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Quand le Théâtre des Champs-Elysées fait danser Audrey Hepburn

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Théâtre des Champs-Elysées, Paris. 23-IV-2024. Dans les yeux d’Audrey. Chorégraphie et mise en scène :  François Mauduit. Biographe : Caroline Ami. Décors : Luc Dedieu. Costumes : Marie Maret. Lumières : Anthony Le Fur, Marion Pageaud. Compagnie François Mauduit, avec en solistes, Haruga Ariga, Lorenzo Bernardi, Francesco Cafforio, Louise Djabri, Nicola Lazzaro, Géraldine Lucas, Shiori Matsushima, Capucine Ogonowski, Vittoria Pellegrino, Mohamed Sayed, Nelly Soulages. Musiques enregistrées de Henri Mancini, Leonard Bernstein, Edvard Grieg, Georges Auric, Maurice Ravel, Jean Sibelius, Franz Schubert, Dmitri Chostakovitch, Léo Ferré, Henri Contet, Joseph Kosma, Leroy Anderson, George Gerschwin…

Qui fût Audrey Hepburn ? La jeune génération n'en a sûrement aucune idée. C'est pour cela que le projet de a son importance. Ce (trop) rare chorégraphe classique français capable de faire vivre une jeune compagnie indépendante, a relevé ce défi de créer un ballet-biopic ambitieux et relativement réussi.

Le ballet-biopic est un genre récent et plutôt rare dans la danse. Or, il  a le vent en poupe chez les chorégraphes actuels. C'est tant mieux, car il possède une vertu pédagogique pour le public, et théâtrale pour les danseurs. Ces dernières années, on a ainsi vu se monter un biopic sur Noureev (au Bolchoï, ce qui est un comble lorsqu'on connait son destin), d'autres sur Frida Kahlo ou Coco Chanel (par Annabelle Lopez Ochoa), Toulouse-Lautrec (par Kader Belarbi au Capitole de Toulouse), Nijinsky (par John Neumeier), Jacqueline Dupré, Anna Göldi ou la Reine Victoria (par la Britannique Cathy Marston)…

Comparé à tous ces destins-là, Audrey Hepburn est un personnage plus lisse, moins disruptif, et c'est peut-être là que pouvait être l'écueil du livret. Comment raconter ce qui n'est pas si théâtral, ni dramatique, et juste énormément glamour ? répond : par la danse et encore la danse, d'autant qu'Audrey Hepburn rêvait d'être ballerine (voir l'interview qu'il a donné à ResMusica sur ce projet). Mais raconter une vie par des ensembles abstraits ne peut suffire. Il faut aussi une solide dramaturgie avec des personnages clairement identifiables.

Le ballet s'ouvre très vite sur un tableau justement purement abstrait, pour une dizaine de danseuses en tutus courts un peu trop flashy, et d'un niveau inégal (certaines sont très douées, d'autres moins) pour des variations à l'esprit balanchinien. Un autre tableau, celui du bal qui suit la remise à Audrey Hepburn de son Oscar pour Vacances Romaines est en revanche très maîtrisé, sur des partitions de Georges Auric, Ravel (les Valses nobles) ou Sibelius (Valse triste) très adéquates et des costumes féminins qui, de surcroît, épousent parfaitement la chorégraphie.

Il faut pourtant retrouver la narration, et c'est ce que réussit formidablement à faire dans plusieurs tableaux de la première partie, notamment dans la rencontre d'Audrey avec la France, Paris, et Givenchy. Avec trois accessoires très simples (une penderie de couturier, un panneau de rue pour l'Avenue George V, une table de café, un arbre…), des danseuses-couturières, tout est dit. Mauduit introduit alors un second personnage formidable qui est Hubert de Givenchy, couturier fidèle d'Audrey Hepbrun. , danseur immensément doué, sait tout faire : jouer, maîtriser le classique, le jazz, le music-hall…Tout comme le garçon de café, l'intrépide , qui jouit de variations hors pair, drôles et très physiques, qui ne sont pas sans rappeler celles des serveurs dans La Chauve-souris de Roland Petit. Ce dernier tableau avant l'entracte, parfaitement construit, alterne aussi  les choix musicaux avec intelligence, passant des Jazz Suite de Chostakovitch aux grandes chansons françaises phare des années 50 que sont Jolie Môme de Léo Ferré, Padam de Henri Contet chantée par Edith Piaf et Les Feuilles mortes de Kosma.

Après l'entracte , un autre tableau fort nous emmène sur un plateau de tournage. La scène fait évidemment penser au Cendrillon de Noureev et aux nombreux films de comédies musicales nous montrant l'envers du décor. Mais pourquoi pas ? Tout ce petit monde grouille entre metteur en scène (où l'on retrouve l'excellent ), chef opérateur (tout aussi brillant ) et starlettes venant passer l'audition, consistant en variations classiques de belle facture. Ce qui nous permet d'apprécier les quatre belles solistes de la compagnie (, , , ) et de voir comment  le chorégraphe réussit alors l'adéquation entre la narration très concrète et la chorégraphie. Et comment le chorégraphe a su choisir une belle palette musicale, adaptée à chaque période.

François Mauduit nous montre aussi, entre la célébrité, les sunlights et les adulateurs, la grande solitude d'une star pourtant entourée, sa fragilité, sa posture toujours droite, élégante, parfaite, qui cache une très grande sensibilité. En ce sens, il ne s'est pas trompé de sujet. Derrière Hepburn, il y a Audrey. Petite fille anglo-néerlandaise, née d'un mariage pas heureux, et d'un père qui deviendra pro-nazi après avoir quitté le foyer conjugal. François Mauduit l'illustre par un « homme en noir » () que l'on retrouve à plusieurs reprises. Et cela donne lieu à un adage très beau entre Audrey et cet homme obsédant, qui peut être aussi celui qui fût son mari, dans une union longue mais distandue, l'acteur et réalisateur Mel Ferrer. La solitude d'Audrey, c'est aussi le regard qu'elle porte sur elle-même, et sur sa jeunesse, avec un joli tableau de deux danseuses se faisant face (Audrey d'âge mur, et la jeune Audrey), avec un miroir de loge entre elles deux.

Il y a même trois Audrey dans ce biopic dansé : la jeune (), l'adulte () et la femme mure (). L'idée est bonne, d'autant que la femme mûre, la très belle , qui ressemble étonnamment à son héroïne, n'aurait plus la possibilité de danser de grandes variations sur pointe. Les voir ensemble, dans le dernier tableau chanter en play-back « Moon river », la chanson composée pour Audrey Hepburn dans « Diamants sur canapé » a quelque chose d'émouvant.

Évidemment, dans ce biopic d'une actrice de cinéma, il manque l'image, métier d'Audrey. Fallait-il recourir à la vidéo, aux films ou aux photos de plateau pour illustrer sa légende, mais aussi, sa vie de comédienne ? Recourir à la vidéo pour un spectacle vivant est un choix cornélien. Il y a ceux qui en abusent, et ceux qui s'y refusent. François Mauduit n'avait sans doute pas le choix, au vu des droits d'auteur afférents et forcément exorbitants. Pourtant, cela n'aurait pas été inutile, au moins une fois, tant il était important de recréer son univers, qui n'était pas celui de la scène, mais bien du cinéma.

Pour autant, cet exercice ambitieux et risqué de chorégraphier une vie hollywoodienne avec un budget peu extensible est plutôt réussi et courageux, dans la conjoncture économique actuelle. Il ne lésine pas sur les musiques, mais aussi sur les costumes, de belle facture (notamment certaines reconstitutions de costumes de films), essentiels pour figurer une actrice particulièrement élégante. On attend le prochain projet de François Mauduit qui sera à nouveau…un biopic dansé, autour de Cléopâtre. Une femme autrement plus puissante, d'un temps où la danse se pratiquait… de profil.

Crédits photographiques : @ D.Robin, © E.Fiaudrin , @ David Herrero

 

 

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Théâtre des Champs-Elysées, Paris. 23-IV-2024. Dans les yeux d’Audrey. Chorégraphie et mise en scène :  François Mauduit. Biographe : Caroline Ami. Décors : Luc Dedieu. Costumes : Marie Maret. Lumières : Anthony Le Fur, Marion Pageaud. Compagnie François Mauduit, avec en solistes, Haruga Ariga, Lorenzo Bernardi, Francesco Cafforio, Louise Djabri, Nicola Lazzaro, Géraldine Lucas, Shiori Matsushima, Capucine Ogonowski, Vittoria Pellegrino, Mohamed Sayed, Nelly Soulages. Musiques enregistrées de Henri Mancini, Leonard Bernstein, Edvard Grieg, Georges Auric, Maurice Ravel, Jean Sibelius, Franz Schubert, Dmitri Chostakovitch, Léo Ferré, Henri Contet, Joseph Kosma, Leroy Anderson, George Gerschwin…

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