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L’artisanat furieux de György Ligeti selon Pierre Bleuse et l’Intercontemporain

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György Ligeti (1923-2006) : concertos pour violon, pour violoncelle et pour piano et orchestre ; concerto de chambre pour treize instrumentistes ; due capricci pour piano ; cinq pièces de jeunesse pour piano à quatre mains; sonate pour alto solo ; trio pour violon, cor et piano. Hae Sun Kang, violon ; Renaud Déjardin, violoncelle ; Dimitri Vassilakis, piano ; Sébastien Vichard, piano ; John Stulz, alto ; Diego Tosi, violon ; Jean-Christophe Vervoitte, cor. Ensemble Intercontemporain, direction : Pierre Bleuse. Un double CD Alpha. Enregistré en la Cité de la Musique de Paris en février (cd2), avril (concertos pour violoncelle et piano) et octobre (concerto pour violon) 2023. Texte de présentation et interview en français, anglais et allemand. Durée : 2:21:32

 
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Pour son premier enregistrement en qualité de nouveau directeur musical de l', frappe un grand coup avec ce vaste portrait musical tantôt concertant tantôt chambriste de : une sélection établie sur cinquante années de création.

Cette anthologie en deux CD met à contribution, outre la magistrale prise en main artistique de l'ensemble par le chef français, le fabuleux talent de nombreux solistes issus de la phalange parisienne : mieux même, elle établit de nouvelles références au sein d'une discographie pourtant déjà riche.

Car au-delà de la relative disparité des œuvres sélectionnées, se révèle le profonde unité du parcours du compositeur : sources magyares, motrices des cinq juvéniles opus pour piano à quatre mains (1942-50), et irrigant souterrainement la Sonate pour alto seul, un demi-siècle plus tard, pratique de la micropolyphonie (Concerto de chambre datant de 1969-70) débouchant sur des macrostructures littéralement « inouïes », nouvelle conception du corps sonore redéfinissant le cadre concertant (Concerto pour violoncelle de 1966), travail intense sur la complexité rythmique (Concerto pour piano, de 1985,  écrit dans le prolongement du premier livre d'études pour clavier) sise au carrefour des cultures (Concerto pour violon, 1990-92, puisant son inspiration dans le hoquetus médiéval, les traditions africaines subsahariennes ou …la Quatrième symphonie de Chostakovitch)

, par une mise en place peaufinée dans ses moindres détails, à la tête d'un en grande forme et magnifiquement capté à la Cité de la Musique, exalte au gré des partitions, la précision quasi mécanique du discours (troisième mouvement  du Concerto de chambre, temps extrêmes du Concerto pour piano), la poésie fulgurante du son nouveau (premier temps du Concerto pour violoncelle, donné ici une optique très  » Scelsi »), ou encore l'esthétique haletante des grillages motiviques (mouvements extrêmes du Concerto de chambre, et du Concerto pour piano). Mais chef et musiciens transcendent tous ces procédés scripturaux sophistiqués et rendent à cette musique somptueuse par le truchement d'un artisanat furieux – pour évoquer René Char – toute son expressivité tantôt ruptrice tantôt narquoise, avec cette alternance, si caractéristique du compositeur, entre jubilatoire effervescence (les « fusées » sonores de l'intermezzo du Concerto pour violon) et désolation prostrée (l'âcreté désertique du deuxième temps du Concerto pour piano ou du Concerto de chambre ou les lamenti semi-parodiques des ocarinas au gré du Concerto de violon).

La présente réalisation n'est pas en reste côté solistes, en pleine communion avec un chef très concerné. défend toutes les ambiguïtés du Concerto pour violon avec l'éloquence d'une réelle tragi-comédienne : elle place de la sorte la partition entre sourires sibyllins et nostalgie lacrymale. Les traits virtuoses semblent ainsi issus du geste soliste romantique, par une  irrépressible expressivité et une maîtrise instrumentale phénoménale. Sa vision altière et intense mais parfois aussi sardonique dans le finale se hisse au sommet d'une discographie assez fournie ; une version assez unique de surcroît agrémentée de la très belle cadence composée à l'occasion de cette « tournée du centenaire » par , recyclant avant la coda finale, les principaux jalons motiviques de l'œuvre dans un parfait esprit de continuité et de synthèse stylistiques.

se joue des terribles difficultés techniques du Concerto pour violoncelle en totale et immersive communion avec le dense tissu instrumental qui l'encadre. Difficile de départager au gré de ce nouvel enregistrement , très propre et impliqué, de ses tout aussi probes prédécesseurs au sein de l'EIC.

On peut sans doute regretter que le second disque, après une version assez splendide d'engagement et d'âpreté timbrique du Concerto de chambre, n'ait pas été complété par les deux concerti de Ligeti manquant à l'appel (le fluorescent Double pour flûte, hautbois et orchestre de chambre et le très inattendu et quasi baroque Hamburgische konzert pour cor, quatre corps naturels et petit orchestre, demandant tous deux sans doute des extensions trop spécifiques à l'EIC  dans le cadre imparti à cette production).
L'on a donc complété ce double album par un panel d'œuvres de chambre de diverses époques, sans trop de souci chronologique. Les deux Capricci de 1947 dédiés pour piano dédiés à Maria Kurtag ont un intérêt plutôt documentaire, même défendus par un ardent , rejoint par pour les cinq pièces pour piano à quatre mains – réhabilitées quarante ans après leur composition – dont certains fragments seront recyclés dans Musica riccercata 0u les Bagatelles pour quintette à vents.

Autrement plus substantiels sont les deux ultimes compléments de programme. La sonate pour alto (19p1-94) est écrite dans l'esprit de la partita baroque avec ses six mouvements,  elle « détempère » en quelque sorte l'accord de l'instrument, les intervalles et  les lignes mélodiques (Hora Lunga) dans l'esprit d'un folklore hongrois imaginaire ou revisité (Facsar, Lamento). en donne ici une version plus âpre de sonorité, par un son plus vibré et une attaque très tranchée de la corde, par cette rusticité retrouvée, moins sûre d'intonation, l'œuvre se rapproche peut-être davantage de la sève populaire, du folklore transylvain ou de l'héritage du maître Sandor Veress  alors récemment disparu auquel Ligeti entendait rendre aussi hommage.

Un autre grand classique referme ce somptueux double album, le Trio pour cor violon et piano, reprenant la formule bien connue de l'opus 40 de Brahms et sans doute l'opus ligetien le plus enregistré à ce jour. La présente version réunit, outre le décidément excellent , déjà évoqué, au piano, les remarquables au violon et au cor. Il est intéressant de comparer la gravure nouvelle venue avec celle réalisée voici presque quarante ans, par d'autres solistes de l'EIC  de la « première génération » (Maryvonne Le Dizès, qui vient de disparaître, Jacques Deleplancque et Pierre-Laurent Aimard – Erato à rééditer). La nouvelle venue gagne en liberté rythmique et agogique (vivacissimo molto ritmico) en souplesse et en liberté de ton (le lamento pathétique final). Cette nouvelle version, au geste très authentique par delà toute maîtrise instrumentale, apparait comme une libre réinterprétation d'un retour au romantisme le plus noir, voire désespéré.

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György Ligeti (1923-2006) : concertos pour violon, pour violoncelle et pour piano et orchestre ; concerto de chambre pour treize instrumentistes ; due capricci pour piano ; cinq pièces de jeunesse pour piano à quatre mains; sonate pour alto solo ; trio pour violon, cor et piano. Hae Sun Kang, violon ; Renaud Déjardin, violoncelle ; Dimitri Vassilakis, piano ; Sébastien Vichard, piano ; John Stulz, alto ; Diego Tosi, violon ; Jean-Christophe Vervoitte, cor. Ensemble Intercontemporain, direction : Pierre Bleuse. Un double CD Alpha. Enregistré en la Cité de la Musique de Paris en février (cd2), avril (concertos pour violoncelle et piano) et octobre (concerto pour violon) 2023. Texte de présentation et interview en français, anglais et allemand. Durée : 2:21:32

 
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