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Lise Davidsen prend Salomé à l’Opéra de Paris

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Paris. Opéra Bastille. 12-V-2024. Richard Strauss (1864-1949) : Salomé, drame lyrique en un acte, d’après la pièce éponyme d’Oscar Wilde, dans la traduction allemande de Hedwig Lachmann. Mise en scène : Lydia Steier. Décors & vidéos : Momme Hinrichs. Costumes : Andy Besuch. Lumières : Olaf Freese. Dramaturgie : Maurice Lenhard. Avec : Lise Davidsen, Salome ; Johan Reuter, Iokannan ; Gerhard Siegel, Herodes ; Ekatarina Gubanova, Herodias ; Pavol Breslik, Narraboth ; Katharina Magiera, Page der Herodias ; Matthäus Schmiedlechner, Eric Huchet, Maciej Kwaśnikowski, Tobias Westman, Florent Mbia, Juden ; Luke Stoker, Yiorgo Ioannou, Nazarener ; Dominic Barbieri, Bastian Thomas Kohl, Soldaten ; Alejandro Baliñas Vieites, Ein Cappadocier ; Ilanah Lobel-Torres, Ein Sklave. Orchestre de l’Opéra national de Paris, direction musicale : Mark Wigglesworth

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Après Elza van den Heever, la mise en scène de voit prendre le rôle de Salomé de , dans une reprise assagie bien que toujours malsaine, sous la direction de .


À son apparition en 2022 à Bastille, la production de avait choqué une partie du public, tout en ne parvenant pas par ses clichés à convaincre le pan plus moderniste des spectateurs et de la presse. Deux ans plus tard et même si la majorité des auditeurs est maintenant présente avant tout pour , il faut tout de même reconnaître quelques qualités au propos.

À l'opposé de la recherche d'un érotisme orientaliste suranné, Steier intègre l'histoire dans un monde moderne dystopique, situé dans un décor d'égouts (Momme Hinrichs) contrebalancé par une orgie de riches en costumes kitsch (Andy Besuch), visible par les vitres d'un salon en hauteur. À la manière de certaines mises en scène de répertoires quand elles sont reprises, celle-ci remontée par Victoria Sitjà s'est déjà apaisée, tout en gardant quelques idées fortes au milieu de nombreuses autres trop souvent vues. Pour la plus malaisante : la danse est occultée et remplacée par un viol, où Hérode, plutôt que de regarder le corps de son fantasme, y met d'abord les mains, puis la bouche et enfin le sexe, avant de laisser tous les autres convives le profaner.


Loin d'être gratuite, cette vision ramène avec dégoût à la notion de domination masculine, la femme devant accepter de se donner entièrement pour obtenir ce qu'elle souhaite. Steier ôte donc toute sensualité à l'histoire biblique, pour rappeler que dans le monde moderne, cela n'est autre qu'un abus, possible seulement en raison du pouvoir des hommes sur les femmes. Mais s'il y a deux ans s'affirmait totalement l'idée de viol, la reprise laisse plus de marge pour instiller aussi celle d'un rapport assumé de prostitution de Salomé, dans la continuité de celle de sa mère, afin de soulager l'idée fixe répétée ensuite pendant de longues minutes : obtenir la tête de Iokanaan (Saint Jean-Baptiste). Auparavant blanche et pure, elle sort du viol dans une robe souillée non seulement de son sang, mais aussi, sur ses mains, de celui du meurtre commandité. Pourtant, dans son propos féministe jusqu'au-boutiste, laisse celle qu'elle montre comme victime s'envoler vers les cieux, protégée par la cage du saint adoré, tandis qu'Hérode se fait abattre. Lors de la création, tous les autres violeurs étaient aussi supprimés dans la pièce du haut et des litres d'hémoglobines projetés sur les vitres.

Évidemment gênante et souvent mise à mal dans sa réalisation, la production ne met cependant jamais en défaut les chanteurs, à l'image du Narraboth charmeur de , destiné à se suicider (ici d'une balle dans la gorge) par dépit amoureux. Ténor de luxe pour un si petit rôle, celui qui prendra bientôt Lohengrin offre un style héroïque à ses cris d'amours du début, à l'opposé du Hérode volontairement ingrat de . Nerveux et enlaidi par son costume, le ténor de caractère passé par tous les grands rôles wagnériens retrouve avec le Tétrarque ses airs de Loge et de Mime du Ring, et laisse la classe vocale à sa femme. Particulièrement bien servie par le médium et la force de projection d'Ekatarina Gubanova, Hérodias s'impose toute-puissante jusqu'à la scène finale.


Le groupe des cinq juifs, trop dépareillés pour convaincre, met en avant le premier (Matthäus Schmiedlechner), de même que le premier soldat (Dominic Barbieri) se démarque par rapport aux autres seconds rôles. Par le manque de profondeur de ses graves, ne possède pas le charisme des grands Iokannan, mais de toute façon, il est en concurrence cette fois avec beaucoup plus sublime. Car si Elza van den Heever avait déjà fait forte impression en 2022, c'est évidemment qui remporte aujourd'hui tous les suffrages. En prise de rôle, celle que l'on attend déjà comme la grande Isolde de la prochaine décennie déploie avec facilité sa voix fascinante de largeur, qu'elle peut aussi moduler et abaisser pour nuancer les piani. Dommage que les consonnes manquent trop souvent, de même que ressort une sensualité plus adaptée à Wagner qu'à Strauss, pour une interprétation finalement plus impressionnante que touchante, bien que véritablement engagée scéniquement.

En accord avec cette proposition, la direction de (pour la deuxième fois dans la fosse cette année après Beatrice di Tenda) procure une belle densité à la musique de Strauss, à défaut d'utiliser les couleurs françaises disponibles dans l', tant dans les cordes que les bois. Dynamique et maintenue de bout en bout, cette lecture pèche seulement parfois par son manque de tension et de noirceurs, notamment dans le duo suivant la Danse. De même, les tutti d'orchestre sont bien nets et efficaces, mais sans posséder la violence de ceux des grandes formations allemandes, ni l'ampleur du chant de la soprano norvégienne.

Crédits photographiques : © Charles Duprat – Opéra national de Paris

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Paris. Opéra Bastille. 12-V-2024. Richard Strauss (1864-1949) : Salomé, drame lyrique en un acte, d’après la pièce éponyme d’Oscar Wilde, dans la traduction allemande de Hedwig Lachmann. Mise en scène : Lydia Steier. Décors & vidéos : Momme Hinrichs. Costumes : Andy Besuch. Lumières : Olaf Freese. Dramaturgie : Maurice Lenhard. Avec : Lise Davidsen, Salome ; Johan Reuter, Iokannan ; Gerhard Siegel, Herodes ; Ekatarina Gubanova, Herodias ; Pavol Breslik, Narraboth ; Katharina Magiera, Page der Herodias ; Matthäus Schmiedlechner, Eric Huchet, Maciej Kwaśnikowski, Tobias Westman, Florent Mbia, Juden ; Luke Stoker, Yiorgo Ioannou, Nazarener ; Dominic Barbieri, Bastian Thomas Kohl, Soldaten ; Alejandro Baliñas Vieites, Ein Cappadocier ; Ilanah Lobel-Torres, Ein Sklave. Orchestre de l’Opéra national de Paris, direction musicale : Mark Wigglesworth

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