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La musique des seuils au Festival de musique de chambre contemporaine de Witten

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Witten (Allemagne) ; Wittener Tage für neue Kammer-Musik 03-05 mai 2024
3-05 : Hannes Seidl (né en 1977) : Unfinished circles, pour quatuor à cordes (CM) ; Quatuor Arditti. Francesca Verunelli (née en 1979) : In margine, pour ensemble de cordes ; Ensemble Resonanz ; direction Friederike Scheunchen.
4-05 : AJ Villanueva (né en 1989) : kun-di-kam-pa-na (CM) ; Sara Stevanović (née en 1998) : search : pink fingers fragile archives (CM) ; Monthati Masebe (né en 1995) : Kusha (CM) ; Ensemble Recherche. Raven Chacon (né en 1977) : Report, pour Feuerwaffen-Ensemble ; Call for the Company, in the Morning pour huit trompettes (CM) ; The monochrome project. Francesca Verunelli (née en 1979) : Songs and voices ; ensemble C Barré et Neue Vocalsolisten ; direction, Sébastien Boin.
5-05 : Francesca Verunelli (née en 1979) : Unfolding II, pour quatuor à cordes ; Andare, pour quatuor à cordes ; Quatuor Béla. Farzia Fallah (née en1980) : Chains – the Sens of Movement and Change, pour orchestre (CM) ; Dai Fujikura (né en 1977) : Konzert für Trompete und Orchestra (CM) ; Francesca Verunelli (née en 1979) : From scratch, pour orchestre (CM) ; Marco Blaauw, trompette ; Orchestre de la WDR de Cologne ; direction Lucie Leguay.

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Concentré sur trois jours, durant un grand week-end attirant bon nombre d'aficionados (du 3 au 5 mai), les Wittener Tage für neue Kammermusik au cœur de la Ruhr, mettaient à l'honneur la compositrice italienne .

Marchant résolument dans les pas de son prédécesseur Harry Vogt auprès de qui il s'est formé, le nouveau directeur du festival de Witten, , dramaturge et auteur à la WDR3, signe sa première édition : en maintenant le principe de la résidence d'artiste durant tout le festival, celle de , lauréate en 2020 d'un prix Ernst-von-Siemens d'encouragement (fondation musicale qui soutient les « Wittener Tage ») ; et en affirmant une volonté d'ouverture et de diversité, dans les esthétiques comme dans les pratiques. L'électronique tient une place importante dans une programmation qui accueille également les projets pluridisciplinaires. Ainsi l'ensemble de Fribourg, Recherche (huit instrumentistes et un ingénieur du son), a-t-il investi le Werk Stadt Witten, l'une des nombreuses friches industrielles de la ville minière reconvertie en salle de spectacle, pour présenter Other Histories, un voyage par delà les frontières sur le thème de l'archive et de la mémoire. L'aventure est collective, réunissant trois artistes d'horizons différents ayant, chacun à sa manière, imaginer une forme artistique mêlant le son à l'image et une composition originale qui interagit avec les traces du passé. Pour le Philippin AJ Villanueva, il s'agit de partir des cloches millénaires des Philippines (qui font l'objet un film documentaire préalable) et d'inscrire leur résonance dans une partition contemporaine. La confrontation avec le passé est d'ordre plus personnel pour la compositrice serbe évoquant, dans son titre, search : pink fingers fragile archives, les souvenirs d'excursions ou de fêtes d'anniversaire dans sa petite enfance ; les images en 3D projetées sur un tulle sont superbes qu'accompagne une musique d'objets sonores jouant avec l'hétérogénéité des sources. L'artiste sonore, performeuse sub-africaine oriente sa recherche vers les instruments de son pays, la guimbarde géante notamment projetée sur l'écran. Sur scène, les interprètes s'emparent des instruments traditionnels qu'ils mêlent à la lutherie contemporaine dans une composition joliment colorée tenant davantage de la performance improvisée que de la partition écrite. L'investissement des interprètes n'en est pas moins total et la cohérence du propos toujours maintenue dans un flux continu du son et de l'image.

C'est à qu'est attribué le WDR Liminal Music Prize für musikalische Grenzüberschreitungen (Liminal Music Prize pour le franchissement des frontières musicales), un nouveau prix doté de 10 000 euros attribué par la WDR (Westdeutscher Rundfunk) qui récompense les projets reliant de manière innovante les pratiques et musiques traditionnelles au monde sonore d'aujourd'hui.

Musique et scénographie

Habitué du festival où il vient jouer très régulièrement, le mythique se donne cette année en spectacle dans le Theatersaal, la grande salle du forum culturel de Witten. Les quatre interprètes sont assis séparément dans des cages de verre placées sur un rail de scène tournant, une installation luxueuse faisant jouer la lumière avec l'espace,  conçue par la scénographe .

L'idée d'isoler chacun des musiciens du quatuor lui a été soufflée par Stockhausen et son Helikopter-Streichquartet où les cordes frottées (et amplifiées) des Arditti se mêlaient aux vibrations de l'appareil volant. La rotation est ici silencieuse, chaque musicien, casque sur la tête, mettant à l'œuvre l'énergie du geste pour interpréter la pièce de , Unfinished Circles, entendue en création mondiale.

Trompettes et fusils

Spectaculaire également et bénéficiant de quelques rayons de soleil bienvenus, le concert en plein air et gratuit du samedi après-midi, en bordure de forêt, fait du bruit. Report pour Feurerwaffen-Ensemble (Ensemble d'armes à feu) de (Arizona) convoque les huit musiciens de , fusils en mains, qui tirent vers la forêt, provoquant un retour d'écho somptueux.

Du même compositeur, Call for the Compagny, in the morning, commande du festival, est plus bucolique et moins bruyant ; c'est un jeu d'appel entre les huit trompettes du Monochrome Project emmenées par (que l'on réentendra plusieurs fois durant le festival) ; la partition s'écrit sur une seule note et multiplie à l'infini les modes d'émission et les trajectoires du son : minimal mais efficace !

Les arias « en absence » de

Cinq pièces de Francesca Verunelli sont à l'affiche du festival permettant de mieux cerner le travail et l'esthétique d'une compositrice concentrée sur deux aspects essentiels de la musique : le temps et le timbre, deux dimensions qui, pour elle, ne peuvent exister l'une sans l'autre : comment écrire le timbre dans un temps qui se fait et se défait ? Son passage à l'Ircam en tant que compositrice en recherche de 2011 à 2012 est une étape importante dans l'évolution de sa pensée musicale, un laboratoire d'outils dont se nourrit aujourd'hui son écriture instrumentale. En témoignent les deux quatuors à cordes Unfolding II et Andare donnés en matinée, dans un concert-lecture où la compositrice répond aux questions de la musicologue Marina Seebe. Les musiciens du Quatuor Béla, qui ont créé les deux quatuors, sont sur la scène du Saalbau Witten, restituant avec une maîtrise rare une musique qu'ils connaissent bien et dont ils nous révèlent l'étrange beauté. Andare (2003), le plus récent, est joué en premier en raison de la scordatura (l'accord modifié) des quatre instruments qui permet à Verunelli d'aller vers la qualité du timbre recherché : une musique des seuils (registre suraigu des cordes) souvent pulsée (qui avance) dans une temporalité toujours mouvante. La place de l'archet sur la corde, l'émission du son et son mode d'entretien (les instruments sont amplifiés à dessein), tout fait musique pour atteindre cette terra incognita dont rêve la compositrice. Unfolding II (2021) est la version d'Unfolding (2011) sans électronique, le « déploiement » dans l'espace-temps d'une figure timbrale (l'énergie première) dont on suit les transformations/métamorphoses sans jamais perdre le fil de la trajectoire. Le geste est virtuose et la sonorité des Béla empreinte d'une sensualité qui décuple l'émotion.

L'univers ductile des cordes qu'aime aborder Verunelli s'agrandit avec In margine (2021-2022), une pièce récente que l'ensemble hambourgeois Resonanz, qui l'a créée, interprète, en soirée, sous la direction de la cheffe . La scordatura sur l'ensemble des instruments est une donnée indispensable à la recherche verunellienne, comme la microtonalité d'ailleurs qui nous fait basculer dans un ailleurs. Le timbre modelé par les techniques de jeu étendues (legno tratto, champ d'harmoniques aiguës, rebond de l'archet sur la corde, granulation des basses) fait advenir une certaine vocalité au sein des cordes : sifflet, fredons, souffle, grognements et autres hétérophonies lointaines s'entendent comme autant d'illusions acoustiques.

Cette présence du chant dans l'absence d'une voix qui chante (« des arias en absence », aime à dire la compositrice) est aussi le questionnement premier de Songs and Voices. La partition est à ce jour le grand œuvre de Verunelli qui a, pour l'instant, écarté tout projet d'opéra. Sorte de cantate en six mouvements dépassant l'heure de musique, l'œuvre a été créée à la Biennale de Venise 2023 et tourne sur la scène internationale (BIME de Lyon, Ircam, Propagations de Marseille, Éclat de Stuttgart), superbement portée par l' et les Neue Vocalsolisten sous la direction de Sébastien Boin.

Le premier numéro, Five Songs (Kafka's sirens), inspiré par Le Silence des sirènes de l'écrivain tchèque, préexiste à la cantate, écrit pour C Barré (ensemble amplifié) en 2015 par la compositrice qui creuse le paradoxe du chant sans la voix : la pièce éblouissante, tant par l'imaginaire sonore à l'œuvre que la virtuosité déployée par les instrumentistes, s'achève sur une grande « clameur instrumentale ».

Sur la scène, les cordes pincées (guitare, mandoline et harpe), noyau instrumental de C Barré, voisinent les cordes frottées (contrebasse et violoncelle) auxquelles font face les anches graves (clarinette basse, saxophone baryton), la trompette, l'accordéon et la percussion très sollicitée. L'ambiguïté des sources sonores opère et les souffles fusionnent dans un espace où microtonalité et scordatura infiltrent l'écriture ; entre granulations laryngées des anches, chant diphonique des voix solistes (Voices) et son fry (ultra-grave) d' (Vocali), l'écoute est captive et immersive. Verunelli fait advenir la voix (Truike van der Poel) dans A valediction for her sister (a love song), un chant éperdu en langue griko (dialecte grec) adressé à la sœur disparue, dont la guitare et ses sonorités détempérées ajoutent à l'étrangeté. Nombre d'accessoires, dans les mains des interprètes comme dans celles des chanteurs (petits harmonicas) participent à l'exécution de ce grand rituel incantatoire qui s'achève dans la transe.

C'est également ce très beau moment d'émergence vocale (illusion acoustique toujours) à travers les vibrations graves des cuivres qui nous enchante dans From Scratch. La nouvelle partition de Verunelli donnée en création par le WDR sinfonieorchester Köln (Orchestre de la Radio de Cologne) sous la direction de referme cette édition 2024 du festival, au côté des œuvres de la compositrice iranienne (Chains – the Sense of Movement and Change) et le Konzert für Trompete (à deux pavillons) und Orchester (soliste ) de .

Crédit photographique : © WDR / Claus Langer ; © Kulturforum Witten / Dana Schmidt

 

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3-05 : Hannes Seidl (né en 1977) : Unfinished circles, pour quatuor à cordes (CM) ; Quatuor Arditti. Francesca Verunelli (née en 1979) : In margine, pour ensemble de cordes ; Ensemble Resonanz ; direction Friederike Scheunchen.
4-05 : AJ Villanueva (né en 1989) : kun-di-kam-pa-na (CM) ; Sara Stevanović (née en 1998) : search : pink fingers fragile archives (CM) ; Monthati Masebe (né en 1995) : Kusha (CM) ; Ensemble Recherche. Raven Chacon (né en 1977) : Report, pour Feuerwaffen-Ensemble ; Call for the Company, in the Morning pour huit trompettes (CM) ; The monochrome project. Francesca Verunelli (née en 1979) : Songs and voices ; ensemble C Barré et Neue Vocalsolisten ; direction, Sébastien Boin.
5-05 : Francesca Verunelli (née en 1979) : Unfolding II, pour quatuor à cordes ; Andare, pour quatuor à cordes ; Quatuor Béla. Farzia Fallah (née en1980) : Chains – the Sens of Movement and Change, pour orchestre (CM) ; Dai Fujikura (né en 1977) : Konzert für Trompete und Orchestra (CM) ; Francesca Verunelli (née en 1979) : From scratch, pour orchestre (CM) ; Marco Blaauw, trompette ; Orchestre de la WDR de Cologne ; direction Lucie Leguay.

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