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Les très contrastés quatuors à cordes Danel et Ardeo au festival de l’Eté Mosan

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Festival de l’Eté Mosan : 30-VII-2023. Ancienne abbaye Notre-Dame de Grandpré à Faulx -les -Tombes. Franz Schubert (1797-182) : quatuor à cordes n°10 en mi bémol majeur; opus 125 n°1, D.87; Wolfgang Amadeus Mozart: quatuor à cordes « n°19 » en ut majeur K.V 465, « les Dissonances »; Dmitri Chostakovitch (1906-1975) : quatuor à cordes n°5 en si bémol majeur, opus 92. Quatuor Danel.
6-VII-2023 : Hemtinne. Grange de la Ferme du Sanglier. Henry Purcell (1659-1695) : Pavane en sol mineur, Z.752; Chaconne en sol mineur, Z.730; Antonin Dvořák (1841-1904) : quatuor à cordes n°12, en fa majeur, « Américain », opus 96; Johannes Brahms (1833-1897) : quintette pour clarinette et cordes, en si mineur opus 115. Pascal Moraguès, clarinette, Quatuor Ardeo.

A quelques jours d'intervalle, dans le cadre du Festival de l'été Mosan, les Quatuor à cordes Danel et Ardeo donnent des visions plus complémentaires que contradictoires de la discipline, à la fois par leur choix de répertoire et par l'incidence esthétique de leur approche.

 

Depuis près d'un demi-siècle, le festival de l'été Mosan œuvre par le choix des lieux de programmation à la mise en valeur du patrimoine architectural – religieux ou profane – remarquable de ce bassin fluvial wallon. Aux charmes bucoliques ou enchanteurs, de ces lieux de mémoire – souvent  dotés d'une acoustique agréable – s'ajoute l'intérêt d'une programmation originale, partagée entre œuvres célèbres et (re)découvertes. L'affiche globale rassemble, dans le même esprit musiciens confirmés et nouveaux noms émergents. pour le plus grand plaisir d'un public fidèle, cultivé, particulièrement connaisseur, attentif et silencieux. A huit jours d'intervalles, il nous est permis de comparer deux approches sinon opposées  mais complémentaires du quatuor à cordes.

Le au sommet de son art dans Chostakovitch et dans le répertoire viennois

Actif depuis plus de trente ans, le affiche un effectif stable depuis une décade et le départ de l'un des deux frères, Guy Danel, le violoncelliste, remplacé par Yovan Markovitch, (ex-Quatuor Ysaye). Si le nom de l'ensemble reste attaché à la création contemporaine, il pratique l'ensemble du répertoire des origines à nos jours et a contribué grandement, entre autres, à la réhabilitation du cycle des dix-sept quatuors de Mieczyslaw Weinberg (Clef ResMusica), tant par l'enregistrement que par la production en concerts de l'intégralité du cycle. Il affiche cette après-midi, en la grange de l'ancienne abbaye de Notre-Dame de Grandpré à Faulx-les-tombes, une rayonnante maturité, mélange idéal d'une fraîche et cinglante rigueur intellectuelle et d'une incisive perfection instrumentale.

Le programme de la première partie de ce concert se place, en filigrane sous les auspices de Joseph Haydn. En effet, le Quatuor D.94 (dixième par la publication, septième par la composition), œuvre de jeunesse (1812-13) de doit beaucoup en ces temps extrêmes du maitre-fondateur du genre (et particulièrement à ses deux quatuors opus 77), tant par le traitement des voix (avec cette prédominance du premier violon) que par son invention et la truculente jovialité de son discours. Les Danel en livrent une version roborative avec ce je-ne-sais-quoi de déboutonné rustique ou humoristique dans l'approche endiablée des mouvements extrêmes. Par son jeu félin et sensuel, Marc Danel  trouve la juste la juste expression au fil d'un scherzo pour le moins décalé –au gré de ses ânonnements, d'une ironie plutôt beethovénienne – mais la sonorité de l'ensemble est très creusée, conférant à l‘andante – sans doute, le mouvement le plus faible de l'ensemble – une grâce solennelle irrésistiblement décaléen!

Après cette entrée en matière insouciante, nos interprètes nous offrent une version aussi poignante qu'habitée de l'autrement substantiel Quatuor en ut majeur KV 465 « les Dissonances »'de Mozart, ultime volet du cycle de six œuvres dédiées au révéré maître aîné …Joseph Haydn. Cette interprétation se révèle son intransigeante de brûlante modernité. En  particulier le subtil jeu d'ombres et de lumière dès la pathétique introduction du temps initial, débouche sur un allegro des plus solaires : les Danel en soulignent les audaces aventureuses et les surprises multiples au fil du développement particulièrement complexe. L'andante (vraiment) cantabile, est ici nimbé d'une poésie moirée et mélancolique, revers nocturne de ce premier temps si ambigu. A un  menuetto particulièrement capricieux et tendu – et presque tragique au fil du trio en mode mineur – le final tout en demi-teintes en devient sous les dehors fantasques de son chromatisme diffus, presque énigmatique, tel le sourire d'un Sphinx, dans son serein et discret optimisme.

Après la pause, le Quatuor n° 5 opus 92 de Dmitri Chostakovitch (1952-53) révèle un tout autre parcours, terrifiant tant pas son climat angoissé que par la roide droiture d'un discours très serré. Contemporain de la Symphonie n° 10, il est composé dans les derniers mois de la grande terreur stalinienne, où le compositeur quasi déclaré ennemi du peuple n'est plus entouré que de quelques amis et disciples irréductiblement fidèles. C'est le fruit d'une réflexion accrue, d'une culture de la grande forme (trente minutes avec ses trois mouvements enchainés), très drues dans leur noirceur polyphonique – non seulement au faite de l'Allegro non troppo initial – avec ce thème emprunté au trio de Galina Outsvolskaïa, l'élève la plus radicale du maître – mais encore au fil de l'Andante – très proche d'ambiance des diverses musiques nocturnes de - ou de ce final déchirant si emporté dans sa révolte mais d'une résolution fataliste des conflits musicaux et psychologiques aux frontières du silence. L'interprétation  du en est soufflante de véracité stylistique et dramatique, beaucoup plus convaincante que dans leur intégrale discographique déjà ancienne (Fuga libera, Clef ResMusica) avec cette culture de la tension permanente à l'échelle de toute la partition tant dans les éclats paroxystiques – (le glaçant solo d'alto de Vlad Bogdanas au climax du final – que dans l'intimité grisâtre et menaçante de l'andante.

En bis et comme en écho sardonique au chef-d'œuvre de l'éternel rival, le final du Quatuor n° 2 de , se révèle coruscant et d'un humour sibyllin et décapant par ses irrépressibles sautes d'humeur (et de tempi !), magnifiquement rendues dans leur versatilité par ces quatre archets experts.

L'alchimie prospective du en compagnie de Pascal Moraguès

Huit jours plus tard, en la grange monumentale de la ferme du Sanglier à Hemptinne, c'est avec joie et intérêt que l'on retrouve le (« je brûle » en latin) constitué, dès l'origine, de quatre femmes – interprètes, voici un peu plus de vingt ans. Au gré de deux changements d'effectifs (violon et alto, avec l'arrivé de Mi-Sa Yang et de Yuko Hara), l'ensemble affiche aujourd'hui une belle stabilité et une toujours actuelle volonté de prospection, tant dans le domaine de la création (avec entre autres une collaboration avec François Meimoun), du répertoire plus rare (Emilie Mayer, Anton Reicha) ou de l'approche instrumentale et interprétative. A la manière par exemple du Quatuor Emerson, Carole Petitdemange (pour Purcell et Brahms) et Mi-Sa Yang (pour Dvorak) alternent les postes de premier et second violon au gré des œuvres. Leur approche instrumentale et factuelle se révèle aux antipodes de celle des Danel, mais tout aussi passionnante.

Les deux courtes pages d' placées en tête de programme sonnent tel un manifeste : par l'économie drastique du vibrato, la technique d'archet ou d'attaque très « fondue » de la corde, les Ardeo nous donnent l'illusion d'entendre dans la Pavane Z 752 (légèrement arrangée quant aux tessitures puisque originellement destinée à trois violons et basse) un ensemble de violes, et dans la célèbre chaconne Z. en sol mineur 730 des cordes tendues à l'ancienne, même si le violoncelle de Joëlle Martinez peut apparaître plus intrusif, volontaire et extraverti.

Le Quatuor « Américain » opus 96, d' – relève de la même audacieuse conception sonore, économe dans ses moyens, spartiate dans sa dynamique : les pianissimi les plus ténus, à la limite du murmure, obligent l'auditoire à une grande concentration d'écoute au fil du célébrissime lento – ce qui n'empêche ni la verve plus incisive au fil du scherzo molto vivace – avec cette verdeur assumée du violon de Mi-Sa yang – ni le sens du rebond agogique au fil des mouvements extrêmes. Certes, cette approche pourra avoir ses détracteurs : audiblement, les Ardeo ont tâté des cordes en boyau filé ou non, et en reproduisent avec un certain bonheur les effets chaleureux, avec un sens éprouvé de l'à-propos stylistique : une démarche qui rappelle – voici un quart de siècle – l'amicale connivence de l'Archibudelli d'Anner Bylsma et sa bande : l'art discret ; finalement très « viennois », du portamento, des « soufflets » dynamiques (peut-être à la limite du maniérisme), aux antipodes de toute lignée interprétative tchèque plus uniment « symphonique » pourra peut-être irriter certains : il nous a, à titre personnel,  totalement convaincu !

Après l'entracte, les Ardeo et Pascal Moraguès, super-soliste à l'Orchestre de Paris et chambriste mondialement réputé, sont réunis pour une interprétation très personnelle et assez sublime du Quintette en si mineur opus 115 de . Avec une sonorité de velours et un legato impalpable, le clarinettiste rejoint heureusement l'approche délibérée du quatuor dans l'exploration des nuances les plus infinitésimales doublée d'une retenue pudique de l'expression. Nos interprètes jouent la carte d'un Brahms élégiaque et automnal dès l'exorde de l'Allegretto liminaire ; l'ambiance devient quasi crépusculaire au fil d'un mouvement lent partagé entre apesanteur et angoisse, et c'est une mélancolie aérienne qui préside aux deux derniers mouvements. Seule une petite distraction sans importance, impliquant un léger décalage au fil du thème et variation final, vient oblitérer la totale réussite de cette interprétation aussi raffinée que touchante. Longtemps d'ailleurs le public réserve –avec un long silence éloquent – ses applaudissements nourris. En bis, plus léger et souriant, les interprètes nous distillent avec la même ferveur discrète l'adagio du quintette d', le dédicataire des concerti de Weber, page demeurée célèbre car longtemps faussement attribuée (on se demande bien pourquoi !) à Richard Wagner par une fantaisie éditoriale).

Crédits photographiques :  Quator Danel © Marco Borggreve ;  © Quatuor Ardeo-Franziska Strauss 

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6-VII-2023 : Hemtinne. Grange de la Ferme du Sanglier. Henry Purcell (1659-1695) : Pavane en sol mineur, Z.752; Chaconne en sol mineur, Z.730; Antonin Dvořák (1841-1904) : quatuor à cordes n°12, en fa majeur, « Américain », opus 96; Johannes Brahms (1833-1897) : quintette pour clarinette et cordes, en si mineur opus 115. Pascal Moraguès, clarinette, Quatuor Ardeo.

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