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« Maurice, piano et marionnette », à la découverte féérique et familiale de Ravel

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Bruxelles. Flagey. 11-II-2024. Flagey Piano Days. Studio 1. « Maurice, piano et marionnette » par la compagnie Artichoke. Maurice Ravel (1875-1937) : extraits de la sonatine pour piano en fa dièse mineur M.40 ; Ma mère l’Oye, pour piano à quatre mains M.77; Un grand sommeil noir, M ; Don Quichotte à Dulcinée, M.84. Sergei Redkin et Christia Hudziy, piano ; Guillaume Paire, comédien et baryton ; Charlotte Devyver, marionnette ; Sophie van der Stegen, texte et mise en scène

C'est l'un des grands mérites des Flagey Pianos Days que de laisser une place, chaque année, à une séance familiale orientée vers le jeune public. Le plus intimiste studio 1 servait ainsi d'écrin à un spectacle sis entre réalisme magique et pure émotion : « Maurice, piano et marionnette ».

La compagnie bruxelloise Artichoke présente un portrait oblique et nuancé d'un Ravel en fin de vie. C'est un médecin (rôle tenu par le sympathique , excellent comédien mais, au fil du spectacle, plus discutable chanteur – mais peu importe !) qui a l'heure du thé nous invite à découvrir l'un de ses plus singuliers patients et amis. Il s'agit d'un compositeur mondialement fêté, souvent en voyage – mais de santé très fragile. Il vit reclus en son belvédère de Montfort-l'Amaury qu'il vient d'aménager à son goût.

Le voici qui surgit – c'est une vivace marionnette, délicatement articulée par . « Maurice » – puisqu'on le désignera sous son prénom – est donc ce mystérieux mage solitaire au regard mi triste, mi malicieux, un petit être à la santé chancelante, fumeur invétéré, entouré de volutes magiques et colorées et déjà tenaillé par la toux et les difficultés respiratoires. Une mystérieuse maladie cérébrale commence à le murer dans son univers. Maurice a depuis toujours d'incroyables manies vestimentaires de dandy – telle cette extravagante collection de cravates : cette après-midi il fait nouer sa préférée – la bleue aux losanges rouges – par l'une de ses interprètes favorites. Maurice, d'esprit solitaire, a l'esprit chevillé par la nostalgie : celle d'un amour maternel à jamais perdu –avec un seul portrait de maman en guise de souvenir– et se contente juste de la compagnie de son chat chéri et de son indispensable canari dont s'occupe son ami médecin durant les interminables tournées de concerts. Mais Maurice est malade « Un grand sommeil noir tombe sur (sa) vie » pour citer Verlaine, en un poème qu'il a mis jadis en musique… Le temps passe, et la mort rode, figurée en pointillés à la fin du spectacle par cette pelote de laine subitement dévidée. «Maurice» la marionnette regagne alors sa malle magique, où il jouera sur son clavier-jouet et pour notre plus grand bonheur « le Jardin Féérique » de Ma Mère l'Oye, en guise de conquête d'une immatérielle éternité. Alors que la projection d'un film d'époque sur les paravents de la chambre nous révèle le « vrai » Ravel, souriant et décontracté discutant à bâtons rompus avec un ami…

Ce spectacle pétri d'humour délicat et de poésie subtile dresse un émouvant portrait par petites touches d'un Ravel intime : chaque génération de spectateurs y découvrira « son » Maurice. Les enfants en retiendront les anecdotes amusantes ou les réactions coquines et presque désarticulées du pantin – ils seront invités, après les applaudissements à venir contempler de près la singulière, expressive et très ressemblante marionnette – là où les parents seront sans doute davantage sensibles au caractère réservé et au destin tragique du grand compositeur français.

Ces quarante-cinq minutes de spectacle laissent évidement une bonne place à la musique avec quelques partitions sélectionnées avec beaucoup d'à-propos. Le pianiste (deuxième prix au Concours Reine Elisabeth 2021) défend avec finesse et  musicalité les deux premiers temps de la Sonatine, au moment de la présentation du «héros» de bois et de chiffon. Outre la mélodie verlainienne déjà évoquée – ponctuant l'auscultation du patient dépressif – la chanson à l'imaginaire Dulcinée sert de cadre musical à la présentation du portrait de la mère bien-aimée. La pianiste , discrète mais efficace musicienne, les accompagne avec une exquise acuité agogique. Les deux instrumentistes complices se rejoignent pour distiller tout au fil de la narration, avec beaucoup de pudeur et de délicatesse, les cinq pièces à quatre mains de Ma Mère l'Oye, œuvre totalement en phase avec la féérie diffuse de ce conte mi fantastique mi biographique.

Voilà donc une très  belle réussite, un admirable spectacle pour petits et grands, conçu et écrit avec une émouvante ferveur et habilement mis en scène par une très inspirée .

Crédits photographiques : Compagnie artichoke © NineLouvel 

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