Ligeti 100, un génie musical et ses élèves à l’Académie des Beaux-Arts de Bavière
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Munich. Académie des Beaux-Arts de Bavière. 21-VI-2023. György Ligeti (1923-2006) : Étude pour piano n° 8 Fém ; sonate pour alto solo ; Passacaglia Ungarese et Continuum pour clavecin ; trio pour violon, cor et piano ; Hans Christian von Dadelsen (né en 1948) : Klavierstück III Alpini-Steig ; Wolfgang von Schweinitz (né en 1953) : Region 3 extrait de Plainsound Glissando Modulation. Tabea Zimmermann, alto ; Andreas Skouras, piano et clavecin ; Natasha Lipkina, violon ; Helge Slaatto, violon ; Jernej Cigler, cor ; Franz Reineke, contrebasse
Une riche sélection d'œuvres, bien servie par des interprètes confirmés, marque l'hommage de l'Académie à son illustre membre.
La densité des événements autour du centième anniversaire de la naissance de György Ligeti est la bonne surprise du monde musical pour l'année 2023, et pas seulement grâce au dossier que lui consacre ResMusica. Il est tout naturel que l'Académie des Beaux-Arts de Bavière rende elle aussi hommage à son ancien membre, élu en 1978 ; on peut se réjouir que cet hommage ait pris la forme d'un concert aussi ambitieux, pertinent par le choix des œuvres et de haut niveau par les interprètes convoqués.
La salle de concert de l'Académie, avec vue sur l'Opéra de Munich. Pendant deux heures et demi sans pause, le public majoritairement âgé, mais stoïque malgré la chaleur écrasante qui le pétrifie, écoute avec concentration des œuvres pour la plupart composées à la fin de la carrière de Ligeti, principalement lorsqu'il était professeur de composition à Hambourg. Récemment élue membre de l'Académie, Tabea Zimmermann joue une fois encore la sonate dont elle est l'inspiratrice : la chaleur du son de son alto qui avait séduit Ligeti est toujours là ; on connaît bien sûr par le disque son interprétation, mais l'entendre dans cette salle somme toute intime est un événement sensoriel que la meilleure installation sonore ne peut restituer.
Une place importante est accordée au cours du concert à l'œuvre pour clavier ; la pièce la plus ancienne est Continuum (1968), écrite par Ligeti plus contre le clavecin que pour l'instrument. Andreas Skouras alterne au clavecin et au piano, qu'il pratique tous les deux aussi assidument avec un impressionnant répertoire du baroque jusqu'à la création. C'est la 8e étude pour piano qui ouvre le concert, dont le titre hongrois Fém crée une association entre métal et lumière : Skouras montre bien comment Ligeti fait des possibilités sonores de chacun des deux instruments l'objet de ces différentes pièces, plutôt que d'en faire de simples outils d'une pensée musicale abstraite.
Au milieu du concert, le musicologue Ulrich Mosch (Université de Genève) vient éclairer le thème de la soirée, Ligeti 100 – et ses conséquences. Le concert éclaire en effet les œuvres de Ligeti par celles de deux de ses élèves à Hambourg, Hans Christian von Dadelsen et Wolfgang von Schweinitz. Les deux pièces présentées, pour ainsi dire isolent deux paramètres essentiels de la création de Ligeti : Alpini-Steig de Dadelsen utilise l'image de trois sentiers parallèles, en fond de vallée, sur les hauteurs et vers le sommet, que le randonneur ne peut parcourir simultanément, mais que le musicien, lui, peut suivre à sa guise, aller de l'un à l'autre ou sur tous les trois en même temps : l'inventivité (poly)rythmique de Ligeti est une visible inspiration, même si le résultat désoriente moins que les chefs-d'œuvre de son maître – l'ancrage paysager n'y est peut-être pas pour rien. Schweinitz, lui, joue sur la perturbation de la tonalité et de la justesse, en utilisant l'intonation juste plutôt que l'habituel système tempéré : issue d'un vaste cycle pour violon et contrebasse, la pièce prolonge les réflexions de Ligeti sur les enjeux physiques du tempérament et leurs conséquences sur notre perception quand on s'en écarte. Les deux musiciens qui jouent la partition, Helge Slaatto et Franz Reineke, ne sont pas que des interprètes : c'est avec eux que l'œuvre a été mise au point par le compositeur, et on admire la sûreté avec laquelle ils naviguent le long de cette ligne sinueuse apparemment infinie.
Pour conclure le concert, Andreas Skouras revient en la compagnie de Natasha Lipkina et Jernej Cigler pour le Trio avec cor de Ligeti, hommage à Brahms qui unit avec virtuosité, mais aussi une grande simplicité d'écoute, les thèmes principaux des recherches de Ligeti à cette période (l'œuvre date de 1982). Les trois musiciens en donnent une interprétation rigoureuse, qu'on pourra trouver un peu austère mais qui a la vertu de l'épure : tout ce qui compte dans le génie de Ligeti, son sens de la forme et du son, s'en trouve souligné plutôt qu'affaibli.
Photo : © Marco Borggreve
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Munich. Académie des Beaux-Arts de Bavière. 21-VI-2023. György Ligeti (1923-2006) : Étude pour piano n° 8 Fém ; sonate pour alto solo ; Passacaglia Ungarese et Continuum pour clavecin ; trio pour violon, cor et piano ; Hans Christian von Dadelsen (né en 1948) : Klavierstück III Alpini-Steig ; Wolfgang von Schweinitz (né en 1953) : Region 3 extrait de Plainsound Glissando Modulation. Tabea Zimmermann, alto ; Andreas Skouras, piano et clavecin ; Natasha Lipkina, violon ; Helge Slaatto, violon ; Jernej Cigler, cor ; Franz Reineke, contrebasse