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Rachmaninov par Kirill Petrenko et Kirill Gerstein : interrogations non résolues

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Sergueï Rachmaninov (1873-1943) : Concerto pour piano n° 2 op. 18 ; Mélodie extraite des Morceaux de Fantaisie op. 3 ; Liebesleid de Fritz Kreisler (arr. Rachmaninov) ; Variations sur un thème de Corelli op. 42 ; Dans le silence de la nuit secrète, extrait des Six Lieder op. 4 (arr. Gerstein). Kirill Gerstein, piano ; Orchestre philharmonique de Berlin, direction : Kirill Petrenko. 1 CD Berliner Philharmoniker. Enregistré en public à la Waldbühne de Berlin en juin 2022 (concerto) et à la Philharmonie de Berlin en février 2023. Notice de présentation en anglais et allemand. Durée : 60:00

 

Le 150e anniversaire de la naissance du compositeur est le prétexte pour cette parution. L'interprétation du plus célèbre concerto du compositeur russe dans le cadre de la Waldbühne de Berlin se révèle, pour diverses raisons, des plus problématiques.

Il paraît bien difficile de s'y retrouver aujourd'hui dans la politique discographique du Philharmonique de Berlin qui dispose de son propre label. Entre les anthologies historiques (Furtwängler), les coffrets monographiques (Adams), les compilations de concertos et de solistes, les intégrales inégales de Mahler (divers chefs) et Beethoven (Rattle), toutes ces productions paraissent répondre davantage à des opportunités qu'à une véritable politique discographique. Qui plus est, le legs de dont on souligne régulièrement la qualité des interprétations en concert ne se retrouve pas au disque, y compris dans son répertoire russe de prédilection.

Comment ne pas s'interroger sur la pertinence des dernières gravures, qu'il s'agisse de Tchaïkovski, Chostakovitch et, aujourd'hui, Rachmaninov, d'autant plus que la discographie est surchargée de références. Certes, un chef russe… Certes, un orchestre qui sait “tout” jouer… Le faut-il faire pour autant ? A l'image des enregistrements, le design étudié des produits se révèle plus souvent décoratif (dans le cas présent, une iconographie aussi faussement épurée que déprimante !), racheté, il est vrai, par l'excellent texte de présentation (en anglais) de Rebecca Mitchell.

Enregistrement d'opportunité, donc, avec ce “live” enregistré en juin 2022 sur la scène de la Waldbühne, la grande “communion” en plein-air, populaire et familiale des Berlinois (un coffret de 20 Blu-ray regroupant des concerts de 1998 à 2022 est disponible sur le site de l'orchestre). Et c'est précisément l'acoustique du lieu qui pose problème, ne remplissant pas les critères techniques du disque. Notons que pour ce concert, Gerstein remplaçait au pied-levé Daniil Trifonov, alors souffrant.

Premières mesures du concerto : le piano se heurte à la masse orchestrale. Les pupitres sont non différenciables, les basses indéfinissables. Une sorte de brouhaha des graves émerge, entaché de petites ruptures permanentes de dynamiques. Le piano est comme étouffé. Ses aigus jaillissent de temps en temps, surnageant au-dessus de cette marée. L'orchestre est en mode “yoyo” jusqu'au choc des timbales, dont nous avons cru, à première écoute, qu'elles avaient été remplacées par une machine à vent tellement leur sonorité est déformée et laide. Cela ne déconcentre pas Gerstein qui préserve la cohérence de son interprétation. Hélas, les dialogues (hautbois, clarinette, cor…) sont tellement téléguidés et les ingénieurs du son si vigilants sur leurs potentiomètres que l'ensemble perd toute spontanéité. S'ajoute un maniérisme – dû à l'ambiance du plein-air ? – des premiers violons comme s'il fallait absolument capter l'attention des milliers de personnes sur les gradins, en grossissant les effets. Les derniers accords du mouvement sont assénés avec une vulgarité toute “sportive”. Voilà qui devrait donner quelques arguments à ceux qui associent Rachmaninov à Hollywood…

La simplicité fait tout autant défaut dans le mouvement lent. Le vibrato chargé des cordes, les graves pesants contrastent avec une petite harmonie raffinée, mais totalement irréaliste sur le plan acoustique. Berlin, tout de même… Gerstein conduit le chant très projeté, un peu forcé parfois. Il sait où il va et profite des silences de l'orchestre, suivis des tutti les plus grandiloquents. Le finale tire davantage vers le “Champagne” de Saint-Saëns que la musique russe. Tout y est pétillant, virtuose à souhait avec des cordes graves qui envahissent toujours autant l'espace. Gerstein demeure techniquement impérial, tirant le maximum d'un Steinway aux aigus pourtant métalliques. Ce piano qui n'est pas le plus inspiré et personnel que l'on connaisse dans ce répertoire (Janis, Orozco, Wild, Richter…) impose toutefois sa respiration à l'orchestre tiré au cordeau par Petrenko. On peut imaginer qu'il y eu de nombreux raccords, ne serait-ce que pour nous épargner les bruits de 2000 personnes…

C'est un autre Steinway qui est joué pour les pièces en solo, captées, cette fois-ci, dans l'écrin de la Philharmonie de Berlin. Le choix du thème des Variations sur un thème de Corelli avait été inspiré par Kreisler dont on entend également la version arrangée par Rachmaninov du Liebesleid. Les variations dont la tension est délicate à maintenir – Rachmaninov racontait qu'il n'eut jamais l'occasion de les jouer en entier tellement le public s'impatientait – sont complémentaires du concerto. En effet, l'orchestre y est bien souvent suggéré et le jeu épais de Gerstein accentue cette impression. Creuser ainsi le son est une approche intéressante et différente des lectures plus immédiatement brillantes de Thibaudet, Ashkenazy, Collard, Fiorentino, entre autres. En regard d'un tel programme, on s'interroge sur la présence des trois autres pièces directement liées à la voix. La Mélodie op. 3 puis Liebesleid joués dans un espace cotonneux, sans oublier l'arrangement bien fait du troisième des Six Lieder op. 4 – il s'agit du premier enregistrement de cette pièce créée en 2023 – paraissent presque incongrus à la suite du Concerto. Un album qui, décidément, nous laisse très dubitatif.

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Sergueï Rachmaninov (1873-1943) : Concerto pour piano n° 2 op. 18 ; Mélodie extraite des Morceaux de Fantaisie op. 3 ; Liebesleid de Fritz Kreisler (arr. Rachmaninov) ; Variations sur un thème de Corelli op. 42 ; Dans le silence de la nuit secrète, extrait des Six Lieder op. 4 (arr. Gerstein). Kirill Gerstein, piano ; Orchestre philharmonique de Berlin, direction : Kirill Petrenko. 1 CD Berliner Philharmoniker. Enregistré en public à la Waldbühne de Berlin en juin 2022 (concerto) et à la Philharmonie de Berlin en février 2023. Notice de présentation en anglais et allemand. Durée : 60:00

 
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