La danseuse et chorégraphe Leila Ka, une histoire de femmes
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Révélée en tant qu'interprète dans la pièce May B de Maguy Marin auprès de laquelle elle a beaucoup appris, Leila Ka créé sa première chorégraphie en 2018. Son court solo intitulé Pode Ser est primé plusieurs fois à l'international. Il marque le premier volet d'une trilogie comprenant également le duo C'est toi qu'on adore en 2020 puis Se faire la belle, en 2022. Aujourd'hui artiste associée au CentQuatre-Paris et à La Garance, scène nationale de Cavaillon, où elle créera le 16 novembre Maldonne, sa nouvelle pièce pour cinq danseuses dont un extrait, intitulé Bouffées, a déjà remporté le premier prix du concours international Danse élargie, organisé par le Théâtre de la Ville à Paris. Rencontre avec une artiste atypique et prometteuse de 31 ans, déjà auréolée de succès.
ResMusica : Quel a été votre parcours de formation ?
Leïla Ka : Je n'ai pas fait d'école de danse. J'ai commencé à danser tard, à 15 ans. Je faisais du hip-hop à Saint-Nazaire, où j'ai grandi, avant d'aller vers la danse contemporaine. J'ai fini par mixer les deux, en utilisant la grammaire hip-hop, mais sans en respecter les codes. J'ai aussi exploré la danse latino et suivi un cursus plus académique à la fac. Je passais beaucoup d'auditions à l'époque et j'ai eu la chance d'être retenue par Maguy Marin qui recherchait des talents pour May B.
RM : Que vous a apporté ce travail avec Maguy Marin ?
LK : J'ai beaucoup appris avec May B et auprès de Maguy. Notamment la rigueur, la théâtralité. Avant de danser je faisais beaucoup d'improvisation sans parole. J'ai retrouvé cela chez Maguy et j'essaie de perpétuer ce que j'ai appris auprès d'elle.
RM : Comment s'est passée la transition après cette première expérience ?
LK : Après ce contrat où nous étions nombreux, je me suis retrouvée seule. C'est là que m'est venue l'idée de créer un solo, Pode Ser, que j'ai dansé avant de le transmettre à une danseuse qui a pris la suite. Deux ans après j'ai créé un duo, C'est toi qu'on adore, puis un autre solo. Je n'avais pas prévu de faire un triptyque, mais c'est vrai que ces trois pièces fonctionnent bien ensemble.
RM : Votre premier spectacle a reçu beaucoup de récompenses, comment avez-vous vécu ce premier succès ?
LK : Je n'avais pas de point de comparaison. Je trouvais cela super, mais ce n'est pas arrivé tout de suite non plus. Avant cela j'avais fait beaucoup de tentatives ratées. Je répondais à des appels à projet et je n'étais jamais sélectionnée…
RM : Vous ne travaillez qu'avec des danseuses, est-ce voulu ?
LK : Dans le duo que j'ai créé en 2020, je dansais avec un homme au départ. Puis je l'ai repris avec une danseuse et je trouvais que ça fonctionnait mieux, que c'était plus intéressant. Depuis, il est vrai que je n'ai travaillé qu'avec des femmes mais ce ne sera pas toujours forcément le cas. De fait, mes spectacles parlent beaucoup de l'identité et partent de moi ; danser avec des femmes semble cohérent.
RM : Votre nouvelle pièce, Maldonne, élargit le spectre puisqu'elle est conçue pour cinq danseuses.
LK : Effectivement. Au départ, j'ai créé Bouffée, une pièce de dix minutes pour quatre danseuses et moi, pour laquelle nous avons gagné un prix au concours Danse élargie et avec laquelle nous avons tourné. Cette pièce constitue le début de mon nouveau spectacle, Maldonne, dont la première aura lieu à La Garance, la scène nationale de Cavaillon.
RM : Pouvez-vous nous parler de ce nouveau spectacle ?
LK : Nous sommes donc cinq femmes sur scène avec une trentaine de robes. J'essaie d'aborder la façon dont on se débrouille aujourd'hui en tant que femme pour se construire, avec tout ce que l'on porte et qui ne nous appartient pas. Toutes les contradictions aussi, les choses que l'on souhaite faire, qu'on croit aimer, etc. Petit à petit, nous allons nous débarrasser de toutes les contraintes. Je me sers des costumes pour exprimer cela. J'adore les costumes, cela aide à voir et à entrer dans le personnage. J'aime également leur côté théâtral. J'ai trouvé les robes du spectacle dans des friperies ; elles ont toutes une histoire et donnent envie de se mouvoir différemment. Je souhaitais qu'elles aient toute quelque chose qui cloche : trop grande, trop petite, trop de fleurs… j'aime que les choses ne soient pas parfaites, quand il y a des failles.
«J'essaie de dire sur scène ce que je ne saurai dire dans la vie»
RM : Quels thèmes souhaitez-vous aborder avec cette nouvelle création ?
LK : J'essaie de définir des personnages avec un vécu, des désirs, une histoire. Ce sont des femmes qui ont des choses à dire mais qui ne parlent pas. Elles s'expriment par leur corps. Pour moi, ce qui est exprimé est très clair, et j'espère que ça l'est aussi pour le public. J'essaie de dire sur scène ce que je ne saurai dire dans la vie.
RM : Vous êtes à la fois chorégraphe et interprète, comment travaillez-vous ?
LK : C'est pour danser que j'ai commencé à créer des spectacles. J'adore danser ! Pour être à la fois danseuse et chorégraphe, je travaille beaucoup avec des miroirs et avec la vidéo. Je n'écris pas beaucoup et je travaille seule au départ pour trouver la matière et la gestuelle, ce que les personnages ont envie d'exprimer. Il y souvent de la colère, de l'insolence, l'envie de tout envoyer valser, une rage positive qui donne envie d'avancer. Je me pose la question de comment exprimer cela avec le corps. Dans mon premier solo, Pode Ser, je portais des baskets sous ma robe de tulle rose et j'avais les bras collés au corps pour montrer l'emprisonnement. Ensuite j'échange beaucoup avec les autres danseuses, et nous faisons pas mal d'improvisation au départ. Le spectacle évolue ainsi petit à petit.
RM : Quels sont vos choix de musique pour Maldonne ?
LK : Il y a de la musique électro, mais aussi du classique et des chansons populaires que tout le monde connaît. Ce sont des univers différents qui représentent les différents états que l'on traverse, mais j'ai souhaité que les transitions entre les morceaux soient fluides et qu'il y ait des silences aussi, pour laisser la place aux bruits du corps.
RM : Quelles sont vos influences ?
LK : Maguy Marin bien sûr, mais je ne vois pas beaucoup de spectacles de danse. J'ai tout de même été marquées par Vice Versa de la compagnie Mossoux-Bonté, par It's going to get worse and worse and worse, my friends de Lisbeth Gruwez ou encore par Belle d'hier de Phia Ménard. J'aime aussi les arts martiaux, les sports de combats et les danses urbaines que je regarde sur les réseaux sociaux, notamment venant d'Afrique ou d'Amérique latine. Récemment, j'ai découvert des tableaux de la période romantique que je trouve très beaux mais qui représentent aussi ce dont je veux me dégager : les femmes fragiles, dociles, malheureuses…