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Singulière Carmen, victime et libertaire, à l’Opéra Royal de Wallonie Liège

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Liège. Opéra Royal de Wallonie. 23-VI-2024. Georges Bizet (1838-1875) : Carmen, opéra en quatre actes, donné avec les récitatifs d’Ernest Guiraud, sur un livret de Henri Meilhac et de Ludovic Halévy, d’après la nouvelle éponyme de Prosper Mérimée. Mise en scène et décors : Marta Eguilior. Costumes : Betixte Saitua. Chorégraphie : Sara Cano. Lumières : David Alcorta. Avec : Ginger Costa-Jackson : Carmen; Arturo Chacón-Cruz : Don José; Anne-Catherine Gillet : Micaëla; Pierre Doyen : Escamillo; Elena Galistskaya : Frasquita; Valentine Lemercier : Mercedes; Patrick Bolleire : Zuniga; Ivan Thirion : le Dancaïre; Pïerre Derhet : le Remendado; Marc Tissons : Moralès; Emma Watkinson : une marchande; Benoît Delvaux : un Bohémien. Viviana Dorsi, comédienne (la mère). Maîtrise de l’opéra préparée par Véronique Tollet. Choeurs préparés par Denis Segond. Orchestre de l’Opéra Royal de Wallonie, Leonardo Sini, direction générale.

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L'Opéra  royal de Wallonie à Liège termine sa saison en beauté avec une Carmen de Bizet de haut vol, magnifiée par la riche mise en scène de , par une distribution vocale brillante et par la direction musicale de .

Pour cette nouvelle production  mosane de Carmen, la nouvelle enfant terrible de la scène hispanique , en phase de reconnaissance internationale, entend revenir aux principes fondamentaux du drame, au plus proche de la nouvelle de Mérimée – par delà le livret de Meilhac et Halévy – et veut évoquer la condition féminine dans le complexe contexte socio-culturel de la très catholique péninsule ibérique.

Voilà donc aussi sinon avant tout une Carmen « flamenco », par le truchement des chorégraphies endiablées de , et dans la lointaine descendance du beau film, déjà quarantenaire, de Carlos Saura. Mais parallèlement, est aussi restitué un portrait analytique de Don José, cet exilé basque en terre andalouse, en perte de repères sentimentaux, et terriblement marqué par une éducation rigoriste – un peu lourdement soulignée par la figuration de son double enfantin aux prises, jusqu'y compris, au climax de la scène finale, avec le spectre omniprésent et blanchâtre d'une mère autoritaire et stérilisante (incarnée par la comédienne ).

En opposition,  la cinglante Carmen, faite d'amour et de passion, de chair et de sang, apparaît comme une héroïne libre voire libertaire – bien plus que banale femme fatale – érigée en victime de la société contemporaine, de ses stéréotypes sexistes, ou de ses préjugés religieux quasi intégristes : avant le lever de rideau du premier acte et les premiers accords du célèbre prélude, le parterre est théâtre d'une procession de pénitents cagoulés, aux bonnets à pointe si suggestifs, tout de blanc vêtus, gagnant peu à peu le proscénium – allusion liminaire aux rituels traditionnels sévillans de la Semaine- Sainte et de la Passion. Cette mortification sera permanente au fil de l'action, par exemple avec ce crucifix géant porté ostensiblement par les dragons, ou par cette forêt de ronces, figurant outre une nature hostile, au troisième acte telle, une christique couronne d'épines ou  encore avec cette croix noire inversée – celle de Saint-Pierre comme de l'antichristianisme- apparaissant en filigrane sur fond sombre lors de la scène finale : plus que le taureau dans l'arène, c'est la femme, bête de somme d'une société machiste qui est condamnée à une mort infamante.

Les costumes de relèvent dans ce contexte d'un véritable code de couleurs, très clivés entre rouge (les dragons d'Alcala, la fleur du désir jetée par Carmen), noir (affublant la gens féminine) et blanc ( la pureté virginale de Micaëla ou de la mère) ; les deux principaux protagonistes se verront affublés tour à tour de divers alliages de ces tons au fil de l'intrigue et de l'évolution de leurs sentiments réciproques.


Les décors signés par la metteuse en scène se jouent des référents sociétaux quasi conflictuels entre univers profane et sacré – tel à l'arrivée de l'héroïne, cet autel monumental noyé sous les roses écarlates et arborant un bas-relief tauromachique. Heureusement, au-delà de la foison de ces détails parfois redondants, la direction d'acteurs sobre et enlevée, s'avère redoutablement efficace et mène sans ambages, par une tension croissante et une gestique très étudiée, à l'inéluctable résolution sanglante d'un drame mortifère.

L'Opéra Royal de Wallonie retient la version avec récitatifs ajoutés par Ernest Guiraud et propose – au gré des représentations – pour les rôles de Carmen et de Don José une double distribution. Cette après-midi , nous avons droit à une Carmen de feu, véritable rôle-fétiche de qui en est à sa vingt-troisième production malgré son jeune âge. Sa chaude voix de mezzo-soprano, aux graves saisissants et jamais poitrinés ou vulgaires est fascinante, autant que son incarnation physique pulpeuse… tout est pleinement en accord avec la vision à la fois libertaire et victimaire de l'héroïne selon la metteuse en scène, nonobstant l'une ou l'autre petite faute de français parfaitement évitable mais sans gravité.

Le ténor , déjà très apprécié localement voici quelques mois dans l'écrasant rôle-titre des Contes d'Hoffman d'Offenbach incarne un Don José idéal, malgré un léger mais perceptible petit accent. Il donne un portrait par petites touches de ce parfait anti-héros, nostalgique du pays natal, amoureux transi et dépossédé, prisonnier tant de son tendre passé que de ses pulsions violentes quasi animales : s'il se révèle d'une stature dramatique impressionnante au fil de l'affrontement  final, il est aussi fin diseur et sublime musicien au gré de son grand air « la fleur que tu m'avait jetée » vraiment habité et subtilement énoncé, avec toute l'éloquence requise.

Soliste internationalement fêtée, offre une impeccable prestation à la fois émouvante et très dramatiquement impliquée dans le rôle difficile de Micaëla. Dans un registre de clair-obscur sous-entendu par la mise en scène, elle offre plus qu'une simple réplique moralisatrice à Don José au fil du célèbre duo du premier acte (« Parle-moi de ma mère »), et son grand air à l'acte III « Je dis que rien ne m'épouvante » par son émotion contrite et son antinomique désespoir latent demeure peut-être le sommet musical et vocal de toute cette somptueuse représentation. Sa science éprouvée du legato le plus soutenu et la maîtrise souveraine d'un léger mais souverain vibrato participent à une large palette expressive.

, en Escamillo, nous apparaît baryton un rien léger pour le rôle, manquant sans doute d'ampleur et de rondeur dans le grave de la tessiture. S'il est quelque peu prudent, voire en retrait, au fil de son grand air de bravoure à l'acte II ( Votre Toast, je peux vous le rendre) il nous semble bien plus crédible dans la logique d'affrontement avec son rival au climax de l'Acte III.

Les rôles secondaires sont très habilement distribués. Au premier chef, le Zuniga de , comme à l'habitude, admirablement timbré, élégant de diction et de phrasé. Il s'avère d'une truculence ambiguë assez irrésistible.

La Frasquita d'Elena Galitaskaya et la Mercedes de offrent plus qu'un simple faire-valoir au fil de leurs apparitions, notamment au cours de ce déterminant trio des cartes où la mort s'invite au gré d'un innocent tirage. Mentionnons aussi pour leurs courtes mais probantes interventions le Dancaïre d' ou le Remendado de , tous deux élégamment impliqués.

Outre les chœurs très présents et  souvent assez nuancés, bien préparés par , il convient de souligner l'admirable travail de à la tête de la juvénile et impeccable maîtrise. Un orchestre du cru, retrouvé, et d'une belle cohérence, nous a semblé toutefois plus à l'aise au fil des tutti, dans l'exacerbation des forte, que dans l'expression pastorale plus rêveuse, réservée aux vents solistes – un rien timides au fil des préludes des deuxième et troisième acte. La direction musclée et tonique de – déjà applaudi in situ dans la rarissime Alzira de Verdi – peut aussi s'attarder sur maints détails attachants et tendres de la partition, ouvrant ci et là des plages de douce rêverie romantique au sein de cette tragédie sociétale et  passionnelle toujours hélas bien d'actualité en notre monde post-metoo, en proie à la réalité répétée du féminicide. En ce sens, la Carmen adorée de ce spectacle total demeure d'une brûlante actualité.

Crédits photographiques : vues d'ensemble / / © ORW-Liège/J.Berger  

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Liège. Opéra Royal de Wallonie. 23-VI-2024. Georges Bizet (1838-1875) : Carmen, opéra en quatre actes, donné avec les récitatifs d’Ernest Guiraud, sur un livret de Henri Meilhac et de Ludovic Halévy, d’après la nouvelle éponyme de Prosper Mérimée. Mise en scène et décors : Marta Eguilior. Costumes : Betixte Saitua. Chorégraphie : Sara Cano. Lumières : David Alcorta. Avec : Ginger Costa-Jackson : Carmen; Arturo Chacón-Cruz : Don José; Anne-Catherine Gillet : Micaëla; Pierre Doyen : Escamillo; Elena Galistskaya : Frasquita; Valentine Lemercier : Mercedes; Patrick Bolleire : Zuniga; Ivan Thirion : le Dancaïre; Pïerre Derhet : le Remendado; Marc Tissons : Moralès; Emma Watkinson : une marchande; Benoît Delvaux : un Bohémien. Viviana Dorsi, comédienne (la mère). Maîtrise de l’opéra préparée par Véronique Tollet. Choeurs préparés par Denis Segond. Orchestre de l’Opéra Royal de Wallonie, Leonardo Sini, direction générale.

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1 commentaire sur “Singulière Carmen, victime et libertaire, à l’Opéra Royal de Wallonie Liège”

  • Pierre Doyen dit :

    Bonjour ,
    Effectivement souffrant , l’annonce n’a pas été faite… j’ai d’ailleurs annulé le lendemain .

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