Plus de détails
Munich. Nationaltheater. 11-VI-2023. Francis Poulenc (1899-1963) : Dialogues des Carmélites, opéra d’après la pièce de Georges Bernanos, inspirée d’une nouvelle de Gertrud von Le Fort. Mise en scène et décor : Dmitri Tcherniakov ; costumes : Elena Zaytseva. Avec : Jochen Schmeckenbecher (Marquis de La Force), Ermonela Jaho (Blanche de La Force), Evan LeRoy Johnson (Chevalier de La Force), Anna Caterina Antonacci (Madame de Croissy), Véronique Gens (Madame Lidoine), Stéphanie d’Oustrac (Mère Marie), Emily Pogorelc (Sœur Constance), Kevin Conners (L’aumônier)… Chœur de l’Opéra de Bavière ; Orchestre national de Bavière ; direction : Johannes Debus
La célèbre mise en scène de Dmitri Tcherniakov bénéficie d'une distribution de prestige, dominée par Véronique Gens.
Ce n'est pas tous les jours qu'on va (re)voir un spectacle sur lequel une interdiction a pesé : à la demande des héritiers de Poulenc, on s'en souvient, la diffusion du DVD filmé lors de la première série en 2010 avait été brièvement interdite en France, avant qu'une cour d'appel ne mette fin à cette invraisemblable censure. Treize ans après sa première, avec une distribution entièrement différente mais prometteuse, les trois représentations de ce printemps 2023 confirment la stature de cette production désormais classique, qui contribue à définir l'identité de l'Opéra de Bavière beaucoup plus que tant de mises en scène jetables qui n'atteignent parfois pas même les dix représentations. Grâce à des interprètes investis et bien dirigés, le spectacle de Dmitri Tcherniakov a gardé une vie et une force émotionnelle que bien des reprises noyées sous la routine refusent aux spectateurs fidèles : nous ne sommes toujours pas convaincu par la fin du spectacle, où Blanche sauve de la mort ses compagnes avant que leur maison-prison n'explose, mais la description de cette petite communauté féminine reste toujours aussi profondément émouvante et pertinente : peu importent leurs costumes de tous les jours, la force de ce qui les unit et qui fait le sens de leur vie est beaucoup plus visible que ne le feraient des habits religieux et l'illustration littérale des rites sacrés. Pas de récits adventices comme Tcherniakov aime à en concevoir ces dernières années, une narration immédiatement lisible, une grande humilité face aux personnages qui ont chacun leur dignité et leur émotion : voilà un grand spectacle qui ne se démodera pas.
La direction de Johannes Debus est sans nul doute le fait marquant de cette soirée, pas seulement pour le meilleur. L'orchestre montre beaucoup de beautés, et le chef a un sens enviable du théâtre. Il souligne volontiers les aspérités de la partition, laisse leur place à la poésie et aux émotions, caractérise soigneusement chaque scène ; le versant négatif est que cette très belle masse orchestrale manque trop de nuances, sans compter qu'il complique singulièrement la tâche des chanteuses et chanteurs contraints à forcer leur voix : c'est entre autres à cause de cela que la diction souffre souvent, et de plus en plus au fil de la soirée. On comprend certes très bien la première prieure, mais c'est qu'Anna Caterina Antonacci parle plus qu'elle ne chante, à quelques (fort beaux) moments près : on pourra au choix l'interpréter comme un choix expressif mal avisé ou comme la marque de déficits vocaux.
On comprend presque constamment aussi la nouvelle prieure, mais c'est à l'inverse que Véronique Gens peut se reposer sur sa parfaite musicalité et sa diction châtiée pour parler avec force aux spectateurs : ses monologues sont sans conteste les sommets de la soirée. Stéphanie d'Oustrac, qu'on voit hélas rarement à Munich, a dans la voix une chaleureuse onctuosité qui ne la prédispose pas nécessairement à la vigoureuse simplicité de Mère Marie, mais elle a assez de sensibilité pour en faire une richesse au service de la complexité du personnage. Ermonela Jaho enfin, dans le rôle central du drame, ne va fort heureusement pas jusqu'à la surcharge expressive qu'on avait pu entendre dans sa Suor Angelica dans le même théâtre. La diction est imparfaite, mais le personnage reste émouvant et bien analysé dans toute sa complexité. Le reste de la distribution est sans point faible : malgré les limites de la direction, les spectateurs ont eu bien raison de manifester leur enthousiasme à la fin d'une reprise qui fait espérer qu'il y en aura d'autres.
Crédits photographiques : © Wilfried Hösl
Plus de détails
Munich. Nationaltheater. 11-VI-2023. Francis Poulenc (1899-1963) : Dialogues des Carmélites, opéra d’après la pièce de Georges Bernanos, inspirée d’une nouvelle de Gertrud von Le Fort. Mise en scène et décor : Dmitri Tcherniakov ; costumes : Elena Zaytseva. Avec : Jochen Schmeckenbecher (Marquis de La Force), Ermonela Jaho (Blanche de La Force), Evan LeRoy Johnson (Chevalier de La Force), Anna Caterina Antonacci (Madame de Croissy), Véronique Gens (Madame Lidoine), Stéphanie d’Oustrac (Mère Marie), Emily Pogorelc (Sœur Constance), Kevin Conners (L’aumônier)… Chœur de l’Opéra de Bavière ; Orchestre national de Bavière ; direction : Johannes Debus