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Strasbourg. Festival Musica.
15-IX-2023. La Laiterie : Missy Mazzoli (née en 1980) ; Vespers for a New Dark Age pour deux sopranos, une mezzo-soprano et ensemble ; Louis Andriessen (1939-2021) : Hoketus, pour deux ensembles de cinq musiciens ; Clipping : Daveed Diggs, William Hutson, Jonathan Snipes
16-IX-2023. Église du Temple Neuf. Love Music : pièces de Ted Hearne, Bára Gísladóttir, Natacha Diels, Christopher Cerrone, Andreas Eduardo Frank, Helmut Oehring. Collectif Lovemusic
16-IX-2023. TNS-Hall Grüber. Luciano Berio (1925-2003) : A-Ronne pour huit voix ; direction artistique et mise en scène : Joris Lacoste ; prologue électronique : Sébastien Roux ; HYOID voices ; chorégraphie : Claire Croizé ; lumières et scénographie : Florian Leduc
16-IX-2023. Palais des Fêtes. Jean Catoire (1923-2005) : sélection d’œuvres accompagnées de pièces de Scelsi, Lucier, Cage, Grisey, Radigue, Glass, Riley… Nicolas Horvath, piano ; ONCEIM
17-IX-2023. Münsterhof. Olivier Greif (1950-2000) : Oi Akashe, pour violoncelle et piano ; Sonate pour piano n° 22 « Les plaisirs de Chérence » ; Sonate de Requiem, pour violoncelle et piano. Emmanuelle Bertrand, violoncelle ; Pascal Amoyel, piano
Honorer (le centenaire de Berio), exhumer (le catalogue de 604 opus de Jean Catoire), réparer (l'absence d'Olivier Greif dans les annales du festival) : autant d'objectifs figurant au cahier des charges du premier week-end de cette 41ᵉ édition, que son directeur Stéphane Roth veut comme chaque année marquée du sceau de la découverte et de l'ouverture.
Faire cohabiter toutes les scènes
La 41ᵉ édition du festival Musica s'inaugure à La Laiterie, scène alternative au cœur de Strasbourg, avec un concert debout qui se déroule en deux temps : avec l'ensemble néerlandais Asko Schönberg d'abord et une première pièce, Vespers for a New Dark Age de la compositrice américaine Missy Mazzoli dont le public parisien a pu dernièrement découvrir l'opéra Breaking the Waves. Si le rendu sonore (balance et qualité des voix) déçoit, Hoketus, pour deux factions de cinq musiciens (deux congas, deux flûtes andines, deux saxophones et deux claviers) du Néerlandais et regretté Louis Andriessen tient toutes ses promesses. L'œuvre répétitive et jubilatoire, dont le fonctionnement par cycles exerce toute sa complexité, nous porte vers la transe.
La seconde partie du concert accueille le trio de hip-hop Clipping et son rappeur virtuose (et star de cinéma) Daveed Diggs dont les prouesses sonores et l'énergie hypnotique « mettent le feu » sur le dancefloor.
Y-a-t-il une musique de l'enfer ? s'interroge le collectif strasbourgeois Lovemusic dont le programme tout en rebondissement et découverte serre de près la thématique des ténèbres, du cauchemar et de l'au-delà. Dans l'espace sonorisé de l'église du Temple Neuf, c'est l'alto du diable que fait résonner Léa Legros Pontal dans Nobody's de l'États-unien Ted Hearne, frappant du pied avec cette même fougue qui anime le mouvement de son archet. Musique des ténèbres aux marges de la saturation, Rage against reply guy de l'Islandaise Bára Gísladóttir sollicite l'énergie et la puissance du geste des cinq musiciens en action. La New-yorkaise Natacha Diels combine le son et la chorégraphie du geste dans Second nightmare for Kiku pour un violon (Emily Yabe) et deux assistantes. Cauchemar toujours avec l'Américain Christopher Cerrone. The Night Mare est un véritable thriller sonore pour sept instruments dominé par les résonances inquiétantes des piano et percussion. Monster de l'Allemand Andreas Eduardo Frank est un théâtre de gestes et de sons qui ne va pas sans humour, associant la voix des quatre instrumentistes. On s'engage enfin dans les méandres de l'Enfer de Dante avec la musique étrange de l'Allemand Helmut Oehring qui mêle dans une vision cauchemardesque le langage des signes exécutés par les interprètes et les cris d'effrois entendus à travers les haut-parleurs. Le collectif Lovemusic est épatant (il gère lui-même tous les changements de plateau), orienté dans ses choix artistiques vers des expériences audiovisuelles où le geste musical est parfois davantage montré qu'entendu.
Un théâtre auriculaire
A-Ronne (1974-1975) est sans doute l'œuvre vocale a cappella la plus aboutie de Luciano Berio. Elle s'appuie sur un texte en six langues différentes d'Edoardo Sanguinetti que le compositeur dit avoir répété une vingtaine de fois au cours de la partition, mais avec des modes d'énonciations (ce qu'il nomme « la grammaire des comportements vocaux ») toujours différents. Certains passages sont chantés, à une ou plusieurs voix ; le texte parfois s'efface pour laisser place aux phonèmes, éloignant le sens au profit de la valeur son du mot : « la relation entre les deux niveaux (grammatical et acoustique) est l'essence des infinies possibilités du parlé et du chant humains », déclarait le compositeur à l'adresse de A-Ronne, originellement prévu pour une diffusion radiophonique.
L'espace de la Hall Grüber est plongé dans l'obscurité ; les spectateurs sont munis d'un casque et invités à déambuler durant les 50 minutes d'un spectacle imaginé par Joris Lacoste, chorégraphié par Claire Croizé et mis en lumière par Florian Leduc. Ainsi les huit chanteurs munis de micro-lèvres – le collectif HYOID voices exemplaire – partagent-ils le plateau avec le public et doivent parfois se frayer un chemin pour suivre les trajectoires induites par l'écriture chorégraphique. La performance exige qu'ils chantent par cœur, conduits par leur chef Filip Rathé qui dirige les bras tendus au-dessus de la tête. Le confort d'écoute est optimal, quelle que soit notre position, invitant les chanteurs à respecter à la lettre les dynamiques indiquées par Berio, du bruit de bouche au coup de gueule, sans être tenté de surjouer pour mieux se faire entendre. Un prologue très (trop) long de vingt minutes conçu par Sébastien Roux est censé nous amener progressivement à l'écoute attentive de ce théâtre auriculaire où, ce soir, l'œil est également convié.
Compositeurs oubliés
La musique d'Olivier Greif n'avait jamais encore résonné à Musica. Disparu prématurément à l'âge de 50 ans, Greif s'éloigne du milieu musical durant quelques dix ans (1982-1992) puis revient à la composition, concentrant dans la dernière partie de sa vie un corpus d'œuvres important. Le concert convie, dans la salle du Münsterhof, la violoncelliste Emmanuelle Bertrand et le pianiste Pascal Amoyel, deux interprètes attachés à la musique du compositeur, tandis que les trois pièces du programme ont été choisies par le public.
Oi Akashe, pour violoncelle et piano, fait référence à un chant bengali de Sri Chinmoy. Il est entendu sous l'archet de la violoncelliste soliste avant d'être brodé, varié, commenté par les deux instrumentistes prenant à tour de rôle la conduite du discours. L'écriture semble jaillir dans l'élan de l'improvisation, sous les doigts du pianiste notamment qui s'émancipe davantage du matériau originel.
Pascal Amoyel, qui a gravé l'étonnante Sonate de guerre du compositeur, prend la parole avant de jouer la Sonate n° 22 « Les plaisirs de Chérence », une partition de 1997 que le pianiste a créée. L'œuvre d'envergure enchaîne cinq mouvements où se révèle la manière du compositeur : une conception très libre de l'harmonie, une conduite essentiellement rhapsodique et une écriture qui investit tout le clavier par couches sonores superposées ; le cinquième mouvement, « le carillon de Chérence », est le plus impressionnant, l'interprète mettant en résonance les accords-cloches du piano avec une puissance et un sentiment d'urgence qui en décuplent l'impact émotionnel.
L'obsession de la mort (les titres d'œuvres en témoignent) traverse toute l'œuvre de Greif, conférant cet aspect sombre autant que visionnaire à la plupart de ses compositions. La Sonate de Requiem op. 283, pour violoncelle et piano est écrite en 1972 “À la mémoire de ma mère, et à ses deux premiers interprètes, Frédéric Lodéon et Christoph Henkel.” Le discours y est plus hétérogène et labyrinthique, au gré des nombreuses citations qui gorgent l'écriture et renouvellent à l'envi les couleurs du violoncelle. L'engagement des deux interprètes est total au service d'une œuvre qu'ils connaissent de l'intérieur et qui s'en trouve magnifiée.
La nuit Catoire
Son catalogue comptabilise quelques 604 opus ! Une première bonne raison pour s'intéresser au compositeur Jean Catoire qui aurait eu cent ans en 2023. On doit à Stéphane Roth la découverte de cette personnalité atypique dont aucune partition n'avait encore été jouée en concert. Consonante et minimaliste, fonctionnant sur quelques éléments en animation portés, ou non, par un processus ou répondant au déterminisme des algorithmes, la musique de Jean Catoire est servie par le pianiste Nicolas Horvath (amateur de performances hors norme) et les musiciens de l'ONCEIM.
Symphonies, quatuors, sonates et autres pièces pour bols sonores, alternant avec la musique de compositeurs affiliés au courant minimaliste (Lucier, Scelsi, Glass, Riley, Pärt, Radigue…), ont résonné du samedi soir 23h au dimanche matin 7 heures dans l'espace ouvert du Palais des fêtes où tapis de sol et transats ont retenu les amateurs de temps long et d'écoute hypnotique.
Crédit photographique : © Isabel Pousset, Christophe Urbain, Olivier Olland
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16-IX-2023. TNS-Hall Grüber. Luciano Berio (1925-2003) : A-Ronne pour huit voix ; direction artistique et mise en scène : Joris Lacoste ; prologue électronique : Sébastien Roux ; HYOID voices ; chorégraphie : Claire Croizé ; lumières et scénographie : Florian Leduc
16-IX-2023. Palais des Fêtes. Jean Catoire (1923-2005) : sélection d’œuvres accompagnées de pièces de Scelsi, Lucier, Cage, Grisey, Radigue, Glass, Riley… Nicolas Horvath, piano ; ONCEIM
17-IX-2023. Münsterhof. Olivier Greif (1950-2000) : Oi Akashe, pour violoncelle et piano ; Sonate pour piano n° 22 « Les plaisirs de Chérence » ; Sonate de Requiem, pour violoncelle et piano. Emmanuelle Bertrand, violoncelle ; Pascal Amoyel, piano