Le devenir-son avec Alexandros Markeas et Supernova

Time to time, le nouveau CD monographique d'Alexandros Markeas est le fruit d'une collaboration entre le compositeur et l'ensemble Supernova, un objet artistique navigant entre l'écrit et le non écrit.

Compositeur, pianiste, improvisateur et performer (il enseigne l'improvisation générative au Conservatoire national de Musique de Paris), Alexandros Markeas est profondément attaché à l'oralité, cette manière « de cheminer avec les sons » sans préméditation, de se laisser guider par la vie du timbre et sa mobilité qu'il est parfois impossible de transcrire sur le papier. Ainsi parle-t-il d'atelier et de travail de plateau avec les instrumentistes de Supernova, un ensemble rompu à l'improvisation et travaillant sans chef, fondé en 2020 et basé en Bourgogne-Franche-Comté, les huit musiciens et musiciennes enseignant au Conservatoire de Chalon-sur-Saône. C'est avec eux que le compositeur a produit en 2022 le spectacle Time to time qui donne son titre au CD.

En duo d'abord, saxophone et piano (Carmen Lefrançois et Pauline Schneider) dans Quelques lignes (conçu à l'origine pour piano et percussion) croisent, entrelacent ou marient leur sonorité, musique sur-vitaminée soumise à un processus de ralentissement et de fusion progressive des timbres. En duo toujours, Valse hésitation met en scène le tuba (Raphaël Martin) et le trombone (Jean-Noël Gamet) dans une joute sonore très théâtrale et pleine d'humour dans laquelle les instrumentistes donnent de la voix. Très drôle également, Loukanikos célèbre le chien de la révolte, symbole des manifestations contre l'austérité en Grèce dont la mort en 2013 avait déclenché une avalanche d'hommages sur internet : « Vie et mort d'un chien rebelle », sous-titre Markeas qui associe le tuba à la percussion de Benoît Poly (métaux, bois et peaux) au sein d'une écriture rythmique très sophistiquée. Entre grognements, voix de fausset et ronflements très doux, la voix de l'interprète qui chante dans le tuba module à l'envi le timbre et les inflexions. Joke (2007) pour saxophone baryton et clarinette basse (Nicolas Nageotte) est un moment de partage d'une belle vitalité, mettant à l'œuvre combinatoire rythmique et virtuosité, slaps percussifs et énergie du son. Préludes emmêlés est une suite de neuf instantanés pour accordéon (Christophe Girard), clarinette et violoncelle (Anaïs Moreau) dessinant de manière presque chorégraphique des morphologies sonores (contorsion de la clarinette, étirement de l'accordéon) s'inscrivant dans différentes temporalités.

Composé en 2024 pour l'ensemble Supernova et réunissant les huit instrumentistes, Living Lines renvoie à l'ouvrage de l'anthropologue Tim Ingold The life of lines, les lignes que tracent les humains dans le parcours d'une vie. La pièce se coule dans le format de « Création Mondiale » (anciennement « Alla Breve ») de France Musique, cinq miniatures de deux minutes qui s'enchaînent ici sous la direction de Rémi Durupt : de la constellation de points au mouvement des lignes, du micromontage des motifs à leur répétition, les textures se resserrent et le son se contracte jusqu'à l'éclatement final où le geste improvisé semble submerger la ligne écrite : un tourbillon de couleurs que Supernova gorge de vitalité, dans l'acuité du geste et la synergie du groupe.