L’offrande musicale du saxophoniste Claude Delangle

Interprète et pédagogue de renommée mondiale, Claude Delangle est une légende vivante du monde du saxophone. En dialogue avec la musicologue Lucie Kayas, il revient sur sa trajectoire de musicien, véritable cheminement initiatique pour l'interprète qui vit son art comme une révélation.

Formé au Conservatoire Régional de Lyon (CRR) puis au CNSMD de Paris dans la classe de Daniel Deffayet, Claude Delangle est très jeune lorsqu'il débute sa carrière de pédagogue, du Conservatoire d'Angoulême au Conservatoire Régional de Boulogne-Billancourt avant de revenir au CNSMD de Paris pour y enseigner à l'âge de 31 ans. Si sa passion pour la transmission, son désir toujours aiguisé du jouer ensemble ne l'ont jamais quitté, Claude Delangle envisage son rapport à l'instrument sous tous ses aspects, y compris celui de la lutherie, fondamentale dans l'apprentissage d'une culture du son qu'il s'est forgée sur le terrain : « Je souhaite obtenir une vision du musicien depuis l'atelier », confie-t-il à Lucie Kayas. Ainsi devient-il essayeur pour la maison Selmer (successeur direct d'Adolphe Sax) en 1989, prenant une part très active dans l'évolution et les perfectionnements apportés au saxophone. Le dernier bec Selmer porte son nom ! Claude Delangle possède aujourd'hui une quinzaine de saxophones anciens avec lesquels il a produit des enregistrements (CD Bis 1270 Historic Saxophone).

Fervent défenseur d'un instrument qui, dans les années 1980, n'a pas encore trouvé son rayonnement au sein de la création, Claude Delangle se sent une responsabilité dans le développement d'un répertoire de qualité. Il est repéré très tôt par Pierre Boulez qui l'invite à venir jouer avec les solistes de l'EIC. Avec lui, il travaille à la transcription pour saxophone de Dialogue de l'omble double. Œuvrant dans la cour des grands, le saxophoniste sollicite György Ligeti (transcription des Mysteries of the Macabre), Stockhausen, qui écrit pour l'ensemble de saxophones du CNSMDP, et Luciano Berio avec qui il réalise la Sequenza VIIb puis IXb (transcriptions des Sequenze pour hautbois et clarinette). En 1993, Berio compose pour lui Récit (Chemin VII) que le saxophoniste enregistre dans la foulée. Suivront des collaborations fructueuses avec Betsy Jolas et Gérard Grisey, Delangle, professeur au CNSMD, multipliant les commandes pour « les prix » de fin d'année. Un lien très fort va se nouer avec les compositeurs japonais (Nodaïra, Natsuda, Hosokawa,Tanada, mais aussi Takemitsu et Taïra) chez qui l'interprète perçoit un même attrait pour le son : « Trouver la musique à l'intérieur du son plutôt que faire de la musique avec un son ». Le saxophone s'inscrit désormais dans le paysage de la création contemporaine. Naissent nombre de pièces solistes ou en duo avec la pianiste et épouse Odile Delangle (les 152 œuvres crées par Claude Delangle sont dûment répertoriées à la fin de l'ouvrage) qui vont contribuer à enrichir très largement le répertoire de l'instrument, du soprano au saxophone basse.

L'interprète à l'écoute et le chercheur qu'est Claude Delangle voit dans l'apport de la technologie une manière d'élargissement de sa pratique instrumentale : « L'électronique m'est apparue à la fois comme un révélateur de mon instrument et la possibilité de son augmentation […]. On entre ici dans un autre temps et dans une fragilité qui induit une créativité nouvelle », souligne l'interprète qui rend compte dans le détail des nécessités d'adaptation avec la source sonore, sons fixés et temps réel, à travers diverses expériences menées avec Denis Dufour, Luis Naón, Pierre Jodlowski, Marco Stroppa ou encore Alexandros Markeas qui le conduit au frontière de l'improvisation.

La citation de Pierre Boulez en exergue du chapitre sur la transmission est édifiante ! « Il s'agit d'une transmission dynamique consistant à poser davantage de questions qu'à donner de bonnes réponses », renchérit Delangle qui souligne l'importance de prendre en compte le corps au cœur de la pratique instrumentale. De la classe de saxophone du CNSMD de Paris réunissant plusieurs membres actifs (professeur mais aussi assistant et accompagnatrice) naissent deux ensembles : le Quatuor Zahir et l'ensemble de saxophones du Conservatoire, né d'une expérience unique, il y a trente ans de cela, entre la classe de Claude Delangle et Karlheinz Stockhausen.

« Dans le dialogue, dans la rencontre véritable, dans l'écoute, c'est altérité qui donne du sens à nos idées musicales », nous dit en substance Claude Delangle, un interprète engagé dans son métier comme dans sa foi de chrétien, qui envisage l'espace sonore en interaction avec le monde.

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