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Renata Scotto ou la disparition d’une école

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Depuis son ultime Madama Butterfly de aux Arènes de Vérone, le 29 août 1987, voilà plus de trente-cinq ans qu'on n'avait plus entendu la voix de Renata Scotto sur une scène de théâtre. Avec sa disparition, le monde lyrique soudain unanime à célébrer cette extraordinaire personnalité réalise combien cette artiste manquait à l'opéra. D'autres voix ont émergé, d'autres actualités lyriques ont enveloppé d'un brouillard de plus en plus dense la présence d'une chanteuse qui pourtant avait soulevé les foules.

Avec la disparition de Renata Scotto, c'est une école qui disparaît. L'école de la tradition italienne de l'opéra. Cette école qui a donné à l'art lyrique, les plus grands interprètes de la deuxième moitié du siècle dernier. Avec ces chanteurs, pas besoin de mises en scènes à grand renforts de faux-semblants, de projections vidéo, et autres inventions farfelues. La voix, l'expression vocale suffisait. Et Renata Scotto était de celles-là. Au même titre que ses consoeurs Maria Callas, , , , ou la jeune . Une présence électrisante, un chant qui, sans jamais oublier le bel canto projetait les couleurs de la voix dans l'expression du mot, du texte, jusqu'à l'intention de la parole. Outre la tradition, le chant de Renata Scotto est issu d'une volonté farouche de figurer au pinacle de l'opéra. « Je veux être une diva », lançait-elle dès ses premiers succès.

« Je veux être une diva »

Elle n'a que 18 ans quand elle chante le rôle-titre de La Traviata sur les planches du Teatro Chiabrera de Savona, sa ville natale. Quelques mois plus tard, elle reprend ce rôle au Teatro Nuovo de Milan. Avec une critique si favorable que s'ouvrent à elle les portes de La Scala de Milan où le 7 décembre 1953, jour de la traditionnelle Première de la saison, qui réunit au parterre tout le gratin milanais et au poulailler les redoutables «loggionisti» prêts à en découdre bruyamment au premier écart vocal des protagonistes. Ce soir-là, on donne La Wally d'. Aux côtés de la soprano et du ténor , sous la direction de Carlo Maria Giulini, Renata Scotto apparait dans le rôle secondaire du jeune Walter. Là encore, le succès est au rendez-vous renforçant l'ambition de la jeune soprano dans son envie de briller dans des rôles majeurs. Mais on ne franchit pas aussi facilement les étapes de la gloire, l'occupation du terrain par les stars du moment, freine les désirs de la jeune femme. Devant les difficultés d'obtenir les rôles qu'elle se sent prête à aborder, elle quittera bientôt cette scène pourtant prestigieuse au motif qu'elle avoue « préférer chanter des grands rôles dans des petits théâtres plutôt que des petits rôles dans des grands théâtres ! » Consciente que son tempérament de guerrière pourrait ruiner ses ambitions par manque de technique vocale, sur les conseils d'un compagnon de scène avisé, le ténor espagnol , elle reprend ses études de chant de façon à projeter son élan artistique dans ses interprétations sans risquer l'accident.

On connait la suite, Renata Scotto va courir le monde créant des rôles de plus en plus exigeants pour sa voix jusqu'ici définie comme étant lirico leggero. Elle va ainsi se donner les moyens de réaliser son rêve. De villes en villes, de théâtres en théâtres, elle ne se ménage pas récoltant au passage les éloges de la critique subjuguée par l'énergie, l'implication de la jeune femme dans la théâtralité de ses personnages alliant son talent vocal à son intelligence interprétative. Ainsi, forgeant son répertoire au gré des succès, elle entrera bientôt au sein de l'Eldorado des chanteurs d'opéra italiens de cette époque, le Metropolitan Opera de New-York. Le 13 octobre 1965, dix mois après avoir chanté le rôle-titre de Madama Butterfly au Grand Théâtre de Genève (où elle avait triomphé l'année précédente dans La Traviata de Verdi aux côtés de ), Renata Scotto débute dans cette même Madama Butterfly de . Un rôle qui, aujourd'hui encore, n'a guère de meilleure interprète. Il suffit de la voir et l'entendre chanter « Un bel di vedremo… » lors d'un concert que dirige, en complicité totale, un inspiré James Levine. Aux derniers instants de son air, l'expressivité de ses mains en dit plus long que ne racontent la plupart des chanteurs pendant toute leur carrière.

Ce qui fait de Renata Scotto une interprète, une artiste au sens le plus noble du terme, c'est l'implication de son chant dans la volonté de faire vivre chaque mot du livret en lui donnant la couleur juste, le sens parfait du théâtre. Qu'importe la beauté de la note, le grain de la voix, si l'intensité de la phrase vous frappe dans sa vérité. Plus qu'une école de chant, c'est une école de vie artistique qui vibre dans la musique de Renata Scotto. Il n'est rien de plus important pour elle que de transmettre l'émotion d'un texte. C'est aussi une école de courage. Entendre chanter Renata Scotto, c'est comprendre qu'elle dit sa mélodie, qu'elle chante ses mots avec la conviction d'une artiste qui s'investit totalement dans son art, comme si c'était la première ou la dernière fois qu'elle chantait. Pour s'en convaincre, l'entendre chanter « Addio del passato » de La Traviata, « Regnava nel silenzio » de Lucia di Lammermoor ou encore « Caro nome » de Rigoletto, la voix de la Scotto n'est pas toujours la plus belle, la plus douce, la plus éthérée qu'on s'est pris l'habitude d'entendre, mais elle est l'expression de l'authenticité des sentiments. De ceux qu'à travers le chant de cette sublime interprète se veulent d'être l'esprit du librettiste et du compositeur. La voix authentique de l'opéra, du théâtre lyrique. On entend dire parfois : « On ne chante plus comme cela ! » C'est vrai. Et c'est bien dommage.

Les circonstances poussent le passionné à se pencher sur les documents qu'elle laisse derrière elle. Alors, on remue sa discothèque, on consulte les réseaux sociaux, parfois même, pour les plus chanceux, on tente de se remémorer un spectacle, une rencontre. Comme celle que le destin nous réserva, ce 1er mars 2005 lorsqu'elle vint mettre en scène La Wally de à Berne.

Après ses trente-cinq ans de retraite vocale, il est temps de rafraîchir nos mémoires avec certains de ces moments d'exception qui ont jalonné nos amours lyriques. A commencer par cette formidable Traviata de 1966, avec et sous la direction d'Antonino Votto (DGG), l'incontournable Madama Butterfly avec (EMI), le superbe Adriana Lecouvreur de Francesco Cilea avec un grand Placido Domingo (CBS), sans oublier le formidable I Capuleti e i Montecchi de avec les ténors et Luciano Pavarotti (Gala), sans parler de sa Desdémone tragique qu'elle oppose à un Placido Domingo conquérant dans l'Otello de sous la baguette de James Levine (RCA). Plus difficile à dénicher, le récital que Renata Scotto a donné lors d'une tournée de La Scala en Russie (Legato Classic). Accompagnée par le seul piano d'Antonio Tonini, la soprano italienne se lance dans un récital suicidaire d'airs d'opéra. Tenant crânement son auditoire, dans une forme vocale éblouissante, elle joue son va-tout dans une démonstration vocale inouïe. On retiendra l'air final de La Sonnambula de où, alors que les notes du piano ont cessé de résonner, les suraigus percutants de Renata Scotto continuent de briller sans faille. Renversant !

Renata Scotto laisse ainsi l'héritage incommensurable d'une artiste entière totalement dédiée à son chant. On ne peut qu'espérer que les chanteurs de notre époque se penchent sur la carrière de Renata Scotto et qu'ils prennent exemple sur ce fabuleux talent pour redonner à l'opéra le lustre que cette interprète avait su lui conserver.

Crédit photographique : Renata Scotto © elmundoes

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