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Madama Butterfly à l’Opera Ballet Vlaanderen : sous le regard noir de l’Autre

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Anvers. Opera Ballet Vlaanderen. 8-IX-2024. Giacomo Puccini (1858-1924) : Madama Butterfly, tragédie japonaise en trois actes sur un livret de Luigi Illica et de Giuseppe Giacosa, d’après la pièce de théâtre de John Luther Long, la nouvelle de David Belasco et le roman « Madame Chrysanthème » de Pierre Loti. Mise en scène : Mariano Pensotti. Scénographie, décor et costumes : Mariana Tirantte. Lumières : Alejandro Le Roux. Vidéos : Juan Fernandez Gebauer et Raina Todoroff. Avec : Celine Byrne : Cio-Cio San – Madama Buterfly ; Lotte Verstaen : Suzuki ; Ovidiu Purcel : F.B. Pikerton ; Mathilda Sidén Silfver : Kate Pinkerton et la madre di Cio cio San ; Vincenzo Neri : Sharpless ; Denzil Delaere : Goro ; Hugo Kampschreur : Il Principe Yamadori ; Nika Guliashvili : Bonzo ; Yu-Hsiang Hsieh : Yakuside ; Mikhail Golovushkin : il commissario imperiale ; Kwanhee Park : l’Ufficiale del registro ; Herlinde Van Den Bossche : Lazia ; Jennifer Coleman : la cugina hoeurs de l’Opera Ballet Vlaanderen, chef de choeurs : Jef Smits. Orchestre symphonique de l’Opera ballet Vlaandern, direction : Daniela Candillari

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En ce centenaire de la mort de Puccini, l'Opera Ballet Vlaanderen ouvre sa saison avec la production de Madama Butterfly, dans l'épurée et interrogative mise en scène de .

Comment mettre en scène aujourd'hui Madama Butterfly ? apporte une réponse originale, sensible et intelligente, en imaginant un « double » inversé de Cio-Cio San, une héroïne qui nous est narrée parallèlement à l'opéra, par bribes et par le biais de surtitres ou des vidéos de Juan Fernadez Gebauer et de Raina Todoroff (dont une poétique vision nocturne d'une Nagasaki noyée sous un typhon en contrepoint du vaste intermezzo symphonique du troisième acte). Nous suivons ainsi la triste biographie de la scénographe et photographe imaginaire Maïko Nakamura amenée à mettre en scène Madama Butterfly et décidant de rompre avec les clichés occidentaux à l'égard de son pays natal. Si cette mise en abyme peut sembler au départ besogneuse, elle nous captive au fil de l'action, et nous invite à une réflexion tant sur la place de la femme dans toute société, archétypale ou prétendument moderne, que sur la différence vécue comme une profonde fracture intérieure, sous le regard lourd de sens (ou même de reproches) de l'autre.

Les destins de Madama Butterfly et de son « double » suivent des courbes antiparallèles  ayant un même point de départ – le lieu de naissance : Nagasaki – et une même fin : le suicide. Nous vivons donc deux tragédies de la rupture culturelle, voire du déracinement avec une Cio-cio San occidentalisée dans un Japon de tradition multiséculaire attendant le retour d'un Pinkerton traître et décevant, là où Maïko, à la destinée juste évoquée par entrefilets, épouse d'un Français égoïste et absent, tente en vain de retrouver l'essence même de son lointain pays natal.

Les gestes de chaque protagoniste sont ritualisés avec parcimonie, et pareillement les allusions au pays du Soleil Levant sont ponctuelles et symboliques, tel ce cerisier stylisé et dénudé, suspendu aux cintres et larguant de bien funestes pétales mi-dorés mi-noirâtres sur le proscénium.

La scénographique  et les costumes de sont intégralement pensés en noir et blanc, sous les éclairages quasi chirurgicaux mais subtilement changeants d'Alejandro Leroux. Cio-Cio San abandonne une sorte de volumineux kimono noir au terme des noces du premier acte, pour une tenue intime mixant, comme celle de son fils, les deux couleurs opposées au fil du second, avant de revêtir une tenue de ville immaculée, au final, faisant d'elle, ainsi occidentalisée, une quasi-jumelle de Mrs Pinkerton.

De même la maison centrale sert de leitmotiv visuel, irradiante sous ses féériques lamellés aluminiques exaltant la lune de miel à la fin du premier acte, puis passée au crible des rayons X au second acte. Il ne reste, pour le final tragique, de cette demeure fragile que son ombre de jais, inversée et funestement suspendue au plafond, tel un obscur tombeau céleste. Les éléments dramaturgiques et visuels ajoutés par petites touches, contribuent à l'emboîtement millimétré des deux récits.

Pour cette production, donnée en 2021 à l'Opéra du Rhin, l'Opera ballet Vlaanderen a misé sur une double distribution pour les principaux rôles. En cette après-midi de première, c'est une joie réelle de retrouver en Cio-Cio-San la soprano dramatique qui voici deux ans avait conquis le public bordelais dans le rôle en le reprenant quasi au pied levé. Elle réussit par sa fraîcheur scénique et ingénue, à rendre crédible au premier acte son incarnation d'une adolescente énamourée même si çà et là on peut lui reprocher quelques défauts d'intonation. Mais nous ne pouvons que rendre les armes devant la science éprouvée du legato et une imparable couverture des aigus au fil d'un « Un bel di vedremo » d'anthologie ou d'un « Che tua madre » à tirer les larmes. Par son impalpable simplicité, elle refuse tout effet vériste facile et restitue dans la simplicité toute la dimension tragique de son personnage au gré du « Tu, tu piccolo idio » ponctuant quasi l'ouvrage et scellant le destin de l'héroïne.

Face à elle, le Pinkerton plutôt protocolaire et très droit du ténor apparaît en net retrait : certes, le registre est idoine, les intentions sont plutôt bonnes, mais toujours sur le fil et sur la réserve et le timbre, par trop nasillard, manque de chaleur conquérante ou velléité félonne ou narquoise. La mezzo , lauréate de la MM Academy de La Monnaie, et membre du Studio de l'Opéra de Cologne, est irréprochable vocalement et s'impose en Suzuki par sa vocalité altière, et par l'évidence de sa présence scénique sise entre empathie et contrition.

Le Sharpless, à la fois tonique et humainement ravagé, du baryton n'est pas en reste : il s'avère d'une ductilité vocale des plus convaincantes, et donne à son personnage pourtant « officiel » toute l'épaisseur pathétique requise, notamment au fil d'un insoutenable troisième acte. Mentionnons l'excellent dans le rôle de l'ambivalent entremetteur Goro ou l'incarnation impressionnante de prestance et d'autorité de en monolithique oncle bonze. est parfaite pour ses quelques menues interventions – tant en Mrs Pinkerton qu'en mère de CioCio San. Par contre le Yamadori du ténor nous semble bien pâle et timoré. Le reste de la distribution est plus que satisfaisant.

Il convient de souligner la qualité insigne des chœurs, certes aux interventions limitées mais d'autant plus délicates (la final à bouche fermée de l'acte II), très bien préparés par Jef Smits. Et surtout il faut saluer à la tête de la très solide phalange de la maison d'opéra flamande, la direction toute de clarté efficace et de ductilité lyrique de Daniela Candiallari, régulièrement invitée par le New York Philharmonic ou l'orchestre Métropolitain de Montréal, et cheffe titulaire de l'Opéra de Saint Louis. Elle convainc tant par le soin apporté à la réalisation des nombreux et délicats détails de la partition que par sa vision dramatique d'ensemble : l'action musicale est menée avec conséquence et engagement, avec un remarquable souci de la cohésion des tempi, et une assez exemplaire coordination entre scène et fosse.

Crédits photographiques  et les choeurs  à l'acte I ; et son ombre lumineuse acte II ; Celine Byrne et (acte II) ; Celine Byrne et (acte III) ; Ovidiu Ourcel et ( acte I) © OBV/Annémie Augustijns

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Anvers. Opera Ballet Vlaanderen. 8-IX-2024. Giacomo Puccini (1858-1924) : Madama Butterfly, tragédie japonaise en trois actes sur un livret de Luigi Illica et de Giuseppe Giacosa, d’après la pièce de théâtre de John Luther Long, la nouvelle de David Belasco et le roman « Madame Chrysanthème » de Pierre Loti. Mise en scène : Mariano Pensotti. Scénographie, décor et costumes : Mariana Tirantte. Lumières : Alejandro Le Roux. Vidéos : Juan Fernandez Gebauer et Raina Todoroff. Avec : Celine Byrne : Cio-Cio San – Madama Buterfly ; Lotte Verstaen : Suzuki ; Ovidiu Purcel : F.B. Pikerton ; Mathilda Sidén Silfver : Kate Pinkerton et la madre di Cio cio San ; Vincenzo Neri : Sharpless ; Denzil Delaere : Goro ; Hugo Kampschreur : Il Principe Yamadori ; Nika Guliashvili : Bonzo ; Yu-Hsiang Hsieh : Yakuside ; Mikhail Golovushkin : il commissario imperiale ; Kwanhee Park : l’Ufficiale del registro ; Herlinde Van Den Bossche : Lazia ; Jennifer Coleman : la cugina hoeurs de l’Opera Ballet Vlaanderen, chef de choeurs : Jef Smits. Orchestre symphonique de l’Opera ballet Vlaandern, direction : Daniela Candillari

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