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Le parcours helvétique d’un membre du Groupe des Six, Arthur Honegger

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Georges Auric, Germaine Tailleferre, Francis Poulenc, Louis Durey, Darius Milhaud, Arthur Honegger : six musiciens, six amis de la même génération partageant des idéaux communs, réunis autour de Jean Cocteau. Pour accéder au dossier complet : Le Groupe des Six

 
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Le parcours musical du compositeur , ce membre du Groupe des Six, peut être approché selon un angle helvétique comme le démontre les grandes étapes ici retracées. 

Né en 1892, les parents zurichois du petit se sont installés Au Havre en compagnie d'autres commerçants suisses engagés dans l'importation du café. Les Honegger n'ont pas coupé les ponts : durant les étés ils reviennent régulièrement à Zurich où l'oncle Oskar recommande son neveu de 17 ans aux professeurs du Conservatoire. Sous la tutelle de Friedrich Hegar Arthur s'approprie les fondements de la composition pendant deux ans, découvrant les œuvres de Brahms, Strauss, Reger et Mahler, le versant germanique de ses futures compositions.

A partir de 1911, Honegger va perfectionner son contrepoint auprès d'André Gédalge au Conservatoire de Paris, plus tard chez Charles Widor et Vincent d'Indy, une période d'inspirations multiples : la découverte des modernes comme Debussy, Ravel, Roussel, Stravinsky, des Ballets Russes, de Picasso et des cubistes, sans parler de ses amitiés nouées au conservatoire : Ibert, Milhaud, Auric, Enesco, Tailleferre. Ses affinités pour la poésie le rapprochent de Guillaume Apollinaire dont il met en musique plusieurs poèmes. C'est aussi la période de la rencontre d'Andrée Vaurabourg, pianiste d'origine bretonne et élève du Conservatoire, sa future femme.

Premier Quatuor à cordes

Sa première œuvre de maturité est un véritable accouchement au forceps et ne trouvera son accomplissement qu'après de nombreux remaniements entre 1913 et 1917 : le Premier Quatuor à cordes, une composition à la charpente équilibrée et à la polyphonie magistrale. Le caractère nerveux, tourmenté se traduit par les rythmes pointés relancés d'un instrument à l'autre, de plus par la trépidation des triolets répétés à l'alto à la manière d'un tambour (premier mouvement), ensuite par le trépignement sauvage dans les graves au troisième mouvement (un clin d'œil à Stravinsky ?) :

Extrait du troisième mouvement

Au-delà de tout cet emportement, la Coda retrouve un calme céleste par son chant diatonique, limpide, à la Gabriel Fauré, qui s'écoule en filigrane le long d'un do majeur final.

Vers 1920, Honegger fréquente ses amis musiciens qui vont constituer le Groupe des Six, auquel s'est ajouté Jean Cocteau, mais ses contacts en Suisse ne sont pas moins importants : Ernest Ansermet et le mécène Werner Reinhart de Winterthur s'intéressent à leur compatriote. En août 1920, il s'offre des jours de villégiature dans les alpes bernoises pour composer à Wengen, aux pieds des trois géants, une pièce à consonance debussyste : Pastorale d'été.

Pastorale d'été

Au-dessus du clapotis, dans les cordes graves, s'élève le chant langoureux du cor, repris par tous les registres comme un écho dans le pourtour des montagnes, avant que surgisse la mélodie pastorale des clarinettes, dont la parenté avec la Sixième symphonie de Beethoven saute aux yeux : en face d'une Jungfrau majestueuse, Honegger fait retentir les poussées d'une trompe à travers l'orchestre en pleine effervescence.

Cris du monde et Nicolas de Flue

Face à la crise mondiale de la fin des années 1920, Honegger ressent le besoin d'exprimer le malaise de l'individu pris dans les rouages de la technique et des courants fascistes. Pour son ami Erich Schild, chef de chœur à Soleure en Suisse, il écrit Cris du Monde, un oratorio de tonalité pessimiste et mal reçu lors de la création à Paris en 1931.

Lors de la montée du nazisme en Allemagne le gouvernement suisse et la population vont se rallier contre les sympathisants du « Front », en développant la stratégie de la Geistige Landesverteidigung (Défense nationale « spirituelle »), un palliatif contre l'esprit de certains citoyens suisses envoûtés par les charmes du régime d'Outre-Rhin. C'est dans ce contexte qu'il faut voir le nouvel oratorio de Honegger : Nicolas de Flue (1939-1940), l'ermite pacifiste du XVe siècle (canonisé en 1947) qui avait préservé la Suisse primitive d'une guerre civile grâce à sa sagesse politique et qui est devenu une sorte de protecteur spirituel de son pays. Le nom de Honegger étant déjà solidement ancré dans la scène musicale après son Pacific 231, Le Roi David, Jeanne d'Arc au bûcher, le Cantique des cantiques et la Danse des morts, ce nouvel oratorio s'inscrit dans les festivités autour de l'Exposition Nationale de 1939 à Zurich à la veille de la guerre.

La composition est mise en chantier à Paris où l'écrivain neuchâtelois Denis de Rougemont vient rejoindre Honegger dans son domicile. Durant ces rencontres quotidiennes, le compositeur tâche d'assimiler la musique au lyrisme du texte et d'atteindre les auditeurs par la réduction des moyens et des éléments populaires comme par exemple le chœur d'enfants. La mise en scène prévoit un plateau à trois niveaux, un spectacle qui rappelle Le Grand Théâtre du Monde de Calderon. Les exécutants sont répartis sur un chœur mixte, un chœur d'enfants (cœur céleste), un récitant et un orchestre à vent.

Le premier acte présente la vie de Nicolas, père de famille nombreuse avant qu'il se retire – appelé par Dieu – dans l'ermitage du Ranft. Le chœur évoque d'abord son destin, tout en exprimant la plainte des siens délaissés (du fa mineur au sol majeur) :

Nicolas étant une instance morale du siècle, les individus à la recherche de son conseil se mettent dans la file sur le sentier qui conduit à sa retraite. Les diplomates du roi de France et du duc d'Autriche viennent le consulter à propos d'une alliance contre le duc de Bourgogne, en quête de mercenaires suisses, et leur appel résonne de partout (du mi bémol mineur à l'ut mineur) :

Nicolas conjure ses compatriotes de ne pas se mêler des conflits alentour, mais les Suisses ne se laissent pas dissuader de prendre les armes, le butin bourguignon étant trop alléchant. Honegger fait suivre une musique tonitruante, histoire de célébrer le combat à la hallebarde ! La stricte concordance entre parole et musique s'explique par ce que Honegger a formulé comme devise pour son Festspiel : « Je devais, à tout prix, m'écarter de cette prosodie négligente, comme de la psalmodie debussyste. J'ai donc cherché l'accent juste, surtout dans les consonnes d'attaque. »

Au troisième acte, Nicolas est appelé à intervenir dans une sérieuse discorde entre les cantons à propos de l'intégration de nouvelles régions urbaines. Craignant la suprématie des villes dans la Confédération, les cantons campagnards s'y opposent. En 1481, une guerre civile s'annonce à l'horizon et Nicolas réussit à calmer les esprits lors d'une assemblée à Stans (près de Lucerne). Le message ‘au nom de Dieu' de l'ermite sait briser les tensions. Les fractions ennemies s'alignent sous l'autorité de Nicolas et un chœur final baigne dans une tonalité envoûtante, sereine, autour d'une fugue qui rappelle le Halleluja de Haendel.

Appel de la Montagne

En 1943, Honegger s'attaque à une autre composition helvétique, un ballet en 18 scènes placées dans l'Oberland bernois à Interlaken en 1815, le théâtre du nouveau tourisme britannique. Un Écossais féru de la montagne s'éprend d'une paysanne et, essuyant un refus, se perd dans les glaciers où la divinité le retire d'une crevasse.

L'édition originale de 1824 (F.Huber) – un mélodie basée sur le hallali du cor des alpes

Dans cet Appel de la Montagne, le compositeur a passé en revue toute une collection de chansons folkloriques, en partie passées au crible de sonorités grinçantes – un regard malicieux vers son pays. A relever ici le no. 12 intitulé Alpenglühen (les alpes embrasées) où les cors entonnent les six fragments d'un des chants les plus appréciés encore aujourd'hui en Suisse : « Lueget vo Bärg und Tal… ! » (« Regardez depuis la montagne et de la vallée… ! »). La mélodie est interrompue ou enguirlandée à tour de rôle par les registres de l'orchestre, quelques dissonances narquoises comprises.

Quatrième Symphonie

Pendant les années de guerre sous l'occupation allemande, Honegger reste avec sa famille à Paris. Ne pouvant pas revenir dans son pays il vit une période fructueuse, intégré dans les milieux du théâtre avec J.-L. Barrault, du cinéma et de la littérature (A. Camus), le Tout Paris en somme. La fin de la guerre va lui permettre de rejoindre la Suisse. Il passe les étés à Sils-Maria en Engadine, participe aux Festwochen de Lucerne (aujourd'hui le Lucerne Festival) et séjourne plusieurs fois chez Paul Sacher à Pratteln près de Bâle. C'est pour lui qu'il écrit sa Quatrième Symphonie appelée Deliciae Basilienses et que Harry Halbreich définit comme étant « la plus parfaite des cinq symphonies ».

Si dans le premier mouvement l'orchestre répand une coloration prodigieuse de timbres basés sur une charpente de lignes ascendantes et descendantes, la passacaille du Larghetto établit un contraste entre la sobriété du thème ponctué dans les cordes graves et la mélodie du cor, faufilée à l'improviste, sur la chanson populaire de Bâle « Z'Basel an mim Rhy » (à Bâle, au bord de mon Rhin), en hommage à son ami Paul Sacher, un solo accompagné de voltiges en alternances entre la flûte et la clarinette :

le cor solo de l'incipit de la chanson (la mélodie intégrale s'étendant sur 6 mesures)

Monopartita

Sollicité par sa ville natale de Zurich, Honegger écrit une œuvre conçue comme sixième symphonie et intitulée finalement Monopartita, une partition grandiose bâtie sur la charpente symétrique de six mouvements, d'une durée cependant limitée (12'). Après une ouverture majestueuse aux accords doublement pointés genre ouverture française, les coups violents du Vivace marcato aux dissonances aigües servent de transition vers un Adagio ou les bois élèvent leur chant langoureux en se passant le relais à tour de rôle :

La plainte dans les bois

Monopartita sera créée le 12 juin 1951 par l'Orchestre de la Tonhalle à Zurich, sous la baguette de Hans Rosbaud, à l'occasion des festivités autour du 600ème anniversaire de l'entrée de Zurich dans la Confédération.

L'année 1952 est d'une part couronnée par de nombreux hommages lors du 60ème anniversaire de Honegger : des concerts à Paris, à Bâle et à Zurich, organisés par Paul Sacher, d'autre part ombragée par des rechutes cardiaques. Après un séjour en clinique à Glion au-dessus de Montreux, un rétablissement momentané lui permet de participer à un congrès à Venise et de continuer sur Naples, mais une nouvelle crise le ramène à Paris où il va se consacrer à son dernier projet : Une Cantate de Noël. Sa santé périclite, il rejoint Zurich en été 1953 pour une nouvelle hospitalisation, et depuis son retour à Paris fin septembre 1954 il ne quittera plus son domicile, mises à part les dernières entrevues avec ses amis Darius Milhaud et Francis Poulenc. Le 27 novembre 1955, s'éteint dans les bras de sa femme Andrée.

Sources

HALBREICH Harry, L'œuvre d'Arthur Honegger, éd. Champion, Paris 1994
HALBREICH Harry, Arthur Honegger, éd. Slatkine, Genève 1995
TCHAMKERTEN Jacques, Arthur Honegger, éd. Papillon, Drize/Genève 2005
Musik-Konzepte 135 (par U. Tadday) No. I, 2007 sur Arthur Honegger
Peter Jost (hrsg.), Arthur Honegger, Werk und Rezeption, Peter Lang, Bern 2009

Discographie

Premier Quatuor à cordes, Quaturo Amati, 1985

Cris du monde, Chœurs et orchestre de la radio de France, sous la direction de Georges Tzipine, Columbia

Nicolas de Flue : Youtube, vidéo de 2016 à l'église de Morat, Harmonie La Concordia, Fribourg (Jean-Klaude Kolly), Chœur St-Pierre de Bulle

Appel de la Montagne : Orchestre du Südwestfunk Baden-Baden avec le
compositeur au pupitre (Youtube audio), 1949

Quatrième Symphonie, Orchestre symphonique radiophonique de la
Bavière, Charles Dutoit

Monopartita, Orchestre de l'URSS, G. Rozhdestvensky (Youtube)

Crédits photographiques : Arthur Honegger en 1949 à Paris © Pascale Honegger

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