Passages de relais au Théâtre Edwige Feuillère de Vesoul avec La La Land et Starmania

La quinzième édition du Mois Voix d'enfants/Espace scénique confirme la pleine santé de la structure imaginée en 2009 par Charlotte Nessi.

La fondatrice de l'Ensemble Justiniana, et depuis peu ex-directice du Théâtre Edwige Feuillère de Vesoul, a toujours été attachée à la transmission. D'abord « l'opéra pour tous », dans des lieux où il n'avait pas coutume d'aller, puis dès sa nomination à la tête de la scène vésulienne, la création du Pôle d'excellence, « fruit de plusieurs années » de travail sur la voix d'enfant dans l'espace scénique, avec la complicité du chef de chœur Scott Alan Prouty, de la chorégraphe Evandra Martins et le compagnonnage de compositeurs et d'auteurs les plus variés : Britten, Offenbach, Lockwood, Leprest, Papoulis, Roche… Le départ de Charlotte Nessi aurait pu signer la fin de l'aventure si sa conceptrice n'avait pas imaginé un passage de relais destiné à pérenniser la bonne marche d'un outil dorénavant incontournable de la région Bourgogne-Franche-Comté : chaque mois de mai, des salles combles acclament des centaines d'enfants et d'adolescents, parmi lesquels la crème de la crème de l'Atelier spécifique chant-danse-théâtre du Pôle d'excellence.

Après plus d'une décennie d'énergie souriante et de musicalité millimétrée généralement inféodées aux canons de la comédie musicale américaine (Guys and Dolls, West side story…), Alan Scott Prouty et Evandra Martins ont eux aussi passé le relais. C'est la Compagnie Porte-avions, basée à Besançon, très remarquée avec Les Grandes Duchesses de Gerolstein en 2023, qui, cette année, s'impose en marquant de sa patte chorégraphique deux nouveaux mastodontes populaires : La La Land et Starmania.

Après Alex Beaupain et Christophe Honoré (Les Chansons d'amour, Les Bien-aimés), Justin Hurwitz et Damien Chazelle (La La Land, Babylon) se sont à leur tour engagés sur l'audacieux chemin de traverse ouvert dans les années soixante par le tandem Demy-Legrand. Classique instantané dès sa sortie en 2016, La La Land, revisitée par cinq instrumentistes ad hoc (piano, contrebasse, batterie, trompette, saxophone) soulève l'enthousiasme du public. La directrice musicale Mylène Liebermann (elle dirige du fond de la salle), les chorégraphes Mame Mor Tall et Guillaume Joly ont gardé l'esprit du film qu'ils ont ré-intitulé Une vie d'artiste. Une heure durant, la petite quarantaine de participants du Pôle d'excellence donne à voir les passages de fourches caudines des prétendants à la scène : échauffements, auditions, doutes, espoirs, succès… Tous transportés par le style propre aux deux chorégraphes (principalement hip hop) et par la beauté de la partition d'Hurwitz, qu'ils chantent ou dansent, ensemble ou en solo, ils floutent les frontières entre la technicité professionnelle et la passion spécifique à l'amateur. Certains attirent plus la lumière que d'autres mais personne ne démérite. Cerise sur le savoureux gâteau, Une Vie d'artiste accueille à son bord quelques passagers clandestins de marque, dont le Nous voyageons de ville en ville des Demoiselles de Rochefort : un très émouvant hommage au passage de relais de ce joyau de bientôt 60 ans d'âge.

Starmania a mis plus de temps pour prouver que l'on peut être prophète en son pays. France Gall et Daniel Balavoine remplacés par deux centaines de voix d'enfants (des écoles alentour et d'une douzaine de solistes du Pôle d'excellence) est une expérience émotionnelle. L'entrée des uns et des autres est extrêmement réussie, qui les voit s'élancer les uns vers les autres depuis la coulisse sur l'allegro de l'Ouverture, comme pressés de s'adonner à la furia chorégraphique, presque tribale, imaginée par les Porte-avions, dont les fondateurs survoltés surgissent aussi, dos au public, ainsi que les deux chefs de chœur habillés en rockeurs survitaminés (Guillemette Daboval et Sammy El Ghadab) pour s'intégrer aussi stratégiquement que spectaculairement à la performance. D'un abord assez difficile sur le plan des tessitures, la partition a été judicieusement répartie entre filles et garçons : l'impossible ambitus de SOS d'un terrien en détresse passe ainsi le plus naturellement possible de la voix masculine au soprano féminin. D'autres numéros exigeants (Le Monde est stone, Monopolis) sont assurés par le petit chœur, que la chorégraphie fait habilement surgir du grand. La complicité est générale. Piano, guitare électrique, basse et batterie reproduisent avec talent la partition de Michel Berger, laquelle, jusqu'à la dernière version mise en scène par Thomas Jolly, a systématiquement été ré-orchestrée. Rebaptisé J'aurais voulu être un artiste !, ce nouveau Starmania, bien trop bref avec ses 45 minutes, n'ambitionne aucune dramaturgie autre que son geste chorégraphié. Ce qui ne semble manquer à personne, chaque morceau, systématiquement ovationné, semblant remplir le cahier des charges de cette profession de foi inscrite dans le programme : « Il n'y pas de sectarisme dans la musique, seulement des sectaires qui se l'approprient. »

Crédits photographiques : © Vincent Arbelet