteur. On retrouve avec bonheur le baryton (Kurwenal) qui s'était agréablement illustré lors des représentations du Grand Théâtre de Genève des Pêcheurs de perles de Bizet en décembre 2021 ici ayant sensiblement gagné en maturité vocale. Tout comme la basse Tariq Nazmi (Le Roi Marke) dont l'assise vocale reste impressionnante et musicale. De son côté, la mezzo-soprano (Brangäne) jouit d'une très belle présence vocale. On apprécie tout particulièrement la qualité de sa voix dans son intervention (certes sonorisée) depuis l'extérieur de la scène lorsqu'au second acte, elle met en garde les amants (Habet acht ! Habet acht ! Bald entweicht die Nacht)
Dans les rôles-titre, si la voix de la soprano suédoise (Isolde) nous sembe parfois manquer d'ampleur, voire de profondeur, il faut néanmoins souligner l'admirable de sa performance devant l'énormité du rôle. Si elle nous apparait très à l'aise lors du deuxième acte, son air final (Mild und leise) reste en deçà de ce qu'on attendait, la fatigue et les appréhensions naturelles de la Première pouvant être la cause de cette légère contre performance. La voix est là, nul doute que les prochaines représentations la verront triomphante jusqu'à la dernière note. Quant au ténor Gwen Hugues Jones (Tristan), il s'avère vocalement solide et parfaitement préparé à ce rendez-vous wagnérien. Tant au point de vue vocal qu'à celui de la diction. Peut-être aurions-nous désiré qu'il modère parfois ses élans vocaux pour mieux en soigner la musicalité. Lui aussi se révèle au meilleur de sa forme dans le deuxième acte, peut-être justement parce là, point n'est nécessaire de forcer le volume de l'instrument pour que l'âme s'exprime.

Crédit photographique : © GTG/Magali Dougados

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