Les Ecoles de danse du monde entier accueillies à l’Opéra Garnier
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Paris. Palais Garnier. 17-IV-2024. Gala des Écoles de Danse du XXIe siècle. Suite en Blanc. Chorégraphie : Serge Lifar. Musique : Edouard Lalo. Ecole de danse de l’Opéra National de Paris. Danse sacrée et danse profane, Chorégraphie : Dana Genshaft. Musique : Claude Debussy (Danse sacrée et danse profane). San Francisco Ballet School, Kermesse à Bruges. Chorégraphie : August Bournonville. Musique : Holger Simon Paulli. Royal Danish Ballet School. Raphsody. Chorégraphie : Frederick Ashton. Musique : Sergei Rachmaninov. Cinq Tangos. Chorégraphie : Hans van Manen. Musique : Astor Piazzolla. Dutch National Ballet Academy. Yondering. Chorégraphie : John Neumeier. Musique : Stephen Collins Foster. School of the Hamburg Ballet John Neumeier. Lay Dances. Chorégraphie : James Kudelka. Musique: Michel Torke. Canada’s National Ballet School. Winter. Chorégraphie : Demis Volpi. Musique : Antonio Vivaldi. Scuola di Ballo dell’Accademia Teatro alla Scala. Un ballo. Chorégraphie : Jiří Kylián. Musique : Maurice Ravel (Le Tombeau de Couperin, Pavane pour une infante défunte). Défilé des écoles. Musique : Felix Mendelssohn (La Marche d’Athalie). Orchestre des Lauréats du Conservatoire. Direction musicale : Yannis Pouspourikas
C'est la troisième fois que l'École de Danse de l'Opéra national de Paris invite sur la scène de l'Opéra Garnier ses homologues pour un Gala des Écoles de Danse du XXIe siècle. Le résultat est un feu d'artifice passionnant.
Inviter des délégations venues d'autres Écoles de danse de haut niveau est un pari autant qu'un risque et une gageure. Car le public va forcément dresser un état des lieux et faire des comparaisons. Le spectacle se doit d'être vif, rapide, efficace, avec des œuvres dont la programmatrice invitante (en l'occurrence Elisabeth Platel, directrice de l'Ecole de danse de l'Opéra de Paris) n'a pas forcément le libre choix. La gageure réside aussi dans l'absence de blessures, le bon déroulement du spectacle et le professionnalisme de jeunes danseurs encore en formation qui, pour les jeunes étrangers, vont découvrir un plateau très en pente. Et pourtant, cette soirée réunissant sept écoles supérieures de danse venues du monde entier est un quasi sans faute.
La soirée (sous l'égide des Olympiades culturelles 2024) a débuté et fini sur la puissance invitante qui s'est taillée la part du lion, et a misé sur le collectif. L'École de Nanterre venait d'achever sa série de représentations la veille et a donc offert des extraits de son spectacle annuel, en l'occurrence Suite en blanc de Lifar et Un Ballo de Kylian. Le chef d'oeuvre du grand maître de la danse française durant 50 ans est un ballet redoutablement difficile pour tout danseur même expérimenté, et sans doute était-ce un risque pour l'École de s'y frotter. L'idée était extrêmement défendable, tant il est important pour nos petits rats de se frotter au titan Lifar. Or, son style est complexe, les postures parallèles en sixième position, torse en avant ou en arrière, équilibres décalés, et petites batteries redoutables sont à l'évidence difficiles à intégrer pour ces jeunes, habitués à la technique droite comme un I de Marius Petipa. Mais il est bon de relever des défis, qu'ils rencontreront leur vie durant. Elisabeth Platel a gardé ce soir-là juste deux parties de solistes (la Sieste et la Flûte) là où le spectacle annuel comptait aussi la mazurka, la sérénade, la cigarette, l'adage…
Les trois jeunes filles de la Sieste (les seules en tutu long de la soirée), Constance Colin, Typhaine Gervais et Viktoriia Pirogova forment un bel ensemble, raffiné, délicat, avec un joli travail de bras. La titulaire de la Flûte (Eve Belguet), solo quand même crée pour Yvette Chauviré, a plus de mal que sa camarade Jasmine Atrous trois jours plus tôt. Restent les garçons, tous de très belle allure, qui savent se sortir de cette petite batterie et petits sauts redoutables que Lifar avait livré, en cette période de guerre. En effet, le ballet, crée en 1943, donne à voir un ballet « pauvre » – juste des costumes neutres (chemise blanche-collant noir pour les garçons, tutus blancs longs ou courts pour les filles) sur fond noir – mais à fort niveau technique afin de garder celui de la troupe en pleine Occupation. Ce qui frappe, en tout cas ce soir, c'est la qualité des ensembles, et la faculté des jeunes danseurs à tenir le rythme et prendre l'espace. Et à vrai dire, cette version courte de 15 minutes n'est pas désagréable, tant le ballet dans sa longueur habituelle de 40 minutes trahit une configuration qui, malgré tout, prend de l'âge…
Car la suite va nous montrer que l'on peut relire le vocabulaire classique avec une vraie modernité dont les Anglo-saxons sont passés maîtres, tout jeunes qu'ils sont au regard de l'histoire de notre institution française.
Les quatre représentants de l'École du San Francisco Ballet montrent une vitalité mêlant classicisme sur pointes et chutes au sol dans de beaux échanges en duo, récemment signés de Dana Genshaft, sur l'intéressante partition de Claude Debussy (Danse sacrée et danse profane, pour harpe et orchestre à cordes, œuvre peu souvent entendue).
L'idée forte du gala est que chaque École donne à voir son propre style national, permettant ainsi à ses représentants d'en être les meilleurs ambassadeurs, et au public de découvrir pour l'occasion des styles et des maîtres que l'on voit peu ou plus dans nos répertoires français. A l'École du Ballet du Ballet Royal danois de nous offrir, évidemment, un pas de deux signé… Bournonville. Le chorégraphe danois qui avait étudié à l'Opéra de Paris (entre 1824 et 1830) est revenu dans son pays natal pour y développer un style hybride fait de romantisme, d'académisme, de folklore, de renouveau de la technique masculine et de travail théâtral, où la musique, la gaîté et l'humour sont essentiels. Avec de surcroît une prolixe inventivité du travail de bas de jambe pour les garçons, une utilisation récurrente du petit rond de jambe à la seconde (dont raffola Noureev) et du haut du corps très balancé, ce qui donne une précieuse joie du mouvement. Les deux danseurs (Blanche Charlot et Victor Winslew) s'en sortent bien.
Cap sur Londres avec l'École du Royal Ballet qui décroche la palme des applaudissements. Il faut dire que la pièce choisie (des extraits de Raphsody de Frederick Ashton sur une musique de Rachmaninov, hélas jouée sur bande), avait déjà de quoi séduire. Elle est d'une musicalité impressionnante, et d'une modernité à la fois jazzy et classique très étonnante, datant pourtant de 1980 pour le 80ème anniversaire de la Reine Mère. Lorsqu'on sait qu'elle fût crée pour Mikhaïl Baryshnikov et Lesley Collier, on comprend pourquoi le niveau était si haut. De ce trio d'une grande diversité ethnique, on retiend surtout l'incroyable présence d'Emile Gooding, jeune métisse aux jambes immenses et d'une souplesse impressionnante, tant dans ses grands jetés que dans ses sauts. Il a déjà du métier derrière lui, ayant été Billy Elliott dans la comédie musicale du même nom. De même, sa partenaire, la jeune afro-américaine Rebecca Stewart, a une facilité et une joie de danser très contagieuse. Elle fût repérée par la Royal Ballet School lors de cours par Zoom durant le confinement.
Difficile, après ce feu d'artifice, de donner les plus arides tangos d'Hans van Manen. Mais les cinq danseurs de l'Académie du Ballet national de Hollande relèvent le défi de servir le maitre de la danse néerlandaise avec une belle dextérité. Le tango des deux garçons (Raul Izquiero Mulero et Adrian Lujan Manzano) suivi du solo du grand Devon Luxton ont du panache, relevé par deux danseuses au costume astucieux, prouvant au public que l'on peut user du vocabulaire classique pour danser sur des tangos d'Astor PIazzola.
Voyage ensuite vers Hambourg pour découvrir comment les apprentis maison dansent le Yondering de John Neumeier. Ils ont évidemment une « niaque », une subtilité du geste et de la théâtralité différentes de l'Opéra de Paris, et fort heureusement, puisqu'ils bercent dans l'univers Neumeier quotidiennement. Le registre des émotions adolescentes a ici, grâce à ces jeunes gens (épaulés par trois élèves de l'Opéra de Paris) une saveur délicieuse.
Les sept danseurs de l'École du Ballet National du Canada ainsi que les deux jeunes élèves de l'École de la Scala de Milan n'ont pas été aidés par la faible qualité (chorégraphique et musicale) des œuvres données (des extraits d'une pièce de James Kudelka pour les Canadiens et un duo de Demis Volpi pour les Italiens) . Ils ne déméritent pas, mais dans ce cas, il est difficile de faire passer une quelconque émotion.
Restait à finir le travail avec panache, et c'est donc le merveilleux Ballo de Jiri Kylian, offert par les élèves de l'Opéra de Paris qui clôture cette soirée, avec ces cinq duos tellement fluides, évidents, hypnotisants. Du grand Kylian, servis par de beaux interprètes en devenir, dont on oublie qu'ils sont encore élèves.
Et comme pour leur donner ce gage d'un avenir radieux, il n'y avait plus qu'à les faire défiler, tel le grand défilé du corps de ballet de l'Opéra de Paris, avec marche du fond de la scène (et même du foyer de la danse) vers le public. On aurait sans doute préféré les voir tous danser à leur manière, dans un feu d'artifice final, et voir les danseurs invités saluer au même rang que les petits rats français, mais qu'à cela ne tienne, ce voyage à travers les styles et les écoles grâce aux grands maîtres de la chorégraphie mondiale a atteint son but final, prouvant que la danse virtuose n'est pas morte et que ses jeunes serviteurs ont tous un très bel avenir qui s'ouvre à eux. C'est rassurant.
Crédits photographiques : © Svetlana Loboff / Opéra national de Paris
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Paris. Palais Garnier. 17-IV-2024. Gala des Écoles de Danse du XXIe siècle. Suite en Blanc. Chorégraphie : Serge Lifar. Musique : Edouard Lalo. Ecole de danse de l’Opéra National de Paris. Danse sacrée et danse profane, Chorégraphie : Dana Genshaft. Musique : Claude Debussy (Danse sacrée et danse profane). San Francisco Ballet School, Kermesse à Bruges. Chorégraphie : August Bournonville. Musique : Holger Simon Paulli. Royal Danish Ballet School. Raphsody. Chorégraphie : Frederick Ashton. Musique : Sergei Rachmaninov. Cinq Tangos. Chorégraphie : Hans van Manen. Musique : Astor Piazzolla. Dutch National Ballet Academy. Yondering. Chorégraphie : John Neumeier. Musique : Stephen Collins Foster. School of the Hamburg Ballet John Neumeier. Lay Dances. Chorégraphie : James Kudelka. Musique: Michel Torke. Canada’s National Ballet School. Winter. Chorégraphie : Demis Volpi. Musique : Antonio Vivaldi. Scuola di Ballo dell’Accademia Teatro alla Scala. Un ballo. Chorégraphie : Jiří Kylián. Musique : Maurice Ravel (Le Tombeau de Couperin, Pavane pour une infante défunte). Défilé des écoles. Musique : Felix Mendelssohn (La Marche d’Athalie). Orchestre des Lauréats du Conservatoire. Direction musicale : Yannis Pouspourikas