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Limoges. Opéra. 15-V-2024. Ruggero Leoncavallo (1857-1919) : Pagliacci, opéra en deux actes. Mise en scène, scénographie et costumes : Jean-Philippe Clarac & Olivier Deloeuil – Le Lab. Assistant à la mise en scène : Christophe Pitoiset. Dramaturgie : Luc Bourrousse. Lumières : Rick Martin. Vidéo : Pascal Boudet et Timothée Buisson. Graphisme : Julien Roques. Avec : Alejandro Roy, Canio ; Claudia Pavone, Nedda ; Sergio Vitale, Tonio ; Philippe-Nicolas Martin, Silvio ; Nestor Galvan, Beppe. Chœur de l’opéra de Limoges (chef de chœur : Arlinda Roux-Majollari) et orchestre de l’opéra de Limoges : Pavel Baleff
Avec la collaboration récurrente du collectif le Lab (Jean-Philippe Clarac et Olivier Deloeuil), l'Opéra de Limoges s'est fait spécialiste de l'utilisation du répertoire pour interroger notre actualité cette production du Pagliacci de Leoncavallo ne déroge pas à cette règle pour un spectacle malin mais pas toujours très limpide.
Nous l'avons déjà écrit mais ces dernières années, l'Opéra de Limoges est devenu un laboratoire de mise en scène avec une préoccupation constante : remettre l'opéra au cœur du village et interroger le présent au travers du répertoire lyrique en l'inscrivant dans notre réalité quotidienne. Cette démarche a sans doute contribué à sa labellisation en début d'année comme « Théâtre lyrique d'intérêt national » par le ministère de la Culture.
Ce soir, ce sera donc le Pagliacci de Ruggero Leoncavallo, opéra vériste au succès jamais démenti, évocation de la vie des saltimbanques et du difficile métier de l'artiste toujours obligé de continuer à jouer même quand la vie privées se disloque.
Lors du prologue, le personnage de Tonio explique aux spectateurs qu'ils vont assister à une confusion de la réalité et de la fiction. De fait, l'œuvre comprend une mise en abyme ; une troupe de comédiens ambulants arrive dans un village et annonce la représentation de leur comédie le soir même. L'acte I constitue l'action réelle (celle vécue par les comédiens/clowns et la découverte par Canio de l'infidélité de sa compagne qui le laisse dans le plus grand désarroi) tandis que l'acte II est celui du théâtre dans le théâtre. La représentation du drame conjugal abolit ici la frontière entre fiction et réalité puisque Canio oublie qu'il est sur scène et tue sa femme et son amant devant les villageois venus assister au spectacle. Tel est écrit le livret.
Tout en conservant le principe de la mise en abyme mais en le démultipliant, Le Lab choisit d'axer son travail sur la problématique des féminicides et du traitement qui en est fait dans notre société. S'inspirant des nouvelles thérapies qui apparaissent dans les unités spécialisées, ils nous présentent le personnage du clown Canio après le meurtre de sa compagne. Dans le cadre de sa condamnation au tribunal de Limoges (habiles vidéos façon BFM et plutôt bien insérées dans le prologue qui rappellent que l'œuvre est inspirée d'un fait divers), il est pris en charge par une équipe médicale qui décide de lui faire rejouer la scène du meurtre pour achever sa prise de conscience.
L'approche est intéressante par la mise en perspective qu'elle propose, mais, contrairement à de précédentes propositions du duo (notamment leur superbe Ariane à Naxos présentée sur la même scène en 2022), très rapidement un manque de cohérence et de lisibilité apparaît. L'acte I qui est la réalité de la vie des artistes est ici transposée dans l'unité spécialisée où Canio est pris en charge. Or le livret résiste, et de la réalité des artistes on passe à la réalité des internés qui reprend celle des artistes … Cette démultiplication du procédé est un peu compliquée à digérer et une distorsion se crée immanquablement entre la réalité du texte et celle des metteurs en scènes. Au regard de la note d'intention de Clarac et Deloeuil (indispensable à lire avant le début du spectacle) ce brouillage semble voulu mais la simplicité vériste se perd un peu en route car la prouesse de la mise en scène, pour intelligente qu'elle soit, apporte trop de distance en faisant passer le dispositif avant les personnages.
De fait, l'émotion est ici portée par des chanteurs de haut niveau dans cette maison qui soigne toujours ses distributions.
Et en premier lieu saluons la performance d'Alejandro Roy, magnifique Canio à la voix puissante, et large tout en ménageant des couleurs et des nuances, entre brutalité et désarroi profond. Par l'attention qu'il porte aux mots et à la diction, le « vesti la giubba » est simplement déchirant car il ramène une simplicité et une humilité d'approche au dispositif scénique.
Particulièrement investie scéniquement, sa Nedda, interprétée par la soprano Claudia Pavone impressionne elle aussi par une projection insolente, des aigus dardés et un style probe tout en donnant l'apparence de la spontanéité. Provocatrice, amoureuse, enjôleuse, elle assume parfaitement toutes les facettes du personnage. Au moyen d'une grande densité vocale, Philippe-Nicolas Martin confère à son Silvio beaucoup de virilité et de sensualité. Sergio Vitale est un magistral Tonio au timbre sombre et cuivré avec une autorité scénique impressionnante. Son parfait legato lui permet également de donner beaucoup d'élégance à son personnage vengeur et pervers. Enfin, le Beppe de Nestor Galvan complète la distribution avec un grand panache et des couleurs particulièrement appréciées dans le rôle d'Arlequin au II.
Le chœur a un rôle important dans cette œuvre du spectacle dans le spectacle. Son engagement et sa précision sont sans faille assumant parfaitement le caractère populaire de leur partition.
Œuvre d'ambiance et de réalisme, Pagliacci convoque dans la fosse des cloches de village, des trompettes pour l'arrivée des clowns. A la tête du plus en plus bel orchestre maison, Pavel Baleff soigne les contrastes et les couleurs pour distinguer musicalement les caractères et les ambiances. Sans délaisser la mélancolie qui se dégage des personnages et de leurs destins contrariés, il apporte beaucoup de tension dans les passages dramatiques, ainsi qu'une tendresse et une onctuosité bienvenue dans les moments les plus lyriques. Beaucoup de l'émotion ressentie ce soir lui est due.
Crédit photographique : © Timothée Buisson /Opéra de Limoges
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Limoges. Opéra. 15-V-2024. Ruggero Leoncavallo (1857-1919) : Pagliacci, opéra en deux actes. Mise en scène, scénographie et costumes : Jean-Philippe Clarac & Olivier Deloeuil – Le Lab. Assistant à la mise en scène : Christophe Pitoiset. Dramaturgie : Luc Bourrousse. Lumières : Rick Martin. Vidéo : Pascal Boudet et Timothée Buisson. Graphisme : Julien Roques. Avec : Alejandro Roy, Canio ; Claudia Pavone, Nedda ; Sergio Vitale, Tonio ; Philippe-Nicolas Martin, Silvio ; Nestor Galvan, Beppe. Chœur de l’opéra de Limoges (chef de chœur : Arlinda Roux-Majollari) et orchestre de l’opéra de Limoges : Pavel Baleff