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Peeping Tom à l’Opéra Garnier : psychose de plateau

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Paris. Opéra Garnier. 7-VI-2023. Gabriela Carrizo, Franck Chartier : Triptych : The missing door, The lost room et The hidden floor. Direction artistique : Gabriela Carrizo, Franck Chartier. Concept et mise en scène : Gabriela Carrizo, Franck Chartier. Dramaturgie sonore : Raphaëlle Latini. Composition sonore : Ismaël Colombani, Louis-Clément Da Costa, Eurudike De Beul, Annalena Fröhlich, Raphaëlle Latini. Décors : Gabriela Carrizo, Justine Bougerol. Costumes : Louis-Clément Da Costa, Seoljin Kim, Yi-chun Liu. Lumières : Tom Visser. Perfomeurs : Konan Dayot, Fons Dhossche, Lauren Langlois, Panos Malactos, Alejandro Moya, Fanny Sage, Eliana Stragapede, Wan-Lun Yu

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La compagnie , fondée en 2000 par le Belge et l'Argentine , s'installe à l'Opéra Garnier avec son Triptych sous fond de théâtre d'épouvante oscillant entre terreur psychologique, situations burlesques et sensualité vive.

 

Le duo a cheminé avec les plus grands : des ballets C de la B à Rosas en passant par Béjart. L'extrême rigueur chorégraphique, incroyablement maitrisée par une troupe de performeurs hors du commun, vient servir un propos cohérent, à propos et peut-être parfois teinté d'une folie si expressive qu'elle vient brouiller la note d'intention scénique. L'ensemble se veut catalyseur de nos peurs, témoin des soubassements les plus angoissants de nos psychés : perte de contrôle, paranoïa, temps disjoint, mort qui rode, qui se fait prégnante ou prématurée, Triptych frappe fort et renvoie bien des artisans d'un théâtre percutant dans les cordes. Exit l'oppressant monologue de Rêve et folie de Claude Régy, dernière création du metteur en scène aux Amandiers, exit Sarah Kane ou les menaçantes symphonies de Luca Francesconi, la mort « pour de vrai » d'Alain Platel, le mysticisme funèbre d'un Maeterlinck. Ici, la mort voisine avec l'horreur, qui est à son paroxysme, la création sonore assourdie et terrifie, les corps sont torturés et tortueux.

Les danseuses deviennent mannequins de vitrine puis se délient dans des pas de deux d'une troublante sensualité. L'amour physique explose, se contorsionne, les athlètes de plateau excellent aussi bien dans des moments sortis tout droit d'une passion à la Angelin Preljocaj, de figures inspirées du nouveau cirque ou de gymnastique sous acide. Triptych est composé de trois pièces : The missing doorThe lost room et The hidden floor. Ancrées dans des décors ultra réalistes, qui servent de liens entre les trois univers, ces courtes propositions dessinent une carte mentale pleine de fureur et d'anxiété. Au seuil de la mort, un homme semble retrouver les fantômes de sa vie. Il revient sur des drames sanglants, au milieu d'un couloir d'hôtel où se succèdent fantasmagories sombres et situations si extrêmes qu'elles voisinent avec un burlesque jamais loin. Le spectateur bascule dans une chambre d'hôtel toute droit sortie d'une peinture de Gregory Crewdson qui a, on le sait, inspiré les créateurs. Bébés à venir ou bercés par une mère qui suscite plus l'effroi que la tendresse, meurtre, corps qui disparaissent, les ingrédients des deux premières pièces se retrouvent dans la dernière, qui pousse encore plus loin l'épouvante.

Dans The hidden floor en effet, le plateau prend l'eau, distillée par un goutte à goutte sorti des cintres et qui rappelle ce goutte à goutte d'huile d'olive de Quando l'uomo principale è una dona. Mais là où la danseuse de Jan Fabre glissait avec élégance sur le plateau, les interprètes de tombent, se cognent, habitent violemment ce décor de restaurant à l'abandon sous une mousson fatale. Le spectacle est un show. Une performance dans laquelle joue d'ailleurs l'excellente Fanny Sage, qui partage son temps entre des publicités et les planches. Chaque danseur apporte ses doutes, ses craintes, ses histoires personnelles, servis par des corps et des personnalités qu'on devine hors du commun.

Toute l'esthétique et la technique de composition évoquent le Tanztheater, la « danse théâtre » popularisée par Pina Bausch. Quand on demandait à cette dernière si elle faisait de la danse ou du théâtre, la chorégraphe de Wuppertal répondait : « je parle de nous ». fait de même, à partir d'interdits, de tabous, d'états mentaux plus que border line. Tous les co-créateurs (comme aiment à les appeler les chorégraphes) offrent leur chair et leur voix pour une cartographie intime et troublante. Entre l'absurdité des portes qui claquent d'Aucune idée de Christoph Marthaler, la douce étrangeté de I went to the house but did not enter de Heiner Goebbels et une dépense physique rarement vue, Triptych se laisse cerner sans pour autant se faire enfermer. Il échappe aux codes théâtraux tout en les travestissant. Le réel se laisse saisir brutalement et les disparitions inquiétantes ne donnent lieu à aucune oraison funèbres car, dans ce film halluciné, les morts reviennent sans cesse hanter les vivants, hérauts abimés d'une force macabre.

Crédits photographiques : © Virginia Rota

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Paris. Opéra Garnier. 7-VI-2023. Gabriela Carrizo, Franck Chartier : Triptych : The missing door, The lost room et The hidden floor. Direction artistique : Gabriela Carrizo, Franck Chartier. Concept et mise en scène : Gabriela Carrizo, Franck Chartier. Dramaturgie sonore : Raphaëlle Latini. Composition sonore : Ismaël Colombani, Louis-Clément Da Costa, Eurudike De Beul, Annalena Fröhlich, Raphaëlle Latini. Décors : Gabriela Carrizo, Justine Bougerol. Costumes : Louis-Clément Da Costa, Seoljin Kim, Yi-chun Liu. Lumières : Tom Visser. Perfomeurs : Konan Dayot, Fons Dhossche, Lauren Langlois, Panos Malactos, Alejandro Moya, Fanny Sage, Eliana Stragapede, Wan-Lun Yu

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