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Récital de Kevin Chen et Pèlerinage avec Bertrand Chamayou à Montpellier

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Montpellier. Festival de Radio France Occitanie Montpellier. Le Corum, Salle Pasteur. Opéra Comédie. 22-VII-2023. À 12h30 : Johann Sebastian Bach (1685-1750) : Fantaisie et fugue en la mineur, BWV 904. Frédéric Chopin (1810-1849) : Ballade n°4 en fa mineur, op.52. Carl Vine (1954*) : Sonate n°1. Alexander Scriabine (1872-1915) : Sonate n°2 en sol dièse mineur, op.19. Franz Liszt (1811-1886) : Réminiscences de Norma S.394. Kevin Chen, piano. À 19h : Franz Liszt (1811-1886) : Les Années de pèlerinage, S.160 : Suisse ; S.161 : Italie ; Supplément S.162 : Venezia e Napoli ; S.163 : Italie. Bertrand Chamayou, piano.

Importante encore cette année au Festival Radio France Occitanie Montpellier , la place du piano est marquée la journée du samedi par le récital du jeune en matinée, puis par dans de puissantes Années de Pèlerinage en soirée.

Sauf à sortir de la ville pour écouter le théorbe de Gabriel Rignol à Caillac, ou à choisir le récital de saxophone soprano d'Émile Parisien au Musée Fabre, la journée du 22 juillet du Festival de Radio France était dévolue au piano, avec en matinée le récent vainqueur des Concours Liszt (2021), de Genève (2022) et Rubinstein (2023), , et en soirée la reprise du grand cycle lisztien par .

Du haut de ses dix-huit ans, le Canadien entre dans la Salle Pasteur remplie du Corum, pour un récital d'un peu plus d'une heure ouvert avec la Fantaisie et fugue en la mineur BWV 904 de Bach. Le geste s'y montre bien mesuré, mais encore trop calculé pour donner une vraie ampleur aux séries de notes descendantes qui dominent la pièce. La Ballade n°4 en fa mineur de Chopin présente ensuite la même retenue, abordée en finesse, mais au risque de limiter le poids des notes, donc leur expressivité. La fin de la pièce démontre cependant une belle dextérité, sans exubérance.

Avec la Sonate n° 1 du compositeur contemporain Carl Vine, écrite en 1990 (suivie par trois autres depuis), Chen laisse d'abord place aux accords sombres, qu'il tente cependant rapidement d'éclairer par une main droite prédominante. Ouvrage globalement mélodique, la sonate n'hésite pas à devenir parfois atonale, un peu à la manière de certaines pièces de Keith Jarrett créées à la même période, dans lesquelles des moments de calme alternent avec d'autres, faits de déferlantes de notes, toujours parfaitement maîtrisées par le jeune pianiste.

Les applaudissements après une de pause de quelques secondes font penser à une partie du public que l'œuvre est terminée, mais il reste une seconde partie avec la Sonate n° 2 de Scriabine. Chen maintient la concentration de l'audience entre les deux mouvements en gardant les mains levées au-dessus du clavier. Avec la partition du compositeur russe, le pianiste peut étaler sa subtile maîtrise de la coloration et jouer entre les teintes sombres et celles plus claires. Il se montre plus expressif qu'avec Chopin. C'est le plus beau moment du récital, achevé par des Reminiscences de Norma de Liszt trop timorées.

De Liszt encore, mais d'après Schubert et non plus Bellini, le bis Ständchen nous laisse pour la journée avec le compositeur du soir, remis à l'honneur par pour l'intégrale des Années de pèlerinage, supplément inclus. Déjà passionnant dans le cycle il y a plus d'une décennie, notamment dans son enregistrement pour Naïve, le pianiste français, adepte des grandes fresques, y a encore acquis de la maturité, et décuple de nouveau aujourd'hui la partition de trois heures, interprétée sans partition.


Dès l'introduction, la force du discours et le jeu tout en nuance exprime une vision puissante et contrastée, qui fait des paysages de Suisse un voyage mystique d'une profondeur déjà marquante dans la Chapelle de Guillaume Tell. La légèreté aquatique d'Au Lac de Wallenstadt et d'Au bord d'une source préparent aux merveilleux Jeux d'eaux de la Villa d'Este deux heures plus tard, après être passé par l'Orage et ses graves parfaitement déployés, puis s'être enfoncé dans Le mal du pays ou avoir profité de la dévotion des Cloches de Genève. Rejoué l'an dernier en parallèle avec les Vingts Regards de Messiaen, le cycle, déjà abordé avec une vraie sagesse en 2011, a encore gagné douze ans plus tard ; il passionne maintenant par la capacité de Chamayou à maintenir l'écoute constamment concentrée.

En deuxième partie, l'Italie se développe avec la même flamme, dès Sposalizio et ses accords de grave d'une retenue parfaitement dosée, tandis que les Sonetto del Petrarca permettent de s'enfoncer plus vers les teintes noires, encore enrichies Après une lecture de Dante d'une infernale dextérité. Comme une pause, le supplément de la 2ème année permet un détour d'une grande fluidité par Venezia e Napoli, emporté dans la virtuosité et une palette d'impressions très fortes. Interprétée en trois fois quarante-cinq minute, plus quinze pour le supplément, Les Années de pèlerinage s'écoulent à regrets sans jamais paraître trop rapides, Et si l'Angélus en début de Troisième Année est un peu trop cloisonné dans sa réflexion, Aux cyprès de la Villa d'Este n°1 & 2 redonne à l'auditeur toute la possibilité de s'évader, avant de plonger dans les Jeux d'eaux, superbement pré-ravélien par le toucher.

Inéluctablement, la soirée avance et s'enfonce vers le Sunt lacrymae rerum, la Marche funèbre accentuée dans son caractère funèbre par la main gauche et une fatigue qui accroit l'effet de fin, avant le Sursum corda conclusif. Après un tel voyage, conduit par un seul homme, il reste à voir si la reprise du cycle à trois pianistes dans quinze jours à la Roque d'Anthéron parviendra à nous amener sur les mêmes sommets.

Crédits photographiques : ©Luc Jennepin (Chamayou) & ResMusica (Kevin Chen)

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