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Festival Messiaen au pays de la Meije.
26-VII-2023. Église de La Grave. Olivier Messiaen (1908-1992) : Quatuor pour la fin du temps. Renaud Capuçon, violon ; Hélène Mercier, piano ; Patrick Messina, clarinette, Kian Soltani, violoncelle
29-VII. Église de La Grave. Œuvres de Fuminori Tanada (né en 1961), Yoshio Hachimura (1938-1985), Michaël Levinas (né en 1949), Olivier Messiaen et Tristan Murail (né en 1947). Fuminori Tanada, piano
25-VII. Collégiale de Briançon. Gérard Grisey (1946-1998) : Stèle pour deux grosses caisses ; Claude Debussy (1862-1918) : Mélodies sur des textes de Paul Bourget ; Michaël Levinas (né en 1949) : Froissement d’ailes, version pour ondes Martenot ; Philippe Leroux (né en 1959) : Un lieu verdoyant – Hommage à Gérard Grisey, version pour soprano et ondes Martenot ; Olivier Messiaen : Trois Petites Liturgies de la Présence Divine pour chœur de femmes, orchestre à cordes, piano, ondes Martenot et percussions. David Chevalier et Alphonse Cemin, piano ; Nathalie Forget, ondes Martenot ; Élise Chauvin, soprano ; ensemble L’Itinéraire avec les étudiants de l’IESM d’Aix-en-Provence et du Pôle Supérieur Paris Boulogne-Billancourt ; direction Mathieu Romano

Porté au plus haut par son directeur Bruno Messina, le Festival Messiaen au pays de la Meije fête son 25ᵉ anniversaire. Aux côtés des musiciens de L'Itinéraire, que l'on retrouve dans la Collégiale de Briançon avec le Chœur Spirito, d'autres interprètes d'exception sont présents pour servir la musique du maître de La Grave autant que celle d'aujourd'hui.

Dans l'église de La Grave sont réunis pour interpréter le Quatuor pour la fin du temps , dont c'est la première venue au festival, le violoncelliste , le clarinettiste et la pianiste , quatre personnalités qui fédèrent leur talent dans cette œuvre mythique que le festival programme pratiquement chaque année. Car l'œuvre atypique et chargée d'histoire est chaque fois une nouvelle et passionnante expérience d'écoute pour le public : « Je suis parti d'une figure aimée, celle de l'Ange qui annonce la fin du temps (extrait de l'Apocalypse), et j'ai écrit un Quatuor pour les instruments (et instrumentistes) que j'avais sous la main », explique Messiaen dans la présentation de l'œuvre. Avec ses quatre musiques superposées, Liturgie de cristal est d'une absolue modernité qui réclame un équilibrage subtil et fragile que nos quatre musiciens peinent à instaurer ; on n'entend guère le violoncelle quand le piano semble toujours dévier du sillon dans lequel il doit se maintenir. La tendance à surjouer dans le deuxième mouvement, Vocalise pour l'Ange qui annonce la fin du temps, ne règle pas tous les problèmes : « cascades douces d'accord bleu et mauve, or et vert, violet-rouge, bleu-orange » suggère Messiaen, s'agissant de la partie de piano. Abîme des Oiseaux, très attendu, est un premier moment de grâce que nous fait vivre la clarinette de , balançant entre temps long des lassitudes et temps vif des oiseaux. La sonorité boisée est toujours contrôlée et la ligne mélodique superbement conduite. Saisissante également est la gestion du souffle de l'interprète pour faire advenir le son, du triple pianissimo au quadruple fortissimo lors de ces longues tenues qui maintiennent l'écoute suspendue au devenir du son. La sonorité est rafraichissante, dominée là encore par la clarinette très en verve, dans l'Intermède dont les interprètes ne font qu'une bouchée.

La Louange à l'éternité de Jésus met en vedette le violoncelle de qui s'inscrit sur les accords pulsés du piano. La sonorité est ample, le vibrato généreux mais toujours sous contrôle, qui nourrit cette grande phrase extrêmement lente et majestueusement conduite par l'interprète. La Danse de la Fureur pour les sept trompettes, seule allusion à l'aspect cataclysmique de l'Apocalypse, est prise un peu vite à notre goût, au détriment de la mise en place et de la netteté des contours, mais les tenues stridentes et suraiguës des dernières minutes impressionnent. Le violoncelle est solaire dans l'exposition du premier thème dans Fouillis d'arcs-en-ciel, pour l'Ange qui annonce la fin du Temps, un mouvement nourri de contrastes auquel les instrumentistes donnent un relief très jouissif, portant la sonorité à saturation pour conclure en force, comme le demande Messiaen. ne déçoit pas dans la Louange à l'Immortalité de Jésus, débutant sa cantilène avec une sonorité légèrement filtrée qui met à distance tout pathos. Au sommet de la trajectoire, soutenu par le piano, il découvre des aigus d'une fulgurante lumière mais c'est avec un son presque atone, à fleur de souffle, qu'il donne son dernier coup d'archet. L'émotion dans l'église de La Grave est à son comble.

Les cordes résonnantes du piano

Pianiste de L'Itinéraire depuis de longues années et familier de la Maison Messiaen où il vient en résidence, est aussi compositeur, offrant dans l'église de La Grave un magnifique récital à la croisée des écritures et de sa double culture franco-japonaise.

La musique est vif-argent, visant la couleur et la résonance, dans Prélude qui débute le concert, une courte pièce écrite de sa main que Tanada a dédiée à sa professeure Henriette Puig-Roget. Avec Méditation Higan-Bana de (1938-1985), c'est à son professeur de Tokyo qu'il rend hommage. L'écriture se situe au croisement des influences (Boulez, Stockhausen, Cage et Debussy), entre atonalisme radical, accords de couleurs et insert tonal. Tanada a mis à son programme les quatre Études de dont il donne une exécution lumineuse. Les larmes du son n°4 font entendre « ces fins de sons instables » qui focalisent aujourd'hui la recherche du compositeur. Le Prélude n°2, Chant d'extase dans un paysage triste en fa# mineur du jeune Messiaen (1928-29) regarde encore vers Debussy et laisse apprécier le toucher merveilleux et la souplesse du geste du pianiste qui enchante la musique du maître de La Grave.

Le voyage au cœur du son et de la résonance s'accomplit dans Territoires de l'oubli (1976-77), une œuvre-fleuve de quelques 25 minutes de , où la pédale reste enfoncée du début à la fin ! Le compositeur tourne le dos au piano percussif de Bartok, revendiquant davantage, et dès les années 70, l'influence de Liszt et son pianisme fluide. Sous l'action des processus, on perçoit la lente évolution des couches sonores qui se tuilent, se superposent et se transforment. La digitalité légère et le toucher cristallin du pianiste font merveille tout comme sa conduite formelle magistrale, maintenant l'écoute attentive au devenir du son. Sous la voute bien sonnante de l'église, l'œuvre visionnaire reste l'une des plus belles expériences d'écoute du festival.

Comme un écho de lumière

L'acoustique de la Collégiale de Briançon, où se déplace chaque année le festival, est plus problématique mais peut s'avérer flatteuse pour certaines pièces jouant avec la résonance. C'est le cas de Stèle, une œuvre fascinante de pour deux grosses caisses qui profite de la réverbération des lieux. Sur l'une des peaux est tendue une cordelette munie de petites boules qui font vriller le son comme le timbre sous la caisse claire. Du frottement à la déflagration, Grisey sonde la richesse de ces beaux instruments dont les sonorités monochromes et ritualisantes ne laissent pas indifférent. Si la réverbération excessive n'autorise pas la clarté du texte des trois mélodies de Debussy que chante avec beaucoup d'élan accompagnée par le pianiste , on perçoit beaucoup mieux les mots de dans sa pièce Un lieu Verdoyant (1999) écrite en hommage à , en raison sans doute du traitement quasi instrumental de la ligne vocale et des libertés prises avec la prosodie. Ce sont les ondes Martenot de , installées sur le devant de la scène, qui remplacent le saxophone soprano, doublant la voix d' ou jouant avec elle dans un espace toujours mouvant.

L'ondiste aventureuse a transcrit elle-même Froissement d'ailes, courte pièce pour flûte de dont l'instrument électrique reproduit les morphologies sonores sans toutefois restituer précisément la matière granuleuse des flatterzunge.

Centrales dans les Trois Petites Liturgies de la Présence divine, les ondes Martenot gardent la vedette, entendues ce soir avec une rare efficacité quand l'ensemble à cordes vaillant (L'Itinéraire épaulé par les étudiants de l'IESM d'Aix-en-Provence et du Pôle Supérieur Paris Boulogne-Billancourt) tend à se noyer dans la résonance du piano et des percussions.

Le charme opère dans Antienne de la conversation intérieure, où les voix homogènes et chatoyantes du chœur de femmes Spirito dialoguent avec le piano-oiseau de , que les doublures du célesta font scintiller. Dans Séquence du Verbe, cantique divin (« Une ronde dans un jardin d'Eden », selon les mots de Gaëtan Puaud qui présentait l'œuvre en amont du concert), l'énergie et la ferveur s'entendent au sein du chœur boosté par les fulgurances des ondes Martenot et la ferme direction de Mathieu Romano à la tête de quelques 75 participants ! La troisième et dernière partie, Psalmodie de l'ubiquité par amour, plus développée, fait alterner mots scandés (plus confus) et refrain lissé par les ondes. Il ménage en son centre cet adagio repris dans les dernières minutes et sublimé par le chant très pur des solistes du chœur. Les ondes Martenot toujours très actives, en doublure ou en contrepoint, sculptent l'espace, donnant à cette musique « tout en draperies, en vagues, en tournoiements, en spirales et en mouvements entremêlés », sa fière originalité.

Crédit photographique : © Bruno Moussier

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