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SYM-PHONIE MMXX de Sasha Waltz et Georg Friedrich Haas à Berlin

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Berlin. Haus der Berliner Festspiele. 10-IX-2023. SYM-PHONIE MMXX pour danse, lumières et orchestre. Chorégraphie : Sasha Waltz ; musique originale (enregistrée) : Georg Friedrich Haas ; décor : Pia Maier Schriever ; costumes : Bernd Skodzig ; lumières : David Finn. 19 danseurs de la compagnie Sasha Waltz & Guests.

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La pièce exige beaucoup du spectateur-auditeur, mais il en est récompensé par l'austère beauté de la danse et de la musique.


D'août 2019 à décembre 2020, a dirigé avec Johannes Öhmann le Staatsballett Berlin, et la brièveté de cette direction traduit les difficultés auxquelles ils ont été confrontés dès leur nomination en 2016. La pièce que reprend cet automne la compagnie de est un produit de cette courte époque : coproduite avec le Staatsballett, elle n'a pu être créée au printemps 2020 comme le titre peut le laisser croire, mais avec deux ans de retard à cause du Covid ; entre-temps, Waltz et Öhmann avaient repris leurs chemins respectifs, et la création avait eu lieu avec les seuls danseurs de & Guests – sans doute les danseurs du Staatsballett avaient ils préféré ne pas subir ce retour en arrière, et il ne restait donc comme lien avec le Staatsballett que le lieu – le Staatsoper unter den Linden, qui accueille la moitié des spectacles du Staatsballett – et l'orchestre, la Staatskapelle.

Mais il est temps aujourd'hui, pour cette reprise, d'oublier cette préhistoire chargée pour voir la pièce pour elle-même. La pièce est restée la même, mais elle a quitté le Staatsoper pour la grande salle sans âme des Berliner Festspiele, et la Staatskapelle n'est désormais présente que sous forme de bande enregistrée – cela pourrait être rédhibitoire, mais la sonorisation est très correcte, et surtout cela permet entre le public et les danseurs une proximité que la présence d'une fosse ne permettrait pas.

Le geste artistique qui a présidé à la naissance de cette pièce « pour danse, lumière et orchestre » est le désir de Sasha Waltz et du compositeur de travailler ensemble : sur la partition de Haas, les portées musicales sont surmontées de lignes décrivant les mouvements et la lumière, intrinsèquement liés à la musique – on ne jugera pas ici de l'exacte correspondance entre les indications de la partition et le résultat scénique. Haas, éminent compositeur d'opéra, est intéressé par la traduction visuelle de sa musique, y compris par la force que lui donne l'obscurité.

L'espace scénique est d'abord dominé par un grand mur doré. Dès le début de la pièce, c'est l'expérience collective qui domine la chorégraphie : rares sont les moments où l'individu est au premier plan. Un groupe de danseurs vêtus de blanc est étendu au sol, en une masse indistincte, puis ils se lèvent et dansent en groupes par deux, trois ou quatre, avant que des danseurs en noir ne les remplacent progressivement : sortie d'un âge de l'innocence ? Pas vraiment : il n'y a rien d'angélique dans ce qui précède, rien d'infernal dans ce qui suit. Waltz ne raconte pas une histoire, et on se gardera bien de vouloir donner un sens explicite aux évolutions des danseurs et du décor – la sortie progressive des danseurs à la fin de la pièce, quand le mur doré devenu plafond descendant progressivement des cintres jusqu'à toucher le sol, suscite une image d'écrasement, mais la descente est très lente et ne constitue pas une menace ; le dernier danseur en scène ne se laisse pas écraser, mais il joue avec la structure jusqu'au dernier moment, comme si cette fin qui est aussi celle du spectacle était moins une catastrophe que la conclusion attendue d'un chapitre. De même les costumes : ce passage du blanc au noir, la discrète présence de la nudité, l'apparition à la fin de la pièce de costumes surmontés d'étranges ailes d'insectes repliées, tout cela ne vient pas confirmer les désignations concrètes des maquettes de costumes reproduites dans le programme (prêtre, tribe skirt…).

Une partie du public est désorientée par ce qui lui paraît sans doute monotonie et manque de repères, dans une pièce de 90 minutes sans entractes ou, qui plus est, de longs passages se déroulent dans le silence. Les lumières, qui donnent souvent aux corps une teinte dorée mate qui rappelle celle du décor, sont souvent tamisées, mais dans cette pénombre plus ou moins soutenue les corps des danseurs apparaissent avec une singulière présence. Il y a des éléments de rituel dans la pièce, le plus frappant étant le moment où deux danseurs couchent leurs partenaires dans une position qui rappelle la masse indistincte du début de la pièce, avant de les relever, lentement, précautionneusement, tandis qu'une danseuse seule s'avance hiératique vers l'avant de la scène.

Cette ritualité est en résonance directe avec la grandeur visionnaire de la musique originale de Haas, faite de grands gestes sonores animant une texture musicale toujours changeante, avec un arrière-plan toujours vaguement menaçant. Pour son premier travail pour la danse, Haas écrit une musique qui n'impose jamais rien, n'appelle pas directement le mouvement, n'entend pas construire de narration. On aimerait la réentendre en concert, avec un vrai orchestre. Telle qu'elle est présentée ici, comme une atmosphère qui entoure le groupe humain des danseurs, elle souligne l'angoisse existentielle qui fait le fond de la pièce. Avouons-le, un peu de sens et un peu de structure explicite n'aurait pas nui à la pièce, et il n'y aurait rien eu de mal à aider les spectateurs à entrer dans le spectacle.  Pour autant, la simple beauté visuelle et la présence vibrante des danseurs de la compagnie Sasha Waltz & Guests font de cette soirée musicale et chorégraphique une expérience à la fois stimulante et souvent émouvante, pour peu que le spectateur accepte de sortir d'un rôle de consommateur passif : à lui de trouver son parcours dans l'expérience que lui proposent les spectateurs.

Crédits photographiques : © Bernd Uhlig

 

 

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