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Journée contrastée et très relevée aux Flagey Piano Days de Bruxelles

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Bruxelles. Flagey. 11-II-2024. Flagey Piano Days.

11 heures. Studio 4. Johann Sebastian Bach (1685-1750) : Variations Goldberg BWV 988. Evgeni Koroliov.

16 heures. Studio 4. Claude Debussy (1862-1918) : La cathédrale engloutie, extrait du premier livre des Préludes. Kris Defoort (né en 1959) : Dedicatio Book II. Cédric Tiberghien, piano.

18 heures. Studio 1. Franz Schubert (1797-1828) : sonate pour piano n° 13 en fa mineurD.625/505; Helmut Lachenmann (né en 1935) : Schubert-Variationen; Max Reger (1873-1916) : sonatine en mi mineur opus 89 n°1; Robert Schumann ( 1810-1856) ; sonate pour piano n°2 en sol mineur opus 22, version définitive. Severin von Eckardstein, piano.

20 heures 15. Studio 4. Robert Schumann (1810-1856) : Carnaval, opus 9. Jörg Widmann ( né en 1973) : Zirkustänze. Anna Vinnitskaya, piano.

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Le dimanche de clôture des Flagey Pianos Days nous a permis d'assister à quatre récitals de très haut niveau. C'était la première fois que le festival invitait une artiste, en l'occurrence la pianiste Anna Vinnistkaya, première lauréate du CMIREB 2007, pour en assurer la co-programmation.

Les variations Goldberg selon : l'évidence faite musique

A 11 heures, dans un studio 4 bien rempli, , l'un des principaux maîtres d', nous livre sa vision des Variations Goldberg de . L'approche du cycle par ce sage (vénéré dans ce répertoire par un György Ligeti) nous est déjà bien connue et documentée, par le disque, la vidéo ou de précédents concerts. Mais, à chaque fois, le pianiste semble remettre sur le métier l'ouvrage et peaufiner son approche d'une partition qu'il connaît pourtant dans les moindres détails. Au seuil d'une odyssée de près de plus de 90 minutes, il prend son temps et s'installe dans la durée, dès l'énoncé du thème distillé avec une impavide sérénité. L'ordonnancement des tempi est envisagée dans une perspective globalisante, puissamment architecturée : mais chaque variation, bien caractérisée – au sens de la  veränderung, modification, comme le dit Bach dans son titre – semble appeler sa suivante, tour à tour comme commentaire additif (les ultimes variations menant au quolibet final) ou restrictif tel un antidote psychologique (la «résurrection» énoncée pianissimo puis allant crescendo de la XXVI après la longue «oraison funèbre» de la XXV), ou en total contraste avec celle qui a précédé (les tempi opposés des variations V et VI). Toutes les reprises (hormis celles de la réexposition de l'aria refermant la boucle de l'œuvre) seront assumées, telles des entités structurantes, mais propices à un changement d'éclairage, variation dans la variation, réinterprétation immédiate de chacune des deux sections énoncées (avec comme bel exemple la variation XVI en guise d'ouverture à la française), par de minimes changements de phrasés (variation VI), de contrastes dynamiques, d'ornementation ou même de « registration » (les reprises de la stricte XXII délicatement octaviées, par exemple). Mais au-delà de l'enjeu intellectuel, il y a cette véritable performance pyrotechnique entièrement dévolue au seul texte, en particulier au fil des variations conçues pour les deux claviers d'un clavecin (entre autres les VIII, XII, XIV…), fatalement réduites ici aux seules quatre-vingt huit touches du piano : les textures en sont clarifiées par une science sans pareille de l'éclairage polyphonique – par ailleurs tout aussi pointue au fil de chaque variation « tierce » d'essence canonique. La sonorité demeurera royale d'un bout à l'autre du parcours, finement ciselée par un usage parcimonieux de la pédale : l'œuvre devient joute oratoire aux incidences tant poétiques que rhétoriques, immense leçon de musique d'un interprète béni de muses,  mais surtout humble serviteur toujours en éveil face à cet imposant édifice.

magicien des timbres au fil du Dedicatio Book II de

Importante personnalité de la scène musicale belge d'expression flamande, sise aux croisements des musiques improvisées, du jazz et des courants classiques contemporains les plus divers, le compositeur et pianiste s'est vu confier par Flagey une substantielle commande, deux ans après la création à la Monnaie de son assez remarquable opéra polystyliste The time of our singing inspiré du célèbre roman éponyme de Richard Powers. Il s'agit d'un second livre de Dédicaces – Dedicatio Book II – pour piano solo. Un premier a précédé il y a près de vingt ans – ensemble de neuf pièces de dimensions variables pour un minutage total de près de trois-quarts d'heures, sortes d'instantanés, ni vraiment études, ni bagatelles, ni pièces de genre –malgré des surtitres à lire après l'audition de chaque plage, tels les Préludes de Debussy. Les influences sont multiples et réunies en un creuset joyeusement contradictoire mêlant post impressionnisme (Improvisation aux éclats de couleurs joyeuses, Reflets de couleur nocturne), hommage narquois et oblique à Erik Satie (Valse en forme de mangue) musique répétitive dans la descendance d'un Reich ( voilée/ dévoilée et son pénultième contraire), free jazz (« le réel transfiguré par l'émotion du souvenir »), gimmick itératif (what the nerves and the skin remember), héritage de John Cage ou de Morton Feldman (Sense of the unknown, avec en prime le glissement de quelques étouffoirs métalliques  – « préparant » en quelque sorte le piano ) voire incidence fluxus (silence précieux, éloquente et brève pièce terminale). Donné en création mondiale dans l'écrin acoustique du studio 4, le cycle trouve en un interprète superlatif, totalement en symbiose avec l'univers composite, librement post-moderne, du compositeur, entre néo-modalisme plus convenu et «improvisation écrite». Par son sens de la couleur, son touché raffiné, immatériel presque, le pianiste français fait oublier les marteaux de l'instrument  et l'aspect percussif de certaines plages plus  discrètement «motoriques ».

Pour préluder à cette belle création,  « la Cathédrale engloutie » de Debussy, véritable aquarelle sonore, connaît sous les mêmes doigts, une interprétation  supérieurement maîtrisée : l'étagement des plans dynamiques et le raffinement varié des coloris résultent d'une superlative science du toucher. Ce concert hors des sentiers battus fait l'objet d'une captation directe qui devrait servir de base à l'édition prochaine d'un enregistrement discographique.

Deux récitals très contrastés pour refermer la journée et ponctuer le festival

On peut difficilement imaginer deux récitals aux résultats et aux esthétiques aussi différents que ceux proposés successivement par deux des anciens premiers lauréats du Concours Musical international Reine Elisabeth.

A 18 heures, le passionnant , dans le plus secret studio 1 impose un très original parcours musical en terres germaniques n'hésitant pas à programmer quelques perles de la plus belle eau – rarement entendues de notre côté du Rhin – et enfilées avec ferveur. La rare et pourtant superbe Sonate en fa mineur D.625 de très beethovénienne de conception (on pense immanquablement à l'Appassionata de même tonalité) est livrée avec toute le véhémence orageuse voulue et avec cette impatience inquiète et dévastatrice requise en ses temps extrêmes – notamment au fil du final annonçant la génération « 1810 » des Chopin et Schumann. Elle est donnée avec l'Adagio en ré bémol D.505, souvent associé à ce torso presque complet, brève oasis de paix un rien convenue livrée ici avec la religiosité ascétique et le recueillement attendus.
Les Schubert-Variationen, juvénile opuscule d'étude d'un de 21 ans semblent déjà un parfait précis de décomposition thématique annonçant les recherches syntaxiques et langagières du maître iconoclaste allemand. Notre interprète en donne une version aussi digitalement amusée que spirituellement sarcastique et piquante. Nous sommes très heureux de voir présenté ce soir : il est idéalement illustré par une de ces innombrables pages brèves : la sonatine en mi mineur opus 89 n°1, dont est exaltée sous ces doigts experts et raffinés, la spontanéité mélodique presque schubertienne, pimentée çà et là d'accidents harmoniques typiques des derniers feux romantiques.
Mais sans conteste, ce récital d'une heure atteint son climax d'intensité avec cette térébrante Sonate n° 2 de Schumann, donnée avec une rage tenaillante et toute la folle vélocité présupposée – Schumann note lui–même pour le premier temps so rasch wie môglich …noch schneller. plus encore que dans la sonate de Schubert augurale y fait montre d'un jeu très physique, au fond du clavier, près de la corde, tout en maintenant une surprenante aération des textures et des plans sonores, malgré des tempi haletants, par un inaltérable et très particulier sens du toucher. Si le bref Andantino laisse planer l'ombre du rêveur Eusébius, le scherzo, et surtout un rondo presto final furieusement échevelé donné dans sa version définitive, concluent péremptoirement et triomphalement l'officiel programme de ce récital, ponctué par un unique bis livré en totale décompression, roidement buriné en sa section centrale : le sublime Intermezzo opus 118 n°2 de Johannes Brahms.

Le récital conclusif donné sur la scène du rutilant studio 4 par nous a davantage laissé sur notre faim. Le jeu de la pianiste semble s'être considérablement durci  ces dernières années dans le sens d'un raidissement sonore ou d'une échelle dynamique survitaminée, doublée d'une sonorité assez claquante et univoque. Cela nous vaut un Carnaval de Schumann athlétique, presque anabolisé, bien entendu digitalement très assumé, mais sans l'ombre d'une ambiguïté interprétative, alors qu'il s'agit d'un jeu de masques et de dupes, d'un bal gai et trompeur, virevoltant au gré de valses – noble ou allemande –  entre impatience et méditation, requérant bien plus d'élégance racée que de prosaïques surlignages. Pantalon et Colombine perdent ce soir toute légèreté de touche là où Pierrot et Arlequin se profilent en automates mécaniques par ces contrastes dynamiques téléphonés. Eusébius ou Chopin constituent autant de haltes lyriques mieux venues, là où Chiarina ou Paganini sont assez banalement expédiés. Avouons n'avoir été guère séduit, ni par cette avalanche de décibels – qui, par exemple, ponctuent assez lourdement la marche des compagnons de David contre les Philistins, finale, ni plus globalement par cette lecture univoque et marmoréenne d'une œuvre pourtant si étrangement kaléidoscopique sous des lampions de bal qu'on a connu sous d'autres doigts plus bigarrés.

Avec une certaine conséquence, la co-programmatrice du festival a jeté son dévolu pour conclure l'entière manifestation sur les Zirkustânze, composée en 2012, de Jorg Widmann. Cette pochade veut sans doute retrouver la verdeur un rien agressive des Tanzstücke opus 19 signé il y a un siècle par le tout jeune Paul Hindemith, mais sans toute l'ingéniosité acide et l'ironie légère de son prédécesseur…On passe au gré de cette parade de cirque bien longue – 20 bonnes minutes – tenant du patchwork désinvolte et incongru, de valses diverses en boogie-woogie, de mélopée hébraïque à un semblant de chant de gondolier. La grosseur du trait sied sans doute mieux à la sonorité de l'interprète notamment dans l' »hénaurme » et humoristique farce que constitue la marche bavaroise-babylonienne conclusive. De sorte que c'est dans les deux bis proposés en réponse à des applaudissements nourris qu'on retrouve à son meilleur, cette fois dans un « vrai » chant de gondolier, celui du deuxième recueil des lieder ohne worte opus 30 de Mendelssohn, et plus encore dans l'atmosphère vibratoire, confite et mordorée, de la deuxième étude – tableau de l'opus 33 de Sergueï Rachmaninov qui nous rappelle quelle pianiste bien plus nuancée elle peut être aussi : cette fois la poétesse parle !

Crédits photographiques : Evegeni Koriolov © Gela Megrelidze-mittel ;  © Ben Ealovega ; © Irene Zandel ; Anna Vinnitsakaya © Marco Borggreve

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11 heures. Studio 4. Johann Sebastian Bach (1685-1750) : Variations Goldberg BWV 988. Evgeni Koroliov.

16 heures. Studio 4. Claude Debussy (1862-1918) : La cathédrale engloutie, extrait du premier livre des Préludes. Kris Defoort (né en 1959) : Dedicatio Book II. Cédric Tiberghien, piano.

18 heures. Studio 1. Franz Schubert (1797-1828) : sonate pour piano n° 13 en fa mineurD.625/505; Helmut Lachenmann (né en 1935) : Schubert-Variationen; Max Reger (1873-1916) : sonatine en mi mineur opus 89 n°1; Robert Schumann ( 1810-1856) ; sonate pour piano n°2 en sol mineur opus 22, version définitive. Severin von Eckardstein, piano.

20 heures 15. Studio 4. Robert Schumann (1810-1856) : Carnaval, opus 9. Jörg Widmann ( né en 1973) : Zirkustänze. Anna Vinnitskaya, piano.

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