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Werther pour baryton ? Et pourtant, ça marche !

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Jules Massenet (1842-1912) : Werther, opéra-comique de 1892 en version pour baryton. Tassis Christoyannis, baryton (Werther) ; Véronique Gens, soprano (Charlotte) ; Hélène Carpentier, soprano (Sophie) ; Thomas Dolié, baryton (Albert) ; Matthieu Lécroart, basse (le bailli) ; Artavazd Sargsyan, ténor (Schmidt) ; Laurent Deleuil, baryton (Johann, Brühlmann) ; Hungarian National Philharmonic Orchestra ; Children’s Choir of the Zoltan Kodaly Hungarian Choir School, direction : György Vashegyi. 2 CD Bru Zane. Enregistrés du 18 au 22 février 2023 au Béla Bartók National Concert Hall à Budapest. Notice de présentation en français et anglais, livret français fourni avec traduction en anglais. Durée: 126:43

 
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Peut-on se passer des contre-uts de Werther ? Oui, mais à certaines conditions, remplies ici par le baryton et une fine équipe sous la direction remarquable de .

La version pour baryton, adaptée par Massenet lui-même à un moment où il manquait de ténors convaincants, remonte à l'année même des créations difficiles à Vienne, Genève puis Paris, en 1892. Ce n'est que plus tard en 1901 que le célèbre baryton Battistini en profitera. Mais malgré ses succès, c'est bien la version ténor qui finira par s'imposer, au point de faire oublier – ou presque – la version pour baryton.

Le mélomane qui croit connaitre son Werther abordera peut-être avec méfiance cette version encore largement méconnue, malgré les tentatives récentes plutôt intéressantes avec Thomas Hampson en 2004 (DVD Virgin Classics, Clef ResMusica) ou Ludovic Tézier en 2017 (Youtube). S'il se lance dans une lecture aléatoire des moments clé, il risque d'être un peu déboussolé : qu'est-ce que c'est que ce pseudo-Pelléas, qui erre d'acte en acte à la recherche de son identité ? Quel intérêt y a-t-il à décapiter son ambitus de toute la quinte aiguë ? Quelle crédibilité dans cette interférence avec une Charlotte marmoréenne ? Et nos contre-uts… Y a-t-il, dans tout l'opéra français, des contre-uts de ténor aussi expressifs, aussi nécessaires que ceux de Werther ? Car ceux-là n'expriment pas seulement l'excès de sentiment et de souffrance : ils incarnent dans le son la tentation de la folie, l'imminence du franchissement du miroir. Alors, Werther sans ténor, est-ce possible ? Si Massenet en a jugé ainsi, il faut faire confiance à son talent. Déplissons nos oreilles, et recommençons entièrement notre écoute.

Dès l'ouverture, on comprend que cet enregistrement est en fait une réussite, et qu'elle repose avant tout sur la direction de , fin connaisseur de l'opéra français, et sur la phalange du philharmonique hongrois. Sous sa battue, la trame orchestrale apparait d'une finesse et d'une richesse magnifiques, et la cohésion des pupitres est telle qu'on croirait entendre un orchestre de chambre. Les scènes introductives, qui ont une réputation de tunnel (la répétition des enfants, les duos des ivrognes…) semblent aussi belles que l'ouverture qui précède et que les scènes suivantes avec les personnages principaux. Les couleurs sont splendides, les frémissements de la nature et des cœurs sont rendus avec une netteté ourlée de lumière, et tout l'opéra prend une allure de long poème symphonique. On se prend souvent à penser à Chausson et à Debussy, lequel admirait Massenet. Ceci n'empêche pas une montée en tension progressive qui atteint son paroxysme à l'acte III à un niveau presque insoutenable. Pas de besoin de contre-ut : l'impossibilité de vivre pour Werther est pleinement exprimée par le langage de l'orchestre. C'est un lyrisme clair, raffiné mais puissant que développe l'excellent .

Le deuxième facteur de réussite revient aux choix des chanteurs, tous parfaitement idiomatiques et, pour le couple de tête   et , hautement rompu à l'art de la mélodie française. Même avec des émissions vocales différentes, tous les deux ont une façon d'intérioriser le sens de leurs paroles avec pudeur mais avec intensité, et de faire passer l'émotion autant par les mots que par les notes. Le beau dans Werther semble chanter du bout des lèvres, ce qui lui donne une fragilité virile à la fois séduisante et annonciatrice de son obsession suicidaire. Le point de bascule, lors des stances d'Ossian se ressent pleinement, même sans les contre-uts, et sa mort lumineuse apparait comme un soulagement et comme l'accomplissement de sa vraie nature. Plus timbrée et mieux projetée, lui oppose une Charlotte à la fois jeune et au caractère affirmé, très à l'aise dans son médium riche et clair. Si elle semble sûre d'elle-même jusqu'au III, son retournement n'en est que plus émouvant. Pour faire un contraste avec Charlotte mais aussi paraitre sa sœur, est parfaite. Joyeuse, légère mais jamais cocotte, sa Sophie virevolte et plaide le bonheur avec grâce et beaucoup de charme. , grave et jeune à la fois, accentue un petit peu trop la noirceur de sa voix et n'est pas loin de la caricature des méchants du répertoire, ce qui n'est pas le caractère exact d'Albert. Les autres personnages sont tous excellents : , Artavazd Sargsyan et Laurent Deleuil.

Une belle réussite, donc, pour cette version baryton. Mais cela ne tient pas au choix de la clé de fa ou de la clé de sol pour le héros principal. Plus symphonique, plus intimiste et davantage porté sur le mot français, c'est un autre Werther que voici, mais c'est un vrai Werther. Lequel est bien, fondamentalement, un poète. Les versions hyper-vocales de Georges Thill, Nicolaï Gedda, Alfredo Kraus, etc., restent iconiques, mais voilà un bel apport du label Bru Zane à une meilleure connaissance de l'opéra français du XIXe siècle.

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Jules Massenet (1842-1912) : Werther, opéra-comique de 1892 en version pour baryton. Tassis Christoyannis, baryton (Werther) ; Véronique Gens, soprano (Charlotte) ; Hélène Carpentier, soprano (Sophie) ; Thomas Dolié, baryton (Albert) ; Matthieu Lécroart, basse (le bailli) ; Artavazd Sargsyan, ténor (Schmidt) ; Laurent Deleuil, baryton (Johann, Brühlmann) ; Hungarian National Philharmonic Orchestra ; Children’s Choir of the Zoltan Kodaly Hungarian Choir School, direction : György Vashegyi. 2 CD Bru Zane. Enregistrés du 18 au 22 février 2023 au Béla Bartók National Concert Hall à Budapest. Notice de présentation en français et anglais, livret français fourni avec traduction en anglais. Durée: 126:43

 
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