Charles Castronovo se déguise en Puccini

Avec le «relookage» des œuvres de jeunesse de Giacomo Puccini paru dans cet album, on affuble le compositeur d'un déguisement musical inutile et sacrilège.

Les opéras de Giacomo Puccini ont pris une place si prépondérante dans l'histoire de la musique qu'ils ont relégué ses autres compositions à des apparitions épisodiques. Il suffit de savoir que sur les douze opéras les plus joués au monde, trois sont de Puccini : La Bohème, Tosca, Madama Butterfly. La commémoration du centième anniversaire de la disparition du compositeur ravive l'intérêt pour ses œuvres mineures, comme les mélodies que le compositeur avait composées sur commande à l'occasion de mariages, de fêtes ou de commémorations. Rarement jouées, elles sont néanmoins extrêmement intéressantes pour l'analyse des opéras. La soprano hongroise Eva Marton en 2014 et sa consœur bulgare Krassimira Stoyanova en 2006 les avaient enregistrées sur des labels aujourd'hui difficiles à trouver. Seul subsiste encore une version d'un Plácido Domingo solaire gravée en 1989 en compagnie du chef d'orchestre américain Julius Rudel au piano (et à l'orgue).

Ainsi, pour coller à l'actualité de cette année commémorative, la firme allemande BR Klassik fait paraître un nouvel enregistrement intégral de ces mélodies avec le ténor américain Charles Castronovo. Étonnamment, dès les premières mesures, on a la surprise de découvrir une musique qui ne ressemble en rien à celle du maître de Torre del Lago. En effet, pour une raison difficile à comprendre, alors que ces mélodies sont écrites pour piano et chant, c'est un orchestre qui accompagne le ténor. Dans la notice de présentation, le jeune compositeur et chef d'orchestre allemand de 38 ans, Johannes X. Schachtner, explique que ces mélodies ne sont, dans l'esprit de Puccini, pas faites pour l'accompagnement d'un seul piano. Il a donc décidé de les orchestrer, d'une part, en essayant de respecter la pensée du compositeur et, d'autre part, en y mettant sa patte. Il est superflu d'affirmer que nous sommes loin du génie de coloriste d'un Puccini quand bien même la musique que propose le compositeur allemand est d'agréable facture.

Dans ce contexte, du déguisement de la musique de Puccini à celui de la personne même du compositeur, il n'y avait qu'un pas. Et, Charles Castronovo le franchit en se déguisant en Puccini sur la couverture de l'album comme à maintes reprises dans la notice. Quel irrespect ! Dommage, une approche plus modeste, plus authentique, de cet hommage, aurait profité à cet enregistrement.

Malgré cette couche de maquillage orchestral, la musique de Puccini émerge. C'est ainsi qu'une oreille attentive trouvera dans ces mélodies des passages musicaux que le compositeur collera à différents moments de ses opéras. Par exemple, dans Ad una morta, une composition datant de 1882, on entend une mélodie que le compositeur inscrira dans sa Manon Lescaut de 1893 ! Comme on retrouve dans l'air Donna, non vidi mai de cette même Manon Lescaut, un thème issu de la mélodie accompagnant le texte de Felice Romani, Metìa l'aviso. Plus flagrant encore est la fin de Sole e amore, un air composé en 1888 repris pratiquement note pour note dans La Bohème créé huit ans plus tard. Comme d'ailleurs la courte ouverture de La Bohème trouve ses notes dans le Capriccio sinfonico composé en 1893.

Certes avec un orchestre, le chant se trouve mieux soutenu qu'avec la mise à nu de l'accompagnement d'un piano. Charles Castronovo, dans le registre vocal de ténor-baritonal qui le caractérise aujourd'hui, chante avec beaucoup de générosité. On peut parfois regretter que la noirceur de sa voix n'a pas la tonalité idéale au chant puccinien tout en subtiles nuances. Ainsi, au fur et à mesure de l'écoute, alors que divergent les mots, les poèmes, les mélodies, le chanteur ne semble qu'en de rares moments prendre en compte le sens réel des mots. Son discours s'éteint peu à peu, tombant dans une certaine monotonie.

Les quelques quarante minutes de chant sont complétées par trois pages symphoniques. Leur écoute est comme la porte d'un jardin fleuri qui s'ouvre. Quelle richesse d'orchestration, quel lyrisme, quel enchantement. Et pourtant. Le fameux Quatuor à cordes Crisantemi composé par Puccini en 1890 « A la mémoire du duc de Savoie Amadeo di Savoia » est ici très respectueusement arrangé pour orchestre à cordes par le compositeur américain Lucas Drew. Sous la baguette soignée du chef croate Ivan Repušić, le Münchner Rundfunkorchester, dont on peut apprécier les qualités d'ensemble, s'acquitte très bien de son travail d'accompagnement.

Enfin, si on peut regretter que le livret des mélodies ne figure pas dans la notice de présentation, la frustration reste grande devant l'occasion gâchée de réhabiliter dans son originalité les premiers et charmants écrits de Giacomo Puccini.

Modifié le 28/03/2024 à 19h32