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Le trompettiste Romain Leleu vient de créer son propre label où il publie un nouveau disque, Nuit fantastique en compagnie de son Sextet à cordes. À 41 ans, ce brillant soliste, Victoire de la musique classique en 2009, revient sur sa carrière et ses projets, toujours soucieux de « briser les frontières » entre musiques classique et populaire.
ResMusica : Pourquoi avoir voulu créer votre propre label discographique, RL Production ?
Romain Leleu : C'est avant tout une opportunité et un choix purement artistique plutôt que commercial, avec la volonté d'être plus libre et plus proche de notre public. C'est l'occasion unique de se faire vraiment plaisir et de pouvoir tout choisir. Le Romain Leleu Sextet est un projet un peu hybride, de transcriptions pour trompette et cordes de pièces du grand répertoire comme d'airs populaires, de musiques de films, de jazz. Un projet qui était peut-être plus difficilement identifiable chez Harmonia Mundi, avec qui je continue par ailleurs de travailler sur d'autres projets. Avec le Romain Leleu Sextet, j'aime continuer à briser les frontières entre classique et populaire tout en créant un nouveau répertoire pour la trompette.
RM : Comment est né l'idée de votre nouveau disque ?
RL : Tout est né de la participation à l'édition 2023 de la Folle Journée de Nantes que René Martin avait placée sous le thème de « Ode à la Nuit ». Pour mon projet de disque, j'ai eu envie de poursuivre le travail sur ce thème, si riche en musique. Avec l'arrangeur et violoniste Manuel Doutrelant, nous avons voulu représenter la nuit sous ses multiples formes. La nuit c'est le rêve, comme avec Schubert et son Nacht und Traüme. Mais c'est aussi la fête avec Le Bœuf sur le Toit de Darius Milhaud. C'est également la peur ou le cauchemar comme avec la Danse Macabre de Saint-Saëns. Mais c'est aussi l'ambiance enfumée des clubs de jazz avec Round Midnight, Night in Tunisia. Nous avons voulu nous faire notre propre idée de la nuit, pas forcément idéale, mais une nuit fantastique.
RM : Votre formation, trompette et cordes, nécessite un gros travail d'arrangements.
RL : Oui, tout est parti de la volonté de travailler sur une grande pièce symphonique. En l'occurrence la Suite de concert de Schéhérazade de Rimski-Korsakov. Et ensuite il fallait équilibrer avec tout un programme mêlant styles et époques. Pour moi ce n'est pas du crossover, un terme utilisé trop souvent de manière péjorative. On est dans la transcription extrêmement travaillée par Manuel Doutrelant, et la création d'un nouveau répertoire pour mon instrument.
RM : Comment caractériseriez-vous votre jeu ?
RL : Je suis toujours dans une recherche de timbre, que je trouve désormais en jouant sur des instruments très typés d'époque. Je ne veux plus du son trop standard des instruments manufacturés modernes. Je compare souvent ma trompette à la voix humaine. Il y a un timbre et un phrasé, pas forcément académique, mais que je revendique. L'instrument est uniquement un moyen d'expression, pas une finalité.
RM : Cette quête du timbre vous mène-t-elle vers de nouveaux projets ?
RL : Oui, j'ai eu la chance de pouvoir jouer sur les instruments du Musée de la musique à la Philharmonie de Paris, très typés, représentatifs d'une époque, d'un héritage. Dans le cadre de la collection Stradivari chez Harmonia Mundi, j'enregistre pour la rentrée prochaine un disque où nous pourrons entendre ces merveilleux instruments. Comme par exemple le dernier cornet de Jean-Baptiste Arban, considéré au XIXe siècle comme le Paganini de la trompette. Ou encore une trompette Selmer des années 1940 jouée par Raymond Sabarich, autre grand professeur du CNSM. En compagnie de Julien Gernay, qui joue sur un piano Gaveau, nous enregistrons des œuvres pour cornet et trompette de Poulenc, Satie, Arban, Gershwin, le disque devant sortir le 6 décembre.
RM : Vous êtes originaire du nord de la France. Quels souvenirs conservez-vous de cette région où abondent les harmonies municipales ?
RL : Je suis en effet né à Lille dans une famille très musicienne. Ma maman était pianiste, mon père, Christophe Leleu était un tubiste réputé, soliste du Quintette à cuivre de Lille. Et il continue aujourd'hui à diriger le Conservatoire de musique de la ville de Loos, dans la banlieue lilloise. Comme j'étais un gamin un peu turbulent, on m'a proposé de pratiquer, dès 5 ans, un instrument demandant un engagement physique. Ce fut la trompette. Ça m'a canalisé, calmé. Et j'ai en effet fait mes premières armes dans les harmonies locales. C'est une grande tradition régionale où l'on côtoie des gens venus de tous horizons, des ouvriers comme des chefs d'entreprise, des autodidactes comme des étudiants de conservatoire. Un vrai brassage culturel. Et même si j'ai intégré le Conservatoire nationale supérieur de musique de Paris à l'âge de 15 ans, j'ai toujours gardé le contact avec mon premier professeur de trompette, à Roubaix, Jean-Noël Oldman.