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Festival d’Aix-en-Provence. Grand Théâtre de Provence. 10-VII-2023. Alban Berg (1885-1935) : Wozzeck, opéra en trois actes d’après le drame éponyme de Georg Büchner. Mise en scène : Simon McBurney. Scénographie : Miriam Buether. Costumes : Christina Cunningham. Lumières : Paul Anderson. Chorégraphie : Leah Hauman. Vidéo : Will Duke. Avec : Christian Gerhaher, Wozzeck ; Malin Byström, Marie ; Thomas Blondelle, Tambourmajor ; Brindley Sherrat, Docteur ; Peter Hoare, Capitaine ; Robert Lewis, Andres ; Héloïse Mas, Margret ; Matthieu Toulouse, Premier compagnon ; Tomasz Kumiega, Second compagnon. Maitrise des Bouches-du-Rhône. London Symphony Orchestra, direction : Simon Rattle
Christian Gerhaher dans le rôle-titre, Simon Rattle à la tête du London Symphony Orchestra et Simon McBurney à la mise en scène, cette nouvelle production, qui marque l'entrée au répertoire du festival du Wozzeck d'Alban Berg, bénéficie d'une distribution de luxe qui rafle superbement la mise.
Une scène circulaire hautement symbolique qui tourne figurant le temps et l'espace, sans aucune possibilité de s'échapper et de réécrire l'histoire : nous sommes dans le cerveau malade de Wozzeck, pauvre soldat déchu, aux bords du suicide, les mains tachées de sang ; Wozzeck revit sa vie, cerné par un implacable fatum, véritable chemin de croix sans espérances rédemptrices, et pourtant… Il est des moments rares où l'opéra par sa magie semble capable de réenchanter le monde, changeant alors, lorsque orchestre, chant et théâtre fusionnent pour atteindre à l'égrégore, la longue spirale du désespoir creusée par une schizophrénie envahissante et un système social oppressant en un pur moment de grâce, saturé d'émotion.
Opéra constitué de trois actes, Wozzeck (1925) enchaine de courtes saynètes oscillant entre naturalisme, expressionnisme, symbolisme, satire et absurde, sans aucune forme de lyrisme, dans une succession de quinze tableaux inspirés de la pièce éponyme de Büchner (1837) que Berg situe dans les années qui suivirent la Grande Guerre : à l'évidence, une œuvre complexe aux multiples facettes dont toute la difficulté d'interprétation consiste dans le fait de maintenir un tout cohérent au sein d'une dramaturgie haletante et unifiée qui suscite l'empathie. Véritable défi que Simon McBurney relève avec un brio confondant, en parfait accord avec le livret, aidé en cela par la puissance expressive de la musique dont toute la problématique consiste, là encore, à fédérer une grande précision de rythme et d'intonation avec un caractère incroyablement romantique et passionné, pour en faire en définitive lorsque les deux composantes musicale et théâtrale sont réunies, une œuvre cathartique et bouleversante dont le spectateur ne ressort pas indemne.
La scénographie de Miriam Buether, d'une lumineuse noirceur, est réduite à l'épure, comprenant un cercle dans une référence explicite à l'Enfer de Dante, une boite noire sur les murs de laquelle défilent des vidéos signifiantes (Will Duke), une porte figurant la limite entre intérieur et extérieur du logis de Wozzeck, le tout rehaussé par les éclairages de Paul Anderson qui évoluent en fonction des affects, et par les costumes réalistes de Christina Cunningham.
On connait de longue date la passion de Simon Rattle pour la Seconde École de Vienne, tout particulièrement pour Alban Berg et Wozzeck, aussi ne nous étonnerons-nous pas outre mesure de la maitrise, de la pertinence, de l'équilibre et de la justesse de son interprétation en symbiose étroite avec la dramaturgie, confortée par la superbe plastique et par la réactivité impressionnante de la phalange britannique.
La distribution vocale homogène achève de caractériser cette magnifique production. À commencer par Christian Gerhaher dans le rôle-titre. Aujourd'hui Wozzeck de référence, le baryton allemand habite le personnage par son chant virtuose aux multiples couleurs comme par son implication scénique d'un réalisme saisissant. Face à lui, Malin Byström campe une Marie qui séduit par son timbre tour à tour sensuel ou éthéré, par son large ambitus, par sa puissance comme par son ambivalence scénique tour à tour sacrée ou profane, au gré des références religieuses du livret. Thomas Blondelle incarne scéniquement un Tambourmajor arrogant et sûr de lui, en parfaite adéquation avec son timbre claironnant. Le Capitaine de Peter Hoare fait également une prestation éblouissante, jouant de sa virtuosité vocale pour soutenir ses propos vipérins. Au Doktor de Brindley Sherrat échoit la composante comique limitée du drame en substituant une voix de fausset à sa tessiture de ténor. Robert Lewis (Andres) et Héloise Mas (Margret) ainsi que l'Estonian Philharmonic Chamber Choir complètent cette distribution homogène de qualité, parachevant le succès mérité de cette nouvelle production aixoise.
Crédit photographique : © Monika Rittershaus
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