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Maskarade de Nielsen par Tobias Kratzer : la vie et rien d’autre

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Carl Nielsen (1865-1931) : Maskarade, opéra-comique en 3 actes sur un livret de Vilhelm Rasmus Andreas Andersen d’après la comédie de Ludvig Holberg. Traduction en allemand : Martin G. Berger. Mise en scène : Tobias Kratzer. Décors et costumes : Rainer Sellmaier. Lumière : Joachim Klein. Chorégraphie : Kinsun Chan. Avec : Alfred Reiter, basse (Jeronimus) ; Susan Bullock, soprano (Magdelone) ; Michael Porter, ténor (Leander) ; Liviu Holender, baryton (Henrik) ; Samuel Levine, ténor (Arv) ; Michael McCown, ténor (Leonard) ; Monika Buczkowska, soprano (Leonora) ; Barbara Zechmeister, soprano (Pernille) ; Božidar Smiljanić, baryton-basse (Nachwächter/Meister) ; Danylo Matviienko, baryton (Vendeur de masques) ; Gabriel Rollinson, baryton (Professeur) ; Lars Rößler, basse (Sergent) ; Joël Stambke, soprano (Un petit marchand de fleurs ; Eui Kyung Kim, Malin Aldener, Julia K. Hesse, sopranos (Trois Jeunes filles) ; Dominic Stewart, Johannes Lehner, Florian Richter, ténors (Trois Etudiants) ; Yongchul Lim, basse (Le Portier). Chor der Oper Frankfurt (chefs des choeurs : Tilman Michael). Frankfurter Opern-und Museumorchester, direction : Titus Engel. Réalisation : Myriam Hoyer. Enregistré les 2 et 4 décembre 2021 à l’Opéra de Francfort. Sous-titrage allemand, anglais, japonais, coréen. 1 DVD Naxos. Notice bilingue (allemand, anglais) de 20 pages. Durée : 147:00

 
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L'Opéra de Francfort donne un sérieux coup de jeune au second opéra de avec la mise en scène de qui démontre au passage que minimalisme scénique peut rimer avec ambition esthétique.

Malgré son succès public immédiat (création en 1906 au Théâtre Royal de Copenhague) et durable (Maskarade y était encore joué le soir-même de la mort du compositeur en 1931), on ne peut pas dire que le dernier opéra de Nielsen encombre les scènes lyriques : aucune représentation en France à ce jour ! L'Opéra de Francfort a vu juste en ré-engageant après ses sensationnelles réalisations de Vasco de Gama (ex-L'Africaine) et de La Force du destin. Le metteur en scène allemand y fait à nouveau grand usage de la couleur blanche, mais cette fois dans un décor proche du minimalisme de son émouvant Guillaume Tell pour l'Opéra de Lyon.

Le blanc est partout : sur les costumes, de simples sous-vêtements pour Leander (le fils du maître de maison) et pour Henrik (le valet) ; sur le décor, un plateau sur le plateau, sorte de lit géant meublé d'un matelas, d'oreillers, entouré de quelques marches surmontées de portes tapies dans l'ombre, dont surgiront à chaque ouverture de brefs faisceaux de lumière. Peuplée de danseurs alanguis en fantasmes de rêves nocturnes, voilà la demeure « cossue » de Jéronimus, empêcheur de marivauder en rond qui a choisi lui-même la promise de son fils, et fait tout pour l'empêcher de se rendre à la mascarade où, la veille, ce dernier a rencontré l'âme-sœur. A la surprise générale, on découvrira au final que les deux jeunes filles ne sont qu'une !

Limpide et savoureux, surligné d'une musique délicieusement archaïsante, ce scénario malin prône sans fard le bonheur de vivre détaché des canons du puritanisme. La pièce originelle de Ludvig Holberg n'ambitionnait rien d'autre dans le Danemark de 1724, alors sous la vindicte d'un édit qui entendait interdire les bals populaires dans un royaume déjà arrosé de pluie onze mois sur douze (le livret rappelle cette désolante météo) ! Une philosophie hédoniste que s'empresse de rappeler à son tour dans un XXIᵉ siècle où les rigorismes de tout poil n'ont toujours pas relâché la pression. A peine secondé par Arv, son homme à tout faire, le sinistre Jeronimus sera forcé d'ouvrir les yeux, même sur sa propre femme, elle aussi tentée par la mascarade, par trop lassée d'une vie avec un tel bonnet de nuit de mari.

Au deuxième acte, le plateau nu fait office de rue séparant la demeure de la salle de bal. Le gris des costumes fait progressivement place à la couleur. Un maillot de corps sur lequel on peut lire Soyez qui vous voulez être révèle un veilleur de nuit qu'on croirait échappé des Maîtres-chanteurs en passeur vers le plaisir. Le troisième acte est le plus beau, avec ses portes pivotées en miroirs autour du plateau en piste de danse irradié de l'intérieur. C'est là, dans une orgie de couleurs pétaradantes, que Kratzer, avec l'humour et le sens du rythme qu'on lui connaît (les chorégraphies contemporaines ne jurent jamais avec la musique), fait tomber les masques jusqu'à un point d'orgue qui fera se terminer le spectacle exactement comme il a commencé. A un détail près : Leander se recouche, mais, cette fois, pas seul.

On attendait de la direction roborative de , la légèreté mozartienne que Nielsen avait défendue dans son essai Mozart et notre temps. Mais cela tient à l'œuvre, conçue pour grand orchestre, comme cinq ans après, Le Chevalier à la rose, lequel, dans la même optique néo-classique, ne chaussait pas lui non plus les semelles les plus légères. Le filmage est bon mais l'oreille doit se résigner à la version allemande et l'œil à l'absence de sous-titres-français. On attendait aussi du « méchant » (racheté in extremis par Kratzer) une noirceur à la Hagen, quand , un peu raide physiquement, n'est qu'efficace. Le Leonard solide de s'amuse beaucoup. Entendu récemment à Bregenz, Liviu Holender était déjà ce parfait Henrik au côté du Leander bien assuré de . Tout aussi adeptes du déhanchement que ces derniers, la Leonora de , la Pernille de , et la très amusante Magdelone (rôle qui convient parfaitement à ce stade de sa carrière à cette ex-Brünnhilde) tiennent la dragée haute à cet opéra qui écoute surtout les hommes.

« La musique est la vie, et la vie est inextinguible », disait Nielsen. Au finale, dans un dernier geste esthétique, Kratzer déshabille tout son monde, et c'est en sous-vêtements immaculés que chacun vient saluer. On ne pouvait mieux, à la barbe des tristes sires, enfoncer le clou de cette revigorante ode à la vie.

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Carl Nielsen (1865-1931) : Maskarade, opéra-comique en 3 actes sur un livret de Vilhelm Rasmus Andreas Andersen d’après la comédie de Ludvig Holberg. Traduction en allemand : Martin G. Berger. Mise en scène : Tobias Kratzer. Décors et costumes : Rainer Sellmaier. Lumière : Joachim Klein. Chorégraphie : Kinsun Chan. Avec : Alfred Reiter, basse (Jeronimus) ; Susan Bullock, soprano (Magdelone) ; Michael Porter, ténor (Leander) ; Liviu Holender, baryton (Henrik) ; Samuel Levine, ténor (Arv) ; Michael McCown, ténor (Leonard) ; Monika Buczkowska, soprano (Leonora) ; Barbara Zechmeister, soprano (Pernille) ; Božidar Smiljanić, baryton-basse (Nachwächter/Meister) ; Danylo Matviienko, baryton (Vendeur de masques) ; Gabriel Rollinson, baryton (Professeur) ; Lars Rößler, basse (Sergent) ; Joël Stambke, soprano (Un petit marchand de fleurs ; Eui Kyung Kim, Malin Aldener, Julia K. Hesse, sopranos (Trois Jeunes filles) ; Dominic Stewart, Johannes Lehner, Florian Richter, ténors (Trois Etudiants) ; Yongchul Lim, basse (Le Portier). Chor der Oper Frankfurt (chefs des choeurs : Tilman Michael). Frankfurter Opern-und Museumorchester, direction : Titus Engel. Réalisation : Myriam Hoyer. Enregistré les 2 et 4 décembre 2021 à l’Opéra de Francfort. Sous-titrage allemand, anglais, japonais, coréen. 1 DVD Naxos. Notice bilingue (allemand, anglais) de 20 pages. Durée : 147:00

 
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