Festivals, La Scène, Opéra, Opéras

À Radio France, Le Grand Macabre de Ligeti pour un centenaire

Plus de détails

Paris. Maison de la Radio et de la Musique. Auditorium. 2-XII-2023. Festival d’Automne, co-réalisateur. György Ligeti (1923-2006) : Le Grand Macabre, opéra en quatre tableaux sur un livret de Michael Meschke et György Ligeti ; version de concert ; première représentation de la version finale de 1996 en français. Mise en espace, Benjamin Lazar ; scénographie lumière, Sylvain Sechet. Avec : Matthieu Justine, ténor, Piet du Bock ; Robin Adams, baryton-basse, Nekrotzar ; Laurent Alvaro, basse, Astradamors ; Lucile Richardot, mezzo-soprano, Mescalina ; Andrew Watts, contreténor, Prince Go-Go ; Sarah Aristidou, soprano, chef de la Gepopo / Venus ; Judith Thielsen, mezzo, Amando (Spermando) ; Marion Tassou, soprano, Amanda (Clitoria) ; solistes du chœur, Ruffiack, Schobiak, Schabernack, Ministre noir, Ministre blanc. Orchestre National de France ; Chœur de Radio France, chef de chœur : Lionel Sow ; Maîtrise de Radio France, cheffe de chœur : Sofi Jeannin ; direction musicale : François-Xavier Roth

Entre humour et provocation, outrance et puissance de l'invention, Le Grand Macabre de donné en version de concert affiche l'originalité de son geste sur le plateau de l'Auditorium de la Maison de la Radio et de la Musique.

C'est le quatrième volet de l'hommage rendu par la Maison ronde au compositeur hongrois pour le centenaire de sa naissance. Impliqués depuis le début de cette aventure, l' et le chef sont au rendez-vous, ainsi que le Chœur et la Maitrise de Radio France installés dans les étages.

Le livret, écrit en allemand par Michael Meschke, en collaboration avec le compositeur, est une libre adaptation de La balade du Grand Macabre (1934) du belge Michel de Ghelderode. Ligeti tenait à ce qu'il soit traduit dans la langue du pays où l'opéra était représenté. Ainsi va-t-il multiplier les versions, en suédois, français, italien, hongrois, anglais, car l'opéra fait le tour du monde ! Ligeti ayant révisé sa partition en 1996, il restait certains passages qui n'avaient pas encore été traduits en français. La tâche ayant été confiée au chef et compositeur , c'est la première représentation de la version finale de 1996 en français qui est donnée à entendre, qui n'exclut pas les surtitres pour autant. , qui vient de diriger l'opéra en octobre dernier au festival Enescu, seconde ce soir sur le plateau de l'Auditorium dans ces instants particulièrement foisonnants de polyrythmie où les parties de l'orchestre ou du chœur  s'individualisent et les tempi se superposent.

Dans l'élan de son anti-opéra, Aventures, Nouvelles Aventures (1962-1966), Le Grand Macabre, « anti-anti opéra » tel que Ligeti le présentait (car il aimait toujours aller de l'avant) est conçu en quatre tableaux assemblant différents modules scéniques reliés par la trame narrative : on y raconte l'arrivée dans le village de Breughelland, où règnent en maître l'insouciance, l'ivresse et les délices de l'amour, d'un personnage nommé Nekrotzar (le grand macabre) qui vient annoncer la fin du monde ; mêlé à la vie du village, l'oiseau de mauvaise augure se fait piéger par ceux qu'il veut faire disparaître. Au soir où doit s'accomplir sa « sainte tâche », il s'anéantit dans un état d'ivresse total. L'annonciateur de la mort est mort… Le compositeur laisse une fin ouverte à ce « dramma giocoso », la hantise du temps et de la mort ayant questionné le compositeur toute sa vie.

Sur scène, l'orchestre est largement déployé, avec cette abondance de claviers que Ligeti aime réunir : piano, clavecin, célesta, synthétiseur et régale, le petit orgue liturgique dans son fourreau noir ; on pense à Monteverdi et la richesse de son continuo pour caractériser les personnages. Les cordes restent chambristes quand les cuivres gras (tuba contrebasse en vedette) et les percussions abondent. Pas de déploiements symphoniques ni de hiérarchie dans l'orchestre chez Ligeti mais un condensé de couleurs volontiers provocatrices au service de la dramaturgie : tels ces Préludes au klaxon dûment dirigés en ouverture du premier et deuxième tableaux, qui donnent le ton, ou encore ce petit concert de sonnettes d'appartement dont se souviendra Helmut Lachenmann, soucieux, comme son ainé, du « faire sonner ». On entend rugir une sirène dans le troisième tableau et battre puissamment le tambour. Personnel également, cette volonté d'étirer jusqu'aux limites les registres extrêmes, avec les dernières harmoniques des cordes doublées par les sifflets et autres accessoires stridents de la percussion lorsque la tension est à son comble. Tout y est ciselé, impertinent et d'une exigeante précision : la performance du « National » et de (une « prise de rôle » pour ce dernier) est hors norme, dont la concentration et la vigueur du geste ne seront jamais relâchées.

Une scénographie lumière () et une mise en espace () tirent partie de la configuration de l'Auditorium. Des tubes Led ont été distribués sur l'ensemble du plateau pour varier les ambiances colorées. En spatialisant les musiciens de l'orchestre, renouvelle sensiblement les perspectives d'écoute au fil des tableaux tandis que le mouvement des projecteurs dans la salle (la comète qui passe au-dessus de nos têtes) met l'œil en alerte. Autant de stratégies pour souligner la vitalité inhérente à la dramaturgie. Pour exemple, cette joute tellement vulgaire qu'elle en est drôle, au début du troisième tableau, où les deux ministres (solistes du chœur) se faisant face sur le devant de la scène, associent leurs jurons respectifs (sélectionnés par ) à une véritable chorégraphie de gestes.

On serait bien en peine de définir la vocalité du Grand Macabre, tant est libre et inventive la manière de chanter dans une partition truffée de citations : lignes vocalisée, parlé-chanté rugueux, lyrisme sensuel, récitatif accompagné ou air furieux, galimatias lorsque l'absurdité du propos devient onomatopées : la voix comme l'orchestre passent par toutes les couleurs et les outrances.

Personnage truculent, toujours entre deux bières, / Piet du Bock est un ténor qui allie puissance, flexibilité et timbre rayonnant, prenant de plus en plus d'assurance au fil des tableaux. La scène de ménage est musclée et le duo irrésistible où Mescalina / qui invoque Venus, malmène son « lovelace » de mari, le baryton-basse (Astradamors) dans un duo irrésistible. La stature imposante et la séduction vocale du contreténor font merveille dans le rôle de Go-Go, sur-despote absurde et en mal de gloire. Elle est Venus dans le deuxième tableau mais c'est dans la peau du chef de la Gepopo que la soprano colorature se surpasse, dans une performance sur-vitaminée où le corps autant que la voix sont sollicités. Nékrotzar (le baryton-basse ) n'est pas toujours sur scène mais chacune de ses entrées, soulignées par l'orchestre, met le plateau en émoi. Il domine son monde par l'ampleur et la projection d'une voix qui en impose, du moins avant qu'il ne s'oublie dans la boisson. Le duo très fusionnel d'Amando (Spermando) et Amanda (Clitoria), respectivement et , n'est que sensualité et voix caressantes tout à leur jouissance. Les deux amoureux débutent l'opéra et ce sont eux que l'on retrouve dans la Passacaille finale, engageant chacun et chacune à vivre dans la joie le temps présent : « Là maintenant. Oui, c'est ainsi qu'on arrête le temps éternel ».

Crédit photographique : © Radio France

(Visited 595 times, 1 visits today)

Plus de détails

Paris. Maison de la Radio et de la Musique. Auditorium. 2-XII-2023. Festival d’Automne, co-réalisateur. György Ligeti (1923-2006) : Le Grand Macabre, opéra en quatre tableaux sur un livret de Michael Meschke et György Ligeti ; version de concert ; première représentation de la version finale de 1996 en français. Mise en espace, Benjamin Lazar ; scénographie lumière, Sylvain Sechet. Avec : Matthieu Justine, ténor, Piet du Bock ; Robin Adams, baryton-basse, Nekrotzar ; Laurent Alvaro, basse, Astradamors ; Lucile Richardot, mezzo-soprano, Mescalina ; Andrew Watts, contreténor, Prince Go-Go ; Sarah Aristidou, soprano, chef de la Gepopo / Venus ; Judith Thielsen, mezzo, Amando (Spermando) ; Marion Tassou, soprano, Amanda (Clitoria) ; solistes du chœur, Ruffiack, Schobiak, Schabernack, Ministre noir, Ministre blanc. Orchestre National de France ; Chœur de Radio France, chef de chœur : Lionel Sow ; Maîtrise de Radio France, cheffe de chœur : Sofi Jeannin ; direction musicale : François-Xavier Roth

Mots-clefs de cet article

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Reproduire cet article : Vous avez aimé cet article ? N’hésitez pas à le faire savoir sur votre site, votre blog, etc. ! Le site de ResMusica est protégé par la propriété intellectuelle, mais vous pouvez reproduire de courtes citations de cet article, à condition de faire un lien vers cette page. Pour toute demande de reproduction du texte, écrivez-nous en citant la source que vous voulez reproduire ainsi que le site sur lequel il sera éventuellement autorisé à être reproduit.