Éditos

De Zidane à Roberto, de Werther à Radames…

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Edito

Dimanche dernier, s'est fait huer à la Scala et a quitté la scène, l'anecdote secoue le Landernau français et italien au point que nul ne peut l'ignorer. Mais la bonne question à se poser ne serait-elle pas plutôt : pourquoi s'est-il fait huer ?

Notoirement, le public de La Scala est difficile, porté à l'emportement, voire à la cabale quasi-maffieuse, et surtout, surtout, chauvin. Qui ne se souvient de la douloureuse Lucrezia Borgia de Renée Fleming pourtant pas si mauvaise, huée en plein milieu de sa cabalette, et qui tint toute la durée de la représentation, toujours ponctuée de sifflets, des bouuhhhh accordés à Chris Merritt ne faisant pas, sur injonction de Riccardo Muti, le contre ut du Trouvère, et même de certains accueils réservés à Maria Callas ? Et aussi parfois, du sort des « enfants du pays » : en leur temps, Tebaldi, Pavarotti, Tiziana Fabbricini ont recueilli, à tort ou à raison, les insultes du public. C'est un fait connu, hélas accepté, et cela, Alagna ne pouvait pas ne pas le savoir.

Notre ténorissimo devait-il pour autant quitter la scène, et cela après un geste de défi, poing en l'air selon les uns, salut selon lui-même ? J'aurais tendance à rapprocher ce geste de celui d'un autre de nos français célèbres, Zinedine Zidane. Tous deux se sont senti insultés, tous deux ont réagi violemment, l'un par un coup de tête, l'autre en plantant là sa partenaire et toute une équipe éberluée, ce qui n'est élégant ni d'une part ni d'une autre. Mais tous deux sont des humains, et rien que des humains, et peuvent être sujets à des défaillances. Or, il me semble que le geste de Zidane obtint immédiatement de ses thuriféraires une absolution refusée à Alagna. Pourquoi donc ?

Eh bien peut-être s'agit-il du rapport métier/médias. Un footballeur exerce dans un domaine a priori populaire, sans connotation péjorative, alors qu'un artiste lyrique évolue « forcément » dans une sphère « raffinée ». D'autre part, qui à part les aficionados connaît le prénom de l'épouse de Zidane, ce qu'elle fait, ce qu'elle pense ? Alors que nous savons tout des débordements d'Angela Gheorghiu, et cela, grâce à un choix parfaitement calculé de la part du couple opératique, qui conduit la médiatisation de leur carrière comme celui de stars de la pop.

En effet, quelle autre vedette d'opéra, à part Alagna, « fait » les samedis soirs chez Drucker ? Quel autre chanteur lyrique, à part Florent Pagny (oui, je sais) ma concierge connaît-elle ? Quel quidam, même s'il a déjà entendu parler de Natalie Dessay, sait à qui elle est mariée et comment s'entend leur couple ? Sur quelle radio le beau Roberto choisit-il de s'exprimer au lendemain du scandale ? Pas sur France-Mu, mais sur RTL !

Cela n'a rien de rédhibitoire en soi, mais implique au moins une chose : une star populaire se voit étalée aux délires des tabloïds, à la dissection de sa vie privée : on ne pardonne rien à celui qui s'y expose : ni son épouse, diva auto-proclamée, ni son envahissante famille (sa sœur Marinelle, également son agent, ses frères David et Frederico, metteurs en scène imposés, alors que comme on dit le talent n'est pas une affaire de famille) ni surtout son ego. Quand on se voit ainsi exposé, il faut avoir le bon sens de contrôler ses propos, or, les quelques déclarations du ténor à la presse italienne après la première de Aida avaient tout pour indisposer son public. Mais après tout, cette médiatisation est un choix, initiée en son temps par l'impresario Levon Sayan, plus connu dans le monde de la variété que celui de l'art lyrique, mais ensuite, une fois le manager débarqué, assumée par le ténorissimo. Choix personnel, il ne nous appartient pas de juger. Sauf que l'on pourrait penser que notre star du lyrique aurait pu profiter de cet incroyable tremplin pour tenter de mettre à portée du grand public cet discipline exigeante qu'est l'art lyrique. Hélas, il semble plutôt, au vu de la consternante soirée chez Drucker, que c'est l'opéra qui se dénature sans aucune exigence artistique, jusqu'à se mettre au niveau de la star'ac.

Idem, et pour en revenir à Zidane, alors que ce dernier avait fait preuve à la télévision d'une profonde humilité qui semble être sa nature même, notre indécrottable Roberto sert à Marc-Olivier Fogiel une théorie du complot (des tifosis menaçants à son entrée au théâtre, une doublure toute prête qui s'échauffe alors qu'Alagna n'est pas encore monté sur les planches…) sans se remettre en cause le moins du monde, parlant des félicitations et du succès accueillant sa prestation lors de la première, et avouant, que jamais, de toute sa vie de star, il n'avait été auparavant sifflé. A mon humble avis, tout ceci est attendrissant, et obligatoirement lié au mythe de la diva, ou dans le cas présent, du divo, dont est le dernier, et peut-être ultime avatar. Sans ces éclats, où ne nicherait le mythe ?

Alors, si ce n'est ni son égocentrisme, ni sa grossièreté de quitter ainsi la scène, ni sa façon de se médiatiser, que faut-il reprocher à Roberto Alagna ? Hélas, la raison est tout autre, et purement musicale : Roberto Alagna n'aurait tout simplement jamais dû envisager de chanter dans Aida. Sa belle voix de ténor lyrique n'a ni la puissance, ni le mordant du spinto de Radames. Certains spectateurs présents à la Scala ont même émis l'hypothèse que notre Roberto serait parti plus parce qu'il sentait qu'il n'arriverait pas au bout de la représentation qu'à cause des sifflets. Et cela, oui, cela, nous autres, tellement amoureux de son beau timbre, nous pouvons lui reprocher d'abandonner, par aveuglement, par manque de discernement et de conseils de son étouffant entourage, par volonté de copier les Del Monaco ou Di Stefano de son éducation sicilienne, les Werther ou Des Grieux pour lesquels un timbre fabuleux l'avait prédisposé.

Monsieur Alagna, vous resterez toujours pour moi, quoi que vous fassiez, quoi que vous disiez, quoi que vous chantiez, et pour l'éternité, ce Roméo miraculeux d'une belle soirée de printemps à l'Opéra-Comique. J'ai bien peur que ce temps là ne soit à jamais révolu…

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