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Lièe. Opéra Royal. 19-XI-2023. Jaqcues Offenbach (1819-1880) :les Co,ntes d’Hoffmann, opéra fantastique en trois actes , un prologue et un épilogue, sur un livret de Jules Barbier, d’après le drame éponyme de Jules Barbier er Michel Carré; Mise en scène, décors, costumes, lumières et chorégraphie : Stéfano Poda, assisté de Paolo Giani Cei. Avec : Arturo Chacon-Cruz : Hoffmann; Jessica Pratt : Olympia/ Antonia/ Giulietta/ Stella; Erwin Schrott : Lindorf/ Coppélius/ le Docteur Miracle/ Dapertutto; Julie Boulianne : La Muse/ Nicklausse; Luca Dall’ Amico : Luther/ Crespel; Vincent Ordonneau : Andrès: Cochenille/ Frantz/ Pitinacchio; Samuel Namotte : Hermann; Valentin Thill : Spalanzani; Julie Bailly : la voix de la mère d’Antonia; Roger Joakim : Schlemil; Jonathan Vork : Nathanaël. Choeurs, préparés par Denis Segond, et orchestre de l’Opéra Royal de Wallonie-Liège, Jean-Gabriel Raelet, konzertmeister, Giampaolo Bisanti, direction général.
Vingt ans après la dernière représentation in loco, l'Opéra Royal de Liège propose une nouvelle production des Contes d'Hoffmann mise en scène par l'inventif Stefano Poda, avec Arturo Chacón-Cruz et Jessica Pratt qui relève le défi des quatre rôles féminins principaux.
Les Contes d'Hoffmann représentaient sans doute pour Offenbach l'occasion d'opérer un virage stylistique définitif, et de tourner le dos au répertoire d'opérettes et d'opéras bouffes qu'il avait servi avec tant d'éloquence et de succès. Las ! La Camarde devait en décider autrement, et l'œuvre en voie d'achèvement fut mise en forme par Ernest Guiraud, moyennant d'importantes coupures et remaniements, notamment pour l'Acte de Venise… Mais Guiraud exauça le vœu du compositeur : assurer une continuité musicale par le truchement de récitatifs plutôt que d'en casser le flux par des dialogues. S'il n'existe donc pas de version définitive de la partition, l'Opéra Royal de Wallonie en propose une mouture assez exhaustive pour plus de trois heures de spectacle.
On le sait : le livret, que Barbier a tiré de sa propre pièce éponyme, joue sur une confusion délibérée entre E.T.A Hoffman, l'auteur bien réel des Contes – tels l'Homme au Sable, le Conseiller Krespel et les Aventures de la nuit de la Saint-Sylvestre, bases narratives de chacun des trois actes – et son double opératique, à la personnalité sise entre déréliction amoureuse ou existentielle (les trois actes) et créations littéraires en devenir (prologue et épilogue) : la relation sentimentale difficile avec Stella devient pour le héros un moteur de la narration de ses déboires passés, peu ou prou préfigurations de sa présente désillusion.
Stefano Poda, célébré pour son savoir-faire protéiforme, et déjà très apprécié à Liège entre autres pour un Faust de Gounod inoubliable, maîtrise, en touche-à-tout de génie, les différents éléments du spectacle : si la mise en scène et la direction d'acteurs demeurent très classiques et à la longue prévisibles, éludant parfois l'humour et le grotesque délibérés de certaines scènes (par exemple les couplets de Frantz, le domestique dur d'oreille à l'acte II), ce sont surtout les décors, costumes, éclairages et même chorégraphies qui d'emblée séduisent davantage par leur originalité.
En effet, Poda sublime la dualité entre réalité et fantasmagories par l'unicité du décor principal, superbe et diversement irisé selon l'angle d'éclairage et le choix des lumières : un cabinet de curiosité monumental où Hoffmann a déposé crânes, bustes d'équidés, fragments d'antiques, madrépores et autres bibelots bizarroïdes. Ce reliquaire demeure le repère spatio-temporel et psychologique du héros.
Par un habile jeu de coursives s'y déploie un « imaginarium » au cours de chaque donne dramatique, le cercle de tous les possibles, espace intérieur, tout en rondeur mais singulier par son impossible quadrature, se révèle cabinet de réflexion d'un être ivre et à la dérive durant le prologue. Ce conceptacle devient, à l'Acte I, oculus vers le laboratoire de Spalanzani, génie de la Science ruiné et abîmé par le naufrage de son invention Olympia, puis, après l'entracte, l'antre de l'Art, avec la discothèque de Crespel vieux mélomane amateur de divas opératiques et enfin au dernier acte, le miroir aux alouettes d'une insaisissable gondole dérivant sur la lagune, puis allégorie du Temps et du Destin avec l'irruption des cintres d'une gigantesque roulette de casino, par ailleurs métaphore de la superficialité ludique des courtisanes vénitiennes. L'on retrouve à l'épilogue, l'espace initial circulaire muté définitivement en cabinet de travail littéraire.
Les costumes se partageront entre blanc et noir – entre le simili cuir de la Muse/ Nicklausse et les robes d'apparat de Giulietta et ses suivantes à l'acte III – ponctuées ça et là par le rouge (les tenues suggestives des poupées-automates de Spalanzani ou les gants ensanglantés des doubles diaboliques de Lindorf).
Avouons avoir été plus convaincu par la force et la beauté visuelles incontestables de ce luxueux décorum que par la conduite d'acteurs plus erratique, parfois répétitive au fil des actes ou inexplicablement convenue durant l'épilogue. Certes, c'est là une excellente idée que de figurer, au premier acte, Olympia et ses jumelles, en ballerines mécanisées prisonnières de leurs cages de verre translucide, poussées à l'envi par des choristes-manutentionnaires. Mais, au fil d'une interminable valse où la danseuse reste dans sa « bulle », le ressort dramatique s'essouffle avant même le coup de grâce fatal porté par Coppélius à la malheureuse poupée élue.
Cette idée fixe ressurgit au deuxième acte : de nouveau sous ces cloches translucides, s'immiscent les effigies interchangeables et nominatives de divas du passé proche ou lointain, réelles (Callas et Sutherland) ou fictives, telle la défunte mère de la chétive cantatrice. Si le troisième acte se révèle plus dramatique dans l'affrontement frontal de Schlemil, le personnage sans ombre, et Hoffmann dépossédé de son reflet, surgissent en son mitan sous le même cortège de verre, les effigies de courtisanes célébrées par l'art lyrique (Violetta, Thaïs), la littérature (Nana) ou encore le cinéma (Satine)…. Cette tautologie symbolique au fil des actes oblitère quelque peu l'impact dramatique spécifique de chaque acte à force de surligner la constance de l'échec du « héros »! De même l'apothéose finale, où la Muse rejoint un Hoffmann désabusé pour définitivement féconder son imaginaire littéraire, tient plus du protocole convenu que de l'allégorie orphique. Bref, voilà une littéralité scénique un rien décevante, eu égard à l'invention visuelle bien plus débridée du décorum.
La distribution vocale s'avère des plus convaincantes. Arturo Chacón-Cruz a relevé le défi de reprendre au milieu des répétitions l'écrasant rôle-titre, remplaçant pour raison de santé, le ténor initialement prévu. Nous en apprécions la brillante vocalité et le timbre un rien corsé, sans doute plus solaire et latin que spécifiquement français, sentiment renforcé par un léger accent méridional. Il restitue à merveille les diverses facettes du personnage, même s'il est plus crédible en amoureux transi au deuxième acte ou lors de l'affrontement avec Schlemil qu'en ivrogne invétéré narrant les mésaventures de Kleinzach au prologue.
Face à lui, Erwin Schott s'empare des quatre rôles « machiavéliques » de baryton-basse avec un abattage véhément et une santé vocale presque insolente. Certes l'on pourra reprocher un style vocal tenant plus du vérisme que du « grand opéra » romantique, ou encore une prononciation française assez exotique, mais tant par la variété du timbre que par ses incarnations très physiques, il peut aussi bien traduire la ruse de Lindorf que camper d'étonnantes compositions charlatanesques en Coppélius ou en Docteur Miracle, et irise de mille feux la noirceur de son « Scintille, diamant » chanté par Dapertutto.
Jessica Pratt, comme elle l'avait déjà fait à Bordeaux, sous la baguette de Marc Minkowski, exauce le souhait du compositeur avec un brio épatant, et relève le défi plus énorme encore de l'incarnation des quatre rôles féminins principaux, les trois facettes de l'amour réunie en une quatrième, idéale, Stella. Elle possède à la fois la largeur de la tessiture, la plasticité stylistique et la variété de timbres ou d'expression dramatique. Peut-être affiche-t-elle juste un zeste de prudence dans le registre haut-médium – tout en « sortant » avec un naturel désarmant toutes les coloratures les plus stratosphériques – durant un irrésistible » Les oiseaux dans la charmille » (Olympia). mais elle est aussi à l'aise en pathétique Antonia souffreteuse qu'en Giulietta courtisane arriviste.
Notre coup de cœur va toutefois à la mezzo-soprano Julie Boulianne – déjà appréciée sous nos latitudes en Octavian à la Monnaie ou, à Liège, en Sœur Marie des Dialogues des Carmélites. Parfaite incarnation scénique tantôt de la muse inspiratrice – elle est impériale, dès le lever de rideau – tantôt en Nicklausse, l'amicale conscience morale d'un Hoffmann à la dérive. Elle sublime toutes ses interventions par l'homogénéité de son timbre, par sa maîtrise consommée du legato et du vibrato, ou par la conduite des phrases jusqu'à leur extinction : son air » du violon » , au deuxième acte, tient de la pure magie et est peut -être le sommet émotionnel de tout ce spectacle.
Les rôles secondaires sont distribués avec un bonheur semblable. Vincent Ordonneau livre les quatre rôles de ténor de demi-caractère, témoins plus qu'acteurs des drames se nouant. Idéal par sa vocalité diaphane en Andrès, Cochenille, ou Pintinacchio, son « beau chant » manque de second degré et de désinvolture en Frantz, seul rôle délibérément bouffe au sein d'un opéra finalement très noir. Luca Dall'Amico, habitué de la maison mosane, incarne à la fois un truculent aubergiste Maître Luther du prologue et un Crepsel, père d'Antonia, un rien monolithique se terrant dans la hantise d'une malédiction familiale.
Valentin Thill est sans aucun doute l'un des ténors français les plus doués et passionnants de la génération montante : il livre une parfaite représentation, entre miel et fiel, du scientifique Spalanzani, le « père » d'Olympia, et allie vaillance vocale, clarté superlative de la diction et probe jeu scénique, en savant ruiné. Plusieurs artistes belges sont sollicités pour des apparition plus ponctuelles : Samuel Namotte est irréprochable en Hermann, goguenard et frondeur, Julie Bailly, parfaite de vocalité dans la courte et statique évocation de la voix de la mère (d'Antonia), Roger Joakim livre un impeccable Schlemil à la fois perfide et vindicatif, alors que Jonathan Vork, pris un peu à froid, issu des chœurs, se montre un rien moins heureux lors de sa brève apparition liminaire en Natanaël.
Depuis qu'ils ont été repris en main par Denis Segond, les chœurs de l'Opéra Royal se montrent sous un excellent jour : cohérence, couleurs, et précision sont au rendez-vous tout au long de leurs nombreuses et souvent déterminantes interventions au fil du drame.
Giampaolo Bisanti, nouveau directeur musical de la maison liégeoise, très investi, teint avec élégance, style, précision son plateau, tout en menant avec force et conviction une phalange très en verve – la petite harmonie coruscante à souhait.
Cette production vaut tant pour son éclatante distribution vocale que pour sa scénographie très impactante.
Crédits photographiques : © vues d'ensemble, Arturo Chacón-Cruz et Jessica Pratt, Erwin Schrott et Julie Boulianne ORW-Liège/J.Berger
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Lièe. Opéra Royal. 19-XI-2023. Jaqcues Offenbach (1819-1880) :les Co,ntes d’Hoffmann, opéra fantastique en trois actes , un prologue et un épilogue, sur un livret de Jules Barbier, d’après le drame éponyme de Jules Barbier er Michel Carré; Mise en scène, décors, costumes, lumières et chorégraphie : Stéfano Poda, assisté de Paolo Giani Cei. Avec : Arturo Chacon-Cruz : Hoffmann; Jessica Pratt : Olympia/ Antonia/ Giulietta/ Stella; Erwin Schrott : Lindorf/ Coppélius/ le Docteur Miracle/ Dapertutto; Julie Boulianne : La Muse/ Nicklausse; Luca Dall’ Amico : Luther/ Crespel; Vincent Ordonneau : Andrès: Cochenille/ Frantz/ Pitinacchio; Samuel Namotte : Hermann; Valentin Thill : Spalanzani; Julie Bailly : la voix de la mère d’Antonia; Roger Joakim : Schlemil; Jonathan Vork : Nathanaël. Choeurs, préparés par Denis Segond, et orchestre de l’Opéra Royal de Wallonie-Liège, Jean-Gabriel Raelet, konzertmeister, Giampaolo Bisanti, direction général.