Yuja Wang : deux Ravel pour le prix d’un à la Philharmonie de Paris
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Paris. Philharmonie. Grande salle Pierre Boulez. 4-X-2023. Claude Debussy (1862-1918) : Prélude à l’Après-midi d’un faune ; Maurice Ravel (1875-1937) : Concerto en sol majeur pour piano et orchestre ; Concerto pour la main gauche en ré majeur ; Béla Bartók (1881-1945) : Le Mandarin merveilleux, version de concert op. 19. Yuja Wang, piano. Orchestre de Paris, direction : Klaus Mäkelä
Entre L'Après-midi d'un faune de Claude Debussy et Le Mandarin merveilleux de Béla Bartók, interprétés par l'Orchestre de Paris conduit par Klaus Mäkelä, la pianiste Yuja Wang s'invite dans la danse avec les deux concertos pour piano de Maurice Ravel.
Dans ce copieux programme, il faut bien avouer qu'on ne sait qu'admirer le plus, de la virtuosité ébouriffante de Yuja Wang au piano dans Ravel, ou de la maestria de Klaus Mäkelä dans la direction des deux œuvres « scandaleuses » que furent lors de leur création les pièces de Debussy et de Bartók.
Le Prélude à l'Après-midi d'un faune de Claude Debussy (1894) ouvre la soirée. D'inspiration mallarméenne, cette pièce célèbre faite de rêve, de mystère et de désir met en avant la sensualité langoureuse de la flûte de Vincent Lucas au sein d'une orchestration diaphane (harpe et violon solo d'Andrea Obiso) portée par un phrasé d'un remarquable souplesse agrémentée de beaux contrechants de cor.
Suivent ensuite, dans une passionnante mise en miroir, les deux concertos pour piano de Maurice Ravel, le Concerto en sol et le Concerto pour la main gauche. Deux pièces contemporaines (1929) aux accents jazzy, mais fondamentalement différentes par leur climat et leur dédicataires respectifs : léger, tendre et ludique, adressé à Marguerite Long pour le premier ; sombre et maléfique commandé par le pianiste autrichien Paul Wittgenstein, amputé du bras droit pendant la Grande Guerre, pour le second. Deux œuvres magnifiquement servies par le jeu virtuose haut en couleurs de Yuja Wang.
Dès le Concerto en sol on est saisi par la technique, la puissance, l'aisance et la grande variété du jeu de la pianiste qui jamais ne se démentiront tout au long des trois mouvements : avec un premier mouvement Allegramente développant un superbe dialogue rythmique et syncopé entre piano et vents interrompu par une première cadence très poétique ; un Adagio comme un moment de grâce suspendu chargé d'une intense émotion, mêlant avec une infinie délicatesse une sensualité prégnante et une tendresse douloureusement mélancolique, renforcée par la complainte du cor anglais de Gildas Prado ; un Presto final comme une cavalcade effrénée entre soliste et orchestre dans une joute virtuose, complice et ludique où l'on admire une fois encore la tonicité et la plasticité du toucher de Yuja Wang. Un époustouflant bis emprunté à Philip Glass conclut cette première partie.
Débutant dans les sonorités sombres des contrebasses, du contrebasson, du cor et des violoncelles, bientôt rejoints par les cuivres, le Concerto pour la main gauche, au style plus imposant, plus « athlétique » maintient parfaitement l'illusion d'une écriture pour les deux mains. Yuja Wang y déploie une fresque colossale où le défi technique et physique le dispute à la virtuosité pianistique face à un orchestre menaçant (cuivres, glissandos de trombone, caisse claire) dans une succession d'épisodes d'une caressante fluidité et des moments plus âpres et grinçants aux accents jazzy, en symbiose totale avec l'orchestre parfaitement mené par Klaus Mäkelä.
La version de concert du Mandarin merveilleux de Béla Bartók (1919) conclut la soirée. Inspirée d'un mimodrame dû à Menyért Lengyel, cette œuvre immorale qui met en scène un trio de voyous et une prostituée associés dans le meurtre d'un riche mandarin fit scandale à sa création au point d'être censurée. Bartók en tira une version de concert en 1928. D'un expressionnisme virulent, elle constitue le support idéal permettant à Klaus Mäkelä de faire montre de toute la théâtralité et de l'engagement de sa direction dans une interprétation qu'il convient de considérer comme un concerto pour orchestre tant il parait bien difficile d'y suivre un fil narratif démonstratif. Le chef s'emploie avec brio, clarté et beaucoup de nuances à y faire chanter l'orchestre, tant collectivement avec un parfait équilibre entre les masses sonores (quatuor, bois, trombones et percussions) qu'individuellement avec la clarinette solo de Philippe Berrod, le hautbois d'Alexandre Gattet ou le cor anglais de Gildas Prado, portés par un phrasé chaotique et anguleux alternant les épisodes de tension et de détente avant une coda paroxystique qui achève de manière magistrale et grandiose ce concert.
Crédit photographique : © Matthias Benguigui / Pasco & Co
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