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À Stavelot, une resplendissante et protéiforme Gwendoline Blondeel

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Festival de Wallonie à Stavelot, en la salle du Réfectoire des Moines de l’Ancienne Abbaye.

1-VIII-2024. Jean-Luc Fafchamps (né en1960) : Le bestiaire périmé. Jean-Philippe Rameau (1683-1764) : la Poule, Le rappel des Oiseaux, extrait des suites de clavecin ; Louis-Antoine Dornel (ca 1680-après 1756) : Suite op. 1 n° 3, extraite du livre de symphonies contenant six suites en trio ; Mr de Mongaultier (1730?-1773?) : extraits des cantates Les Adieux de la Mélancolie, et Le réveil de Vénus ; François Francoeur (1698-1787) : Scanderger, extrait. Gwendoline Blondeel, soprano ; Le consort : Justin Taylor, clavecin et direction ; Théotime Langlois de Swarte et Sophie de Bardonnèche, violons ; Louise Pierrard, viole de gambe.

10-VIII-2024 : Franz Schreker (1878-1934) : Der Wind, pour violon, violoncelle, cor, clarinette et piano ; Cart Frühling (1868-1937) : trio en la mineur op. 40 ; Franz Schubert (1797-1828) : Der Hirt auf dem Felsen op. 129, D.965 ; Johannes Brahms (1833-1897) : trio pour violon, cor et piano en mi bémol majeur op. 40. Gwendoline Blondeel, soprano ; Ensemble Kheops : Ayako Tanaka, violon ; Marie Hallynck, violoncelle ; Ronald van Spaendonck, clarinette ; Jean-Pierre Dassonville, cor ; Muhiddin Dürrüoğlu, piano

La jeune et talentueuse soprano est, pour cette édition 2024, artiste associée de la fédération des festivals de Wallonie : celui de Stavelot l'invite en ce mois d'août pour deux concerts contrastés et très réussis, tous deux inspirés par la thématique commune « Nature ».

La programmation, concoctée par Jérôme Lejeune – le fondateur du label Ricercar – , est conçue selon plusieurs axes : centenaire de la mort de Gabriel Fauré, carte blanche à l'altiste Gérard Caussé, masterclasses sous la houlette entre autres du quatuor Zemlinsky. Mais ce sont les deux concerts où est invitée  qui retiennent toute notre attention

Avec Le Consort, le Bestiaire périmé de face à l'art déclamatoire du Grand Siècle français.

Le jeudi premier août, le concert matinal, donné en compagnie des quatre musiciens du Consort ( au clavecin, Théotime Langlois de Swarte et au violon, à la viole de gambe), propose la version définitive du Bestiaire périmé du compositeur belge Jean-Luc Fafchamps : cette cantate, fruit d'une commande des festivals de Wallonie voici trois ans, avait été créée dans une version partielle par le même ensemble et une autre soprano belge du répertoire baroque français, Déborah Cachet, puis donnée en création mondiale dans sa version définitive en juin dernier au Festival Musiq3 par nos interprètes du jour.


Le compositeur, également auteur des textes, imagine ici une sorte d'apocalypse des animaux, projetée dans un quart de siècle, inventaire des ravages occasionnés par l'Homme peu soucieux de son environnement et de la biodiversité : le prologue « mardi 3 août 2049 au jardin » voit la soprano soliste s'extasier devant quelques insectes survivants (car, en 2024, 40% de la masse des insectes a déjà disparu en Europe en moins de 20 ans !) ; le cycle se poursuit entre souvenir des bêtes fantastiques de la mythologie dont l'ornithorynque serait l'immanente représentation, et espèces éradiquées par l'Homo sapiens – depuis la saveur du Dodo mauricien, oiseau exterminé voici deux siècles  jusqu'à l'évocation de la panthère nébuleuse de Taïwan massacrée pour son pelage, en passant par le Journal du Loup – inventaire de la disparition depuis un bon siècle de douze sous-espèces de ces canidés. Pour cette nouvelle version, plus étendue, le compositeur a ajouté deux numéros : Pauvre Georges – sorte d'hommage à la dernière tortue mâle géante de Pinto, « el solitario Jorge », à la mort de laquelle on a surgelé ses gonades dans l'espoir d'une possible reproduction croisée avec les espèces des Galapagos, et « Ça c'est fait » regard ironique de Dieu sur sa création humaine, et du compositeur rétrospectivement sur tout son cycle vocal ! Jean-Luc Fafchamps, pour corroborer musicalement son propos, fait assez génialement appel à un ensemble de musique baroque donc à des instruments anciens ou copies d'anciens « disparus » comme tels et à des techniques de jeux réhabilitées par la relecture des traités instrumentaux d'époque. Le langage se veut contemporain mais « post-moderne » aimant se souvenir et se jouer de ces multiples références passées. La voix y est traitée dans toute sa diversité quasi théâtrale de la déclamation opératique au sprechgesang le plus ravageur en passant par des tenues et vocalises sur des consonnes. L'on peut compter sur des interprètes aussi attentifs qu'impliqués, amusés des chausse-trappes de la partition. En particulier, la précision altière de la diction, la sens de la prosodie, le théâtre dans la voix de (à la très vaste tessiture, sollicitée autant dans le grave le plus guttural que dans le registre stratosphérique pour sa cadence finale) font plus d'une fois mouche. Le Consort lui apporte une réplique drue et incisive, mordante – Théotime Langlois de Swarte brisant même sa chanterelle à l'abord de la dernière page.

Pour pallier ce petit incident technique nécessitant un retrait à durée indéterminée du violoniste, prend la parole et propose en guise d'intermède totalement improvisé deux pièces avicoles de la Poule et Le rappel des Oiseaux. C'est un émerveillement de tous les instants, par la malice de l'accentuation agogique et de l'ornementation, pour la première, et par la tendresse de l'énoncé loin de toute vélocité précipitée trop souvent entendue pour la seconde. L'on peut retrouver dès lors l'ensemble au complet et en ordre de cordes pour une courte mais magnifiquement effusive et expressive suite en trio de .


La soprano belge nous revient pour deux cantates de salon aux vertus opératiques signées d'un mystérieux Monsieur , actif aux alentours de 1750 et parfait défenseur d'un genre illustré par bien des « petits maîtres » aujourd'hui oubliés œuvrant dans l'ombre d'un Pignolet de Montéclair ou d'un Clérembault : Les Adieux de la Mélancolie où la belle hésite entre les charmes de la solitude et les frasques incertaines de l'Amour, encadre un merveilleux air d'invocation au sommeil extrait d'une autre cantate Le réveil de Vénus du même compositeur : nos interprètes y sont idéaux d'adéquation stylistique et d'expressivité dramatique entre amertume et suavité.

Pour terminer le récital, c'est un plaisir que de retrouver, dans ce contexte plus chambriste et dans une acoustique plus sèche et précise, le fabuleux air de Roxane extrait du Scanderger, l'opéra de François Francoeur (écrit en collaboration avec François Rebel). Gwendoline Blondeel y donne davantage dans la véhémence contrite et courroucée, par une science déclamatoire éprouvée et une juste maîtrise de l'expressivité. Elle est une fois de plus admirablement soutenue par un Consort en forme décidément « olympique ». En bis, le célébrissime Lascia chio pianga extrait du Rinaldo de Haendel, est donné avec tout le doux recueillement requis et un exquis sens de la ligne vocale.

La Nature romantique germanique selon l'ensemble Khéops

L'ensemble belge Kheops est né en 2006, formé par la violoncelliste Marie Hallynck et le pianiste , avec le clarinettiste . Si la formule du trio avec clarinette demeure la colonne vertébrale du groupe (comme en témoigne par exemple leur récent et superbe disque paru chez Fuga Libera consacré à Brahms, Berg et Zemlinsky), le groupe se veut de géométrie très variable.

C'est un réel et immense plaisir de retrouver ce soir, outre le trio de base, deux autres excellents musiciens, la violoniste Ayako Tanaka, par ailleurs super-soliste auprès de l'Orchestre National de Lille, et le corniste , premier cor solo à l'Orchestre symphonique de La Monnaie.


Le programme allie répertoire bien connu et œuvres beaucoup moins courues toutes plus ou moins liées avec la thématique « Nature » du festival. Quelle aubaine de redécouvrir Der Wind (datant de 1909), destiné précisément au quintette instrumental réuni ce soir, fantasque poème chorégraphique de chambre de Franz Schreker, plutôt rarement programmé en nos contrées francophones : nos interprètes en magnifient, au-delà de la mise en valeur d'un intense travail motivique, l'esthétique quasi jugendstil alliant la sensualité impressionniste des premières pages, quasi ravéliennes, à une véhémence expressionniste au paroxysme de l'effroi au gré du grand crescendo central.

Le compositeur autrichien Carl Frühling, quasi oublié de notre côté du Rhin, et mort dans une misère noire dans le contexte d'inflation des années 1930, appartient à cette génération viennoise « fin de siècle » : il opère au fil de son Trio en la mineur, publié tardivement en 1925 mais probablement très antérieur de composition, une sorte de synthèse polystyliste entre divers courants antinomiques. Certes certaines tournures mélodiques du premier temps rappellent l'opus 114 de Brahms dédié à la même formation, mais elles sont souvent teintées d'un panchromatisme librement post-wagnérien (on pense plus d'une fois au meilleur de Max Reger au fil du magnifique et tendu Andante). Les trois musiciens « de base » de Khéops, aussi engagés qu'irréprochables, en soulignent  l'alternance entre larmes et rires, entre grand sérieux scriptural des mouvements impairs et légèreté de touche stylistique de l'humoristique et très viennois scherzo anmutig bewegt ou de l'ambigu et narquois allegro vivace final.


Après l'entracte, c'est un réel plaisir que de retrouver Gwendoline Blondeel, sa voix lustrale, sa prononciation claire et idéale de l'allemand, son exactitude du phrasé et son souci de la rhétorique du texte pour un Hirt auf dem felsen schubertien d'anthologie. Rarement, toute la section centrale, cœur névralgique de l'ouvrage, aura semblé aussi habitée d'une immatérielle et indicible sehnsucht, entre l'écho et l'imitation entre partenaires du Yodel de l'introduction, et avant les réjouissants couplets finals ici libératoires. La soprano y trouve des complices d'exception : s'avère un impérial accompagnateur de lieder, avec un sens inné de la discrète mais permanente relance du discours, et affiche, outre une sûreté d'intonation et une maîtrise du souffle à toute épreuve, une sidérante et coloriste palette dynamique, préfigurant ou imitant avec félinité les volutes vocales de sa sublime partenaire.

Le Trio pour violon, cor et piano de Brahms clôt avec à-propos ce somptueux programme. L'œuvre, on le sait, se veut hommage au père alors récemment défunt – associant au clavier ses deux instruments de prédilections – mais trouva aussi son inspiration tour à tour fraîche et sombre, voire cynégétique (pour le final), dans les longues balades en solitaire du compositeur au cœur de la Forêt Noire. Les crépusculaires paysages ardennais semblent pareillement inspirer nos interprètes de ce soir, rappelant les joutes d'autrefois, dans cette même œuvre, entre Arthur Grumiaux et le légendaire corniste Francis Orval. Certes, au violon Ayako Tanaka, très à l'écoute de ses partenaires, rieuse dans le scherzo et émouvante dans l‘adagio mesto, ne s'installe que progressivement dans l'œuvre, et manque peut-être un rien d'assurance lors du difficile exorde de l'andante liminaire. Mais le cor de , d'une incroyable sureté d'intonation, tour à tour velouté et onirique dans les mouvements lents impairs ou virtuose et truculent dans un étourdissant finale n'appelle que des éloges. Et une fois de plus, , décidément très sollicité toute cette soirée, impose, par sa faconde bien ordonnée et son sens de la réplique, une irréprochable hauteur de vue.

Notre pianiste, par ailleurs étonnant compositeur, propose comme bis, en guise d'au-revoir, son propre arrangement, réunissant tous les artistes convoqués ce soir, du célébrissime An der schönen, blauen Donau de Johann Strauss, d'après la version originale avec chœurs. C'est bien entendu Gwendoline Blondeel qui s'empare de la célèbre mélodie, mais la partition est totalement repensée, un peu dans la lignée des aménagements pour petit ensemble de ce répertoire de valses par Schoenberg, Berg ou Webern… avec ces cordes vif-argent, le cor enchanteur et la clarinette volubile (retrouvant par leur combinaison les sonorités diaprées d'un harmonium imaginaire) et un piano à nouveau souverain. Ainsi se conclut en beauté et dans la bonne humeur cette mémorable soirée chambriste.

Crédits photographiques: Gwendoline Blondeel et l', Jean-Luc Fafchamps et Jérôme Lejeune, Gwendoline Blondeel et Le Consort.
Kheops, et Gwendoline Blondeel, , Muhhidin Dürrüoğlu.
© Festival de Stavelot- Festivals de Wallonie.

 

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Festival de Wallonie à Stavelot, en la salle du Réfectoire des Moines de l’Ancienne Abbaye.

1-VIII-2024. Jean-Luc Fafchamps (né en1960) : Le bestiaire périmé. Jean-Philippe Rameau (1683-1764) : la Poule, Le rappel des Oiseaux, extrait des suites de clavecin ; Louis-Antoine Dornel (ca 1680-après 1756) : Suite op. 1 n° 3, extraite du livre de symphonies contenant six suites en trio ; Mr de Mongaultier (1730?-1773?) : extraits des cantates Les Adieux de la Mélancolie, et Le réveil de Vénus ; François Francoeur (1698-1787) : Scanderger, extrait. Gwendoline Blondeel, soprano ; Le consort : Justin Taylor, clavecin et direction ; Théotime Langlois de Swarte et Sophie de Bardonnèche, violons ; Louise Pierrard, viole de gambe.

10-VIII-2024 : Franz Schreker (1878-1934) : Der Wind, pour violon, violoncelle, cor, clarinette et piano ; Cart Frühling (1868-1937) : trio en la mineur op. 40 ; Franz Schubert (1797-1828) : Der Hirt auf dem Felsen op. 129, D.965 ; Johannes Brahms (1833-1897) : trio pour violon, cor et piano en mi bémol majeur op. 40. Gwendoline Blondeel, soprano ; Ensemble Kheops : Ayako Tanaka, violon ; Marie Hallynck, violoncelle ; Ronald van Spaendonck, clarinette ; Jean-Pierre Dassonville, cor ; Muhiddin Dürrüoğlu, piano

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