De Sainte-Colombe à Marais : le memento mori de La Rêveuse

Après un premier enregistrement remarqué consacré aux deux derniers livres de Marin Marais en 2018, l'ensemble La Rêveuse consacre un nouvel opus au Deuxième Livre de 1701, et construit un programme en forme d'hommage de Marais à son maître Sainte-Colombe.

La publication du Deuxième Livre de pièces de viole marque un tournant dans la vie de Marin Marais. Les fastes versaillais de l'époque de Lully ont cédé la place à une fin de règne mélancolique. Marais n'est plus le jeune arriviste talentueux qui battait la mesure des opéras royaux, et il est menacé d'être détrôné à la viole par le jeune prodige Forqueray. Son Deuxième Livre sera un manifeste pour son instrument fétiche et poussera l'écriture pour la viole dans ses plus lointains retranchements techniques, s'aventurant « dans les méandres sinueux de la tonalité » (F.Bolton). Il y présente les premières pièces de caractère (Les voix humaines, Les cloches) et s'empare de la célèbre Follia de Corelli pour proposer ses variations virtuoses sur les Folies d'Espagne. Et surtout, il y rend un hommage vibrant à ses deux maîtres : Lully et Sainte-Colombe.

Les zones d'ombre restent nombreuses dans la vie du mystérieux Monsieur de Sainte-Colombe, probablement protestant, qui se tenait à l'écart du monde. Avec son Tombeau pour M. de Sainte-Colombe, Marais rend hommage à son premier maître dans une pièce « teintée de mélancolie profonde et d'accablement » (F. Bolton), qui constitue un portrait plein d'émotion. Le programme de cet enregistrement lui juxtapose le Tombeau Les regrets pour deux violes égales de ce compositeur trop mystérieux. On y entend le carillon que l'on retrouvera à la fin de la suite en ré mineur de Marais. Et le mouvement intitulé « Les pleurs » est un sommet d'émotion que l'on n'a pas oublié depuis le film Tous les matins du monde… Autre sommet du répertoire pour viole, Les voix humaines de Marais, avec ses accords en triples cordes ; on ne peut s'empêcher de faire la comparaison avec une autre belle version qu'en donna récemment Noémie Lenhof pour viole seule. Ici, Florence Bolton est accompagnée dans cette pièce par le théorbe de Benjamin Perrot, tout en délicatesse. Les pièces de viole de Marais sont publiées avec un accompagnement de basse continue qui fait appel à une deuxième basse de viole, un théorbe et un clavecin, ici très discret ou absent selon les pièces. Une nouvelle fois, La Rêveuse porte bien son nom. Et comme nous l'écrivions pour le précédent disque Marais de l'ensemble, « la viole de Florence Bolton chante, murmure, pleure et touche infiniment ».