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Palais Garnier, Paris. 4-I-24. Béjart Ballet Lausanne, compagnie invitée.
Tous les hommes presque toujours s’imaginent. Musique : John Zorn. Chorégraphie : Gil Roman. Collaboration scénario et vidéo : Marc Hollogne. Costumes : Henri Davila. Lumières : Dominique Roman.
Bhakti III. Musique : Musique traditionnelle indienne. Chorégraphie : Maurice Béjart. Décors et costumes : Germinal Casado. Lumières : Dominique Roman.
Duo, extrait de Pyramide – El Nour. Musique : Musique traditionnelle islamique. Chorégraphie : Maurice Béjart. Costumes : Gianni Versace.
Dibouk. Musique : Musique traditionnelle juive. Chorégraphie : Maurice Béjart.
7 danses grecques. Musique : Mikis Theodorakis. Chorégraphie : Maurice Béjart
Le Béjart Ballet Lausanne s'arrête à l'Opéra Garnier en ce début d'année, avec Tous les hommes presque toujours s'imaginent, une création récente de Gil Roman, son directeur, et quatre pièces mythiques de Maurice Béjart, son fondateur.
Déjà revue par ResMusica à Vaison danse cet été, 7 danses grecques trouve sa source sur les bords de la Méditerranée ou de la mer Égée, que l'on aperçoit dans le reflet bleu des vagues en fond de scène. Cette fascination pour la Grèce forgée dans les années 60 et la musique de Mikis Theodorakis ont inspirées à Maurice Béjart dans les années 80 ce ballet sans argument, à la fois simple dans son concept et complexe dans son écriture, qui forme la pièce maîtresse et achève en beauté le programme du Béjart Ballet Lausanne à l'Opéra Garnier en ce début janvier.
Les 7 danses grecques constituaient initialement le volet final de la suite méditerranéenne Thalassa et Mare Nostrum, donnée en juin 1982 par le Ballet du XXᵉ siècle aux Arènes d'Arles. Par la suite, le nombre de danses fut ramené de neuf à sept et la chorégraphie fut retravaillée dans le sens d'une rigueur mathématique, un peu à la manière des Fugues de Bach. Jamais, en effet, Maurice Béjart ne cède à une vision folklorique de la musique traditionnelle et ne paraphrase Theodorakis dans ce ballet intemporel.
En collant bouffant blanc pour les hommes, et en simple justaucorps noir, collant chair sans pieds et chignon dans la nuque pour les femmes, c'est un ballet limpide, lumineux et joyeux. L'un des solistes principaux, Oscar Eduardo Chacón, aux airs de pâtre grec, avec sa cascade de cheveux bouclés, est un merveilleux danseur. Dans la première danse, entouré d'une frise de femmes, on retrouve certains pas du Boléro, créé en 1960 pour le Ballet du XXᵉ siècle. Gestion des ensembles de danseurs et de danseuses, alternance des parties solistes et des unissons, diversité des formes chorégraphiques, le ballet est une dentelle fine aux points toujours renouvelés. Béjart a transmis en 1990 ce ballet aux élèves de l'École de danse de l'Opéra de Paris, mais on apprécie de redécouvrir cette pièce culte avec des danseurs adultes, aux corps parfaits, minces et élancés, gardant une grande plasticité dans leur interprétation. Un régal !
Ce sont certains de ces mêmes danseurs solistes du Béjart Ballet Lausanne qui nous auront également régalé après l'entracte de trois duos de Maurice Béjart autour de musiques traditionnelles.
Le célèbre Bakhti III, construit autour d'un duo et de deux variations, une pour femme et une pour homme, a été écrit sur des musiques indiennes. Les Français ont pu le découvrir pour la première fois en 1968 dans la Cour d'honneur du Palais des Papes, au Festival d'Avignon. Lors de cette soirée de Première à l'Opéra Garnier, c'est la danseuse japonaise Mari Ohashi qui incarne Shakti, épouse de Shiva. Un chignon postiche au sommet de la tête, censé rendre plus « indienne » sa prestation, ne semble plus utile aujourd'hui. Complexe et difficile, la chorégraphie du pas de deux combine postures acrobatiques et équilibres périlleux. La deuxième variation est un classique des concours de promotion du Ballet de l'Opéra de Paris. Si la danseuse est impressionnante de précision et de maîtrise, son partenaire masculin, Alessandro Cavallo, est cependant de loin le plus Béjartien des deux interprètes.
Le Duo qui suit est plus lyrique, et toujours sur pointes. Ce duo lumineux, extrait du ballet Pyramide – El Nour créé en 1990 par Maurice Béjart à l'Opéra du Caire, met en scène Valerija Frank, très musicale et aux équilibres gracieux, aux côtés de Julien Favreau, danseur historique du Béjart Ballet Lausanne. Sur une musique orientale, il transcende l'Islam pour interpeller toutes les spiritualités.
Enfin Dibouk est en réalité Cantique, la maquette du ballet Dibouk, qui sera créé en 1988 à Jérusalem. Sur une musique juive orthodoxe, dont certaines paroles sont en yiddish, un jeune homme portant une kippa (Dorian Browne) et une jeune fille en longue robe blanche et nattes (Kathleen Thielhelm). Cette célèbre pièce juive, magique et sacrée, s'est inspirée de la tradition de la Kabbale. Un couple promis l'un à l'autre de toute éternité se retrouve uni à travers la Parole divine. Assez mélancolique, ce duo appuie sur la jeunesse et l'innocence des deux personnages. C'est une chorégraphie parfois anguleuse, qui reprend les figures traditionnelles de danse juive : genoux levés à angle droit et torse penché par exemple.
Ces trois duos cultes de Maurice Béjart forment un aperçu de ce riche répertoire entretenu par le Béjart Ballet Lausanne. Cependant, celui-ci produit aussi régulièrement de nouvelles pièces, chorégraphiées par son directeur Gil Roman. Présenté en première partie de cette soirée, Tous les hommes presque toujours s'imaginent est l'une de ces créations, datée de 2019. Gil Roman a choisi la musique du compositeur américain John Zorn comme support à cette création. En dehors, des circonstances de sa rencontre avec le compositeur américain, l'on n'apprend pas grand-chose dans la note d'intention très succincte sur le projet du chorégraphe. La musique, d'inspiration très diverse, assemble plus de dix partitions musicales et nous permet de naviguer entre une rumba et une chanson espagnole, avec parfois des accents plus contemporains ou orientaux. Ce qui tisse un lien avec le répertoire de Béjart présenté dans la deuxième partie du spectacle, et dont nous avons parlé au début de cet article.
L'écriture chorégraphique est-elle aussi composite, voire caméléon, avec alternance entre une esthétique rythmée, de type Bollywood ou orientale, et des pas de deux plus lyriques. Parmi les très beaux danseurs et les très belles danseuses, on remarque Jasmine Cammorota, sensuelle et musicale dans le principal rôle féminin ou Vito Pansini, l'homme dégingandé et un peu perdu qui danse le noyé revenu du fond des mers pour prévenir les vivants d'une catastrophe. Le ballet hésite sans cesse entre sa vocation universaliste et ses composantes ethnicistes, se transformant en « world café » où Orient et Occident pourraient se réunir. L'attractivité et la force du ballet tient surtout au magnétisme de sa principale soliste, vénéré comme une déesse.
Plus de treize ans après leur dernière tournée sur les planches de l'Opéra Garnier (ils se sont produit entretemps au Palais des Congrès ou à l'Opéra royal de Versailles), le Béjart Ballet Lausanne a prouvé à travers cette soirée qu'il avait encore de nombreuses pépites dans sa besace…
Crédits photographiques : © Laurent Philippe / Opéra national de Paris
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Palais Garnier, Paris. 4-I-24. Béjart Ballet Lausanne, compagnie invitée.
Tous les hommes presque toujours s’imaginent. Musique : John Zorn. Chorégraphie : Gil Roman. Collaboration scénario et vidéo : Marc Hollogne. Costumes : Henri Davila. Lumières : Dominique Roman.
Bhakti III. Musique : Musique traditionnelle indienne. Chorégraphie : Maurice Béjart. Décors et costumes : Germinal Casado. Lumières : Dominique Roman.
Duo, extrait de Pyramide – El Nour. Musique : Musique traditionnelle islamique. Chorégraphie : Maurice Béjart. Costumes : Gianni Versace.
Dibouk. Musique : Musique traditionnelle juive. Chorégraphie : Maurice Béjart.
7 danses grecques. Musique : Mikis Theodorakis. Chorégraphie : Maurice Béjart