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Bolero, le film : deux heures au musée

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Boléro. Un film d’Anne Fontaine. Scénario : Anne Fontaine, Claire Barré, avec la collaboration de Pierre Trividic, Jacques Fieschi, Jean-Pierre Longeat. Avec : Raphaël Personnaz, Jeanne Balibar, Emmanuelle Devos, Sophie Guillemin, Dora Tillier, Anne Alvaro, François Alu, Vincent Perez, Serge Riaboukine, Alexandre Tharaud, Florence Ben Sadoun, Mélodie Adda, Marie Denarnaud.. Musique : Maurice Ravel (1875-1937). Frédéric Chopin (1810-1849). Musique additionnelle et Direction musicale: Bruno Coulais. Distribution : SND Distribution. Sortie le 6 mars 2024. Scope 2/35. Durée : 120:00

 
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Le cinéma français se penche sur un grand compositeur français. Tous les atouts de la réussite sont réunis. Mais la réalisation d' ne s'affranchit pas suffisamment des carcans de l'hagiographie.

Ken Russell (The Music lovers) avant-hier, Kirill Serebrennikov (La Femme de Tchaïkovski) hier : de l'Angleterre, de la Russie, et même de la France (Tous les matins du monde, d'Alain Corneau), la voie semblait enfin tracée. D', entrée en fanfare dans le Septième Art avec le très audacieux Nettoyage à sec, également à son meilleur avec le plus récent Les Innocentes, on attendait autre chose que ce Bolero presque impersonnel, déjà destiné à allonger la funeste liste des films banals et compassés consacrés aux dieux de l'histoire de la musique.

Bolero est pourtant né sous les meilleurs auspices : la plume originelle de Pierre Trévidic, les mains d' (embauché aussi pour régler son compte au critique Pierre Lalo), le corpus envoûtant du compositeur (assez bref, il irrigue abondamment le film), le privilège opportun d'un tournage dans la maison du compositeur (le Belvédère, à Montfort-l'Amaury), une distribution aux petits oignons. Doria Tillier, mécène et amie subtile en Misia Sert, Emmanuelle Devos, merveilleuse Marguerite Long, délectable Ida Rubinstein (surtout quand elle ne fait que parler, comme l'indiquent des scènes de ballet très découpés), Sophie Guillemin entérinant en Madame Revelot (la gouvernante de ) le splendide retour cinématographique acté en 2023 dans L'Île rouge de Robin Campillo, Anne Alvaro en monument de bonté maternelle : toutes femmes (Vincent Perez en Cipa, se chargeant seul du versant de l'amitié masculine) aux petits soins du Maurice le plus célèbre de France, incarné avec une vraisemblance indiscutable (il joue même les 80 % de la copieuse bande-son) par Raphaël Personnaz.

Le Mystère Ravel, sous-titre l'affiche du film. Discret, secret, n'a rien lâché de sa vie intime. Si le musicien est connu sur les cinq continents (le très habile générique début fait se succéder les interprétations les plus inattendues du chef-d'œuvre), l'homme est un mystère dont l'on espérait bien que la réalisatrice allait avoir à cœur de passer la carapace aux rayons X de sa caméra. Lorsqu'elle s'y emploie effectivement, l'objectif s'émeut dont l'on goûte le mouvement délicat au cours d'une scène très gracieuse consacrée aux questionnements de Misia à l'adresse de celui qui avoue de lui-même ne pas beaucoup mettre son cœur à contribution. Le Ravel de Fontaine en probable messie du no sex en vogue, voilà qui est habilement effleuré.

Dans la foulée de ce presque aveu, le film, ainsi que son titre l'indique, préfère suivre à pas comptés la genèse de la pièce la plus sexuée du compositeur : le Bolero, cette danse espagnole du XVIIIᵉ siècle que lui réclama, en 1927, la danseuse des Ballets russes, Ida Rubinstein. De ce tube planétaire (un carton final affirme que, tous les quarts d'heure, le Boléro de Ravel démarre quelque part dans le Monde), de cette vache à lait sonnante et trébuchante que des ayants-droits veulent aujourd'hui encore arracher à l'escarcelle du domaine public, Ravel qui, à la fin de sa vie, doutait qu'il en eût été l'auteur, confiera à Honegger : « Je n'ai fait qu'un chef-d'œuvre, c'est le Bolero ; malheureusement il est vide de musique. »

Fait d'aller-retours temporels (la tournée américaine de 1928, l'échec à répétition des cinq Prix de Rome, l'armée dont, assez curieusement, Ravel tint à forcer l'entrée, la maladie neurodégénérative qui l'emportera trop jeune…), le film radiographie l'élaboration de la scie musicale la plus fameuse de la planète (pensée pour le désopilant Batteur du Bolero de Patrice Leconte avec Jacques Villeret). Comme dans une des éditions discographiques des Demoiselles de Rochefort de Jacques Demy, où l'on peut suit note à note comment Michel Legrand finit par trouver la mélodie « Nous sommes deux sœurs jumelles », , à l'instar d'un guide de musée, suit le travail d'entomologiste de au piano à la recherche du thème que les ouvriers chanteront bientôt sur les chantiers. Elle le montre également faire musique de tous les bruits de son quotidien (« Mon inspiration vient des machines », disait-il). La leçon de la réalisatrice, dont le père était compositeur et organiste, elle-même danseuse, est certes instructive, mais on la suit d'un œil davantage scolaire que cinéphilique.

Anne Fontaine réussit néanmoins presque sa conclusion. Les dernières scènes suscitent l'admiration : dans un très beau noir et blanc, les derniers instants de Ravel font défiler toutes les femmes de sa vie, sans oublier Maman (on sait combien le compositeur s'effondra au décès de cette dernière) avant de passer le relais à François Alu, danseur étoile de l'Opéra de Paris, dont le surgissement, l'animalité sensuelle sans entraves, propulse enfin le film à la hauteur qu'on lui souhaitait. Mais la séquence, formidablement filmée et chorégraphiée, est beaucoup trop brève. Les deux heures pleines du film n'autorisaient-elles pas toute la place aux seules 15 minutes du Bolero ? On regrette Claude Lelouch, et son Les Uns et les autres, dont la caméra se laissait envoûter par le sublime en action : le corps de dans la géniale (et intégrale) chorégraphie d'un autre célèbre Maurice français, Béjart.

Le dernier plan du film, dédié à la gloire de Raphaël Personnaz en Ravel chef d'orchestre, nous ramène naïvement au musée. Peut-être Anne Fontaine, très documentée, voulait-elle rappeler aussi les mots vachards de la fidèle Marguerite Long : « C'était un très mauvais pianiste et un chef d'orchestre encore pire. »

Crédits photographiques : © SND Distribution

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