Place aux compositrices au Festival Palazzetto Bru Zane
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Paris. Théâtre des Champs-Élysées. 23-VI-2023. Festival Palazzetto Bru Zane. Louise Bertin (1805-1877) : ouverture du Loup-Garou ; Louise Farrenc (1804-1875) : Variations sur un thème du comte Gallenberg, pour piano et orchestre ; Augusta Holmès (1847-1903) : La Nuit et l’Amour ; Jeanne Danglas (1871-1915) : Du cœur aux lèvres, valse pour orchestre ; Mel Bonis (1858-1937) : Suite en forme de valses ; Clémence de Grandval (1828-1907) : Mazeppa, Entracte et danse ukrainienne ; Marie Jaëll (1846-1925) : Concerto pour piano et orchestre n° 2 en ut mineur. David Kadouch, piano. Orchestre de chambre de Paris, direction : Hervé Niquet
Longtemps dénigrées, oubliées, les compositrices du XIXe siècle sont depuis une poignée d'années reconsidérées, et leurs œuvres exhumées. Au Théâtre des Champs-Élysées, le pianiste David Kadouch et l'Orchestre de chambre de Paris dirigé par Hervé Niquet ont donné un florilège de leurs pièces orchestrales.
En coproduction avec l'Orchestre de chambre de Paris, le dixième Festival Palazzetto Bru Zane vient de consacrer un pan non négligeable de sa programmation aux compositrices romantiques : quelques jours après la représentation en version de concert de l'opéra Fausto de Louise Bertin par les Talens Lyriques, elles sont sept rassemblées dans un programme de musique symphonique et concertante sur la scène du Théâtre des Champs-Élysées. Autant de fortes personnalités distinctes dont on découvre au fil du concert les richesses musicales. Et cela commence avec la même Louise Bertin et l'ouverture de son Loup-Garou, son premier opéra, écrit sur un livret de Scribe et créé en 1827 à l'Opéra Comique. Foisonnante d'idées et de rebondissements, truffée d'une tendre mélodie à la flûte, joyeuse et enlevée, elle augure des scènes qui ne doivent pas manquer de sel !
Elles aussi loin d'être fades, les Variations sur un thème du comte Gallenberg pour piano et orchestre de Louise Farrenc font appel à tout l'arsenal pianistique virtuose développé au milieu du XIXe siècle : la compositrice, élève de Moscheles et de Hummel, fut aussi une pianiste accomplie. Mais ces variations ne sont pas seulement démonstratives : la riche partition orchestrale met en valeur l'éloquence et l'éclat du piano mais aussi les parties solistes de la clarinette, du basson… Le thème chantant et même dansant est prétexte à variations brillantes formant un tout festif et très vivant. David Kadouch défend avec panache et imagination cette musique volubile et vigoureuse.
D'un lyrisme ardent, La Nuit et l'Amour d'Augusta Holmès est une pièce langoureuse où le violoncelle solo redouble d'intensité expressive. De Jeanne Danglas, on ne sait pas grand chose tant la presse d'époque est discrète à son sujet, mais sa valse pour orchestre Du cœur aux lèvres,d'une légèreté viennoise teintée d'élégance française, a dû séduire bien des publics en son temps par sa douceur sucrée dont se délectent à présent orchestre et chef. D'autres valses, celles de la Suite en forme de valses de Mel Bonis, orchestrées par elle, rivalisent d'originalité, d'idées harmoniques entre ombre et lumière.
La seconde partie commence avec Entracte et Danse ukrainienne, deux extraits de l'opéra Mazeppa de Clémence de Grandval, qui a joui d'une bonne notoriété de son vivant, deux Prix récompensant son œuvre. Entracte dépeint un cadre charmant où les instruments de la petite harmonie se font écho. Grâce et finesse caractérisent la Danse ukrainienne interprétée avec grande subtilité.
Vient l'œuvre maîtresse de la soirée : le Concerto pour piano n°2 en ut mineur de Marie Jaëll, pianiste virtuose admirée par Liszt, compositrice et théoricienne de la technique pianistique qui la première donna en récitals l'intégrale de l'œuvre du compositeur hongrois, mais aussi les 32 Sonates de Beethoven. En un seul mouvement, l'œuvre d'une durée frisant la demi-heure marie l'orchestre et le piano dans un tissu sonore dense, une écriture fournie, conjugue des passages et motifs mélodiques et rythmiques d'une grande inventivité, d'une grande modernité, et des épisodes d'inspiration lisztienne. Pathétique, elle est traversée par un souffle qui en fait la force, magnifiquement soutenu par le pianiste dans un engagement physique (la partie de piano est d'une difficulté hallucinante !) et expressif constant, jusqu'aux crépitements sonores totalement inouïs dans l'extrême aigu du clavier qui annoncent une issue triomphale en mode majeur. Hervé Niquet insuffle à l'orchestre tout ce que cette musique puissante réclame de fougue, lui donne du corps, et ce sont tous les musiciens qui, portés par cette énergie singulière, par leur jeu engagé et leur parfaite cohésion rencontrent l'enthousiasme du public qui applaudit à toute volée.
Sur une tendre mélodie de Fanny Mendelssohn jouée par David Kadouch, puis une autre valse de Jeanne Danglas données en bis, se clôt cette soirée passionnante, tant par ses découvertes que par le remarquable travail d'interprétation réalisé par les musiciens, suscitant l'envie d'en entendre davantage.
Crédits photographiques : David Kadouch :© Marco Borggreve ; Marie Jaëll © Coll. et photo de la Bnu de Strasbourg / bruzanemediabase
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Paris. Théâtre des Champs-Élysées. 23-VI-2023. Festival Palazzetto Bru Zane. Louise Bertin (1805-1877) : ouverture du Loup-Garou ; Louise Farrenc (1804-1875) : Variations sur un thème du comte Gallenberg, pour piano et orchestre ; Augusta Holmès (1847-1903) : La Nuit et l’Amour ; Jeanne Danglas (1871-1915) : Du cœur aux lèvres, valse pour orchestre ; Mel Bonis (1858-1937) : Suite en forme de valses ; Clémence de Grandval (1828-1907) : Mazeppa, Entracte et danse ukrainienne ; Marie Jaëll (1846-1925) : Concerto pour piano et orchestre n° 2 en ut mineur. David Kadouch, piano. Orchestre de chambre de Paris, direction : Hervé Niquet