Entre profane et sacré, le festival de Saintes au chœur des passions
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Abbaye aux dames de Saintes. 17-VII au 18-VII -2024.
Concertos pour 1, 2 ou 3 violons de Jean-Sébastien Bach (1685-1750). Orchestre de l’opéra royal de Versailles. Theotime Langlois de Swarte – direction et violon solo ; Magdalena Sypniewski – violon solo ; Ludmila Piestrak – violon solo.
La Passion selon Saint-Jean de Jean-Sébastien Bach (1685-1750). Ensemble Les surprises : Louis-Noël BESTION DE CAMBOULAS, Direction et Clavecin ; Davy CORNILLOT – Evangéliste ; Eugenie LEFEBVRE, Cecile ACHILLE – soprano solo ; Paulin BUNDGEN – alto solo ; Olivier COIFFET – ténor solo ; Jean-Christophe LANIECE – Jésus ; Etienne BAZOLA – Pilate ; Eva PLOUVIER – Soprano ; Clotilde CANTAU, Lewis HAMMOND – Altos ; Romain BAZOLA, Randol RODRIGUEZ – Ténors ; Louis-Pierre PATRON – Basse
Duels Zolinpics. The Beggar’sEnsemble. Musiques de Forqueray, Couperin. Augustin Lusson, Direction et violon ; Louise Ayrton, violon ; François Gallon, violoncelle ; Daria Zemele, clavecin.
Ogni sorte di strumenti. Musiques de Frescobaldi, Gabrieli, Battista. Mathilde Aigouy – Flûte à bec ; Rhys Oldham et Yung-Hsu Shih – Sacqueboutes ; Daphné Franquin – Dulciane
Passions. Musiques de Merula, Monteverdi, Lotti. Les cris de Paris : direction de Geoffroy Jourdain.
Splendeurs vénitiennes. Musiques sacrées de Vivaldi : Gloria, Magnificat, Psaumes. Le concert spirituel dirigé par Hervé Niquet.
L'abbaye aux Dames accueille chaque été le festival de la ville de Saintes placé pour la dernière année sous la houlette artistique d'Hervé Niquet qui propose un programme entre piliers du répertoire et découvertes en dehors des sentiers battus. Une parenthèse majoritairement baroque cette année en compagnie de Bach, Mondonville, Vivaldi, Forqueray et Monteverdi dans un cadre propice à la méditation et la détente. Morceaux choisis.
L'abbaye aux dames de Saintes est déjà en soit un prétexte de déplacement et constitue un cadre lumineux et méditatif au festival. Espace central du festival, la grande voile placée devant l'hostellerie accueille les artistes et les festivaliers pour boire un verre ou déjeuner nous laissant au passage témoins de l'engagement personnel d'Hervé Niquet, présent à tous les concerts, battant la cloche de rappel, participant à toutes les conférences avec une vis comica indéniable et un sens pédagogique certain. Bref, on apprend, on rit, on écoute, on savoure.
Les découvertes
Parmi les concerts de journées, et sous prétexte des JO, les festivaliers découvrent The Beggar's Ensemble, formé autour du violoniste franco-japonais Augustin Lusson et composé d'instrumentistes de différentes nationalités : deuxième violon porté par Louise Ayrton (Angleterre), violoncelle de François Gallon (France) et clavecin de Daria Zemele (Lettonie). Ils nous proposent ce matin là une sorte de France-Angleterre musical fantasmé tant la musique anglaise n'a jamais pu aux XVIIème et XVIIIème siècle franchir la Manche, et inversement. Au programme donc, des pièces de Forqueray et de Couperin ainsi qu'une très belle sonate de Mondonville brillamment défendue par l'ensemble qui fait par ailleurs œuvre de pédagogie pour présenter les compositeurs anglais moins connus dans nos contrées comme John George Freake (Sonata N°5 in A minor, Op.7), Charles Avison (Sonata N°2 in G minor, Op.7) ou bien encore William Topham (Sonata N°4 in B-flat major, Op.3). Le concert s'achève par le célèbre Parnasse ou L'apothéose de Corelli de François Couperin dont les pièces sont entrecoupées des éléments de narration très joliment exposés par le violoncelliste François Gallon. Un ensemble d'une grande homogénéité qui ouvre cette journée avec un répertoire d'une grande fraîcheur.
L'après-midi au temple protestant de Saintes, ce sera à l'ensemble Ogni sorte di strumenti de nous proposer un voyage dans la vocalité instrumentale, objet de leurs études à Amsterdam et qu'ils viennent offrir ici à travers des pièces présentées ici pour flutes à bec (Mathilde Aigouy), et beaucoup plus rares, Sacqeboutes (Rhys Oldham et Yung-Hsu Shih) et Dulciane (Daphné Franquin). Le programme regroupe des œuvres des XVIème et XVIIème siècle, toutes aussi rares, de compositeurs italiens (Merulo, Frescobaldi, Gabrielli, etc) et français (Etienne Moulinié) au travers de genres instrumentaux tels que la canzon et la fantaisie. Dès l'ouverture du concert avec La Claudia d'Antonio Mortaro (qu'on a plus l'habitude d'entendre par un orgue), on est frappé par les deux sacqueboutes, ancêtres du trombone, dont les sonorités sont classées par type de voix (soprano, alto, ténor et basse) et par la dulciane, ancêtre du basson. La flute à bec vient apporter une couleur douce et sensuelle à ce répertoire tendre et méditatif.
Une célébration de Bach
Bach est une star de l'abbaye aux Dames de Saintes et une soirée lui est consacrée dès 18h avec les concertos du cantor pour un, deux et trois violons, proposés par Théotime Langlois de Swarte et l'orchestre de l'opéra royal de Versailles.
Son apparition du fond du chœur avec une fantaisie de Nicola Matteis est déjà en soit un programme : on n'est pas là pour se prendre au sérieux mais simplement pour s'offrir un moment de séduction, une parenthèse de plaisir. A l'image du jeune homme, et bien que ces concertos exposent des variétés de lumières et d'atmosphère évidentes, on est frappé par un paradoxe qui irrigue tout le concert et qui réside dans le contraste entre la vivacité du jeu, sa luminosité, l'allégresse des coups d'archets et le moelleux du son, la nonchalante élégance de la ligne mélodique déployée par l'orchestre et les solistes. Cela sonne parfois comme des danses avec, oseraient-on dire, un swing évident avant que les mouvements lents nous rappellent aussi un caractère plus méditatif où chante la lumière du violon Steiner de 1665.
Le concerto pour deux violons est peut-être le plus virtuose et Magdalena Sypniewski rivalise efficacement avec son jeune partenaire dans un duel de vélocité et de coups d'archets. Le concerto pour trois violons permet d'entendre également l'élégance ornementale du violon de Ludmila Piestrak ainsi que la sublime intériorité du violoncelle d'Hannah Salzenstein.
Ce concert constituait ainsi un bien beau préambule à la pièce de choix que constitue la passion selon Saint-Jean proposé ce soir par l'ensemble Les Surprises. Le moins que l'on puisse dire est que l'ensemble défend une vision théâtrale de cet oratorio que l'on pourrait quasiment qualifier d'opéra biblique tant Bach montre ici un sens du rythme et des enchaînements proches de la scène lyrique. A la tête de l'ensemble, le claveciniste Louis-Noël Bestion de Camboulas accentue les contrastes, n'a pas peur des silences et des sons sculptés pour rendre à cette œuvre sa force édificatrice.
Davy Cornillot défend prodigieusement les récitatifs de l'Evangéliste, irriguant de sang et de profondeurs chacune de ses interventions. Toutes aussi dramatiques sont les interventions du Jésus de Jean-Christophe Lanièce, baryton au timbre séduisant mordant dans les mots, et du ténor ductile et impérieux d'Olivier Coiffet. Les soprano Eugénie Lefebvre et Cécile Achille ainsi qu' Etienne Bazola tout trois très à l'aise dans ce répertoire complètent magnifiquement cette distribution qui saurait presque ménager un suspens dramatique à l'œuvre.
Les cris de Paris pour une découverte de la musique vocale vénitienne
Les cris de Paris offrent peut-être le concert le plus étonnant et abouti de ces deux journées à travers une exploration des passions qui irriguent la musique vénitienne du XVIIème siècle avec comme fil conducteur des crucifixus (musique sacrée au sens dramatique évident) entrecoupées de pièces profanes à l'inspiration transcendantale. Dirigés par Geoffroy Jourdain, l'ensemble est composé de 16 chanteurs et 8 instrumentistes et l'on entend de plus en plus parler d'eux par la variété et l'intelligence des programmes qu'ils concoctent.
Tout commence donc par un solo de théorbe qui fait progressivement taire le brouhaha de l'assistante qui comprend que le concert commence. S'en suit l'apparition de la soprano Michiko Takahashi pour une canzone spirituale de Tarquinio Merula (1595-1665) traversée d'aigus planant et d'expressionnisme outré à couper le souffle, transformant cette berceuse de la Vierge à l'enfant Jésus en lamento funèbre.
Où sommes-nous ? A Venise au XVIIe siècle et le programme rappelle la très belle phrase de Casanova à la Marquise de Pompadour à propos de la Sérénissime « Elle n'est pas là-bas mais là-haut ». C'est cet esprit qui semble imprégner tout le concert qui se poursuit avec le crucifixus de Monteverdi méditatif et une sinfonia d'Orfeo alanguie. Il nous offre un panorama de l'art de la polyphonie avec notamment des madrigaux et crucifixus d'Antonio Lotti (contemporain de Vivaldi) parcourus de dissonances expressives très avant-gardistes pour l'époque. On est encore dans la Renaissance mais on s'attache ici à l'expression des affects de la dévotion avec une incarnation presque doloriste. Les harmoniques sont splendides, les jeux de couleurs magnifiquement travaillés et la variété des écritures surprend à chaque morceau. Les cris de Paris nous transportent dans un univers pathétique et exubérant à la fois, édifiant et intime, nous rapprochant la musique sacrée de notre humanité la plus simple.
Progressivement au fil des pièces, la scène se vide. Après un dernier air a capella de Monteverdi, les derniers solistes du chœur sortent et laissent le théorbe achever le concert comme il s'est commencé, par un solo de théorbe (de Biagio Marini) nous laissant comme groggy !
Époustouflant de cohérence, de pureté et d'exigence, ce concert nous donne l'envie immédiate de retourner à Venise et de se perdre dans son mystère.
Vivaldi à l'Ospedale de Venise par le concert spirituel
Le concert du soir est, selon les propres termes d'Hervé Niquet un « saucisson », c'est-à-dire un concert « bankable » pour les producteurs et qui attire le public.
Pour ce concert, Hervé Niquet s'attaque à la musique sacrée du prêtre roux et particulièrement à celle qu'il a composé pour les orphelines dell'Ospedale della Pieta de Venise, institution religieuse au sein de laquelle des jeunes filles orphelines ou abandonnées recevaient une éducation purement musicale. Vivaldi se servit de cet instrument d'excellence et c'est pour elles qu'il composa notamment le fameux Gloria.
Hervé Niquet propose une écoute renouvelée de ces chefs-d'œuvre maintes fois entendus. Il reconstitue les concerts tels qu'ils étaient montés à l'Ospedale de Venise : à savoir des chœurs exclusivement féminins se faisant face (et non face au public) et une orchestration originelle, dépouillée des ajouts successifs qui ont achevé la gloire de Vivaldi. Ici donc, que des femmes et pas de trompettes et tambours.
Sans même que les applaudissements d'accueil ne se taisent, Hervé Niquet nous cueille d'entrée avec l'étourdissant Psaume 121 Laetatus sum. Avec ses phases ascendantes et descendantes, ses volutes, ses ornementations, le chœur nous subjugue par son énergie précise et le son sculptural qu'il délivre. L'acoustique de l'abbatiale impressionne, nous submerge et apporte une chaleur et un moelleux unique avant le Psaume 113 In exitu Israel plus léger et piquant.
Comme énoncé en préambule, l'approche d'Hervé Niquet révolutionne l'audition des deux gros morceaux que sont le Magnificat et le Gloria, dépouillés des effets d'orchestration que Vivaldi rajouta plus tardivement. Moins de grandeur, plus de nerf. Moins de pompe, plus de vie. Là encore, le chœur féminin du concert spirituel terrasse le public par sa mécanique implacable et la beauté des harmonies et l'on sort bouleversés par la puissance évocatrice de cette approche au regard de cette institution vénitienne et du destin de ces jeunes filles.
Dans la continuité du précédent concert, on entend à travers le programme que Vivaldi est un héritier de la tradition ancienne de la polyphonie mais tourné là-encore vers l'expressivité et la vitalité notamment au moyen d'une clarté des thèmes plus évidente que dans les décennies précédentes. Entre le profane et le sacré, Venise nous a définitivement perdu mais pour mieux retrouver le goût de la musique dans ce qu'elle a de plus beau ; l'expression la plus abstraite et en même temps la plus aboutie de notre humanité.
Crédits photographiques : © Esteban MARTIN-Abbaye aux dames
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Abbaye aux dames de Saintes. 17-VII au 18-VII -2024.
Concertos pour 1, 2 ou 3 violons de Jean-Sébastien Bach (1685-1750). Orchestre de l’opéra royal de Versailles. Theotime Langlois de Swarte – direction et violon solo ; Magdalena Sypniewski – violon solo ; Ludmila Piestrak – violon solo.
La Passion selon Saint-Jean de Jean-Sébastien Bach (1685-1750). Ensemble Les surprises : Louis-Noël BESTION DE CAMBOULAS, Direction et Clavecin ; Davy CORNILLOT – Evangéliste ; Eugenie LEFEBVRE, Cecile ACHILLE – soprano solo ; Paulin BUNDGEN – alto solo ; Olivier COIFFET – ténor solo ; Jean-Christophe LANIECE – Jésus ; Etienne BAZOLA – Pilate ; Eva PLOUVIER – Soprano ; Clotilde CANTAU, Lewis HAMMOND – Altos ; Romain BAZOLA, Randol RODRIGUEZ – Ténors ; Louis-Pierre PATRON – Basse
Duels Zolinpics. The Beggar’sEnsemble. Musiques de Forqueray, Couperin. Augustin Lusson, Direction et violon ; Louise Ayrton, violon ; François Gallon, violoncelle ; Daria Zemele, clavecin.
Ogni sorte di strumenti. Musiques de Frescobaldi, Gabrieli, Battista. Mathilde Aigouy – Flûte à bec ; Rhys Oldham et Yung-Hsu Shih – Sacqueboutes ; Daphné Franquin – Dulciane
Passions. Musiques de Merula, Monteverdi, Lotti. Les cris de Paris : direction de Geoffroy Jourdain.
Splendeurs vénitiennes. Musiques sacrées de Vivaldi : Gloria, Magnificat, Psaumes. Le concert spirituel dirigé par Hervé Niquet.