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L’Amour de loin… si proche ; in memoriam Kaija Saariaho

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Figure majeure de la scène musicale contemporaine, la compositrice s'est éteinte le 2 juin à l'âge de 70 ans des suites d'un cancer du cerveau contre lequel elle luttait depuis plus de deux ans. Célébrée et jouée dans le monde entier, elle laisse à son catalogue, débuté en 1977, quelques 170 œuvres abordant tous les genres musicaux, avec ou sans électronique, de la pièce soliste à l'orchestre, du ballet à l'opéra.

Née à Helsinki en 1952, la jeune Kaija apprend le violon, le piano, l'orgue, la peinture et le dessin avant de se former plus sérieusement à l'Académie Sibelius dans la classe de composition du sévère Paavo Heininen. Avec ses camarades Magnus Lindberg et Esa-Pekka Salonen, qui resteront de fidèles compagnons, elle forme le groupe Korvat Auki (Ouvrez vos oreilles !). poursuit ses études à la Musikhochschule de Fribourg-en-Brisgau avec Klaus Huber et Brian Ferneyhough. Mais c'est à Darmstadt, en 1980, qu'elle trouve sa voie, suivant les cours des tenants de l'école spectrale, Tristan Murail et Gérard Grisey, qui lui révèlent un monde sonore qu'elle va désormais investir et explorer dans ses infimes qualités. Ce travail sur le timbre et l'harmonie, elle va le mener dans les locaux de l'Ircam, à Paris (où elle s'est installée) avec l'informatique et l'assistance de l'ordinateur : « J'ai en moi cette passion qui me force à pénétrer le son jusqu'en son cœur, cette substantifique moelle que je désire remanier », dit-elle en manière de credo esthétique. Ainsi forge-t-elle le concept d' « axe timbral » qui dialectise les notions de son clair (consonance) et son bruité (dissonance). Avec Nymphéa (Jardin secret III) pour quatuor à cordes et électronique, la palette instrumentale s'enrichit en termes de couleur et de timbre, et les contrastes opèrent, entre textures limpides, délicates et masses sonores violentes et incandescentes. Lichtbogen (« Arche de lumière ») pour ensemble (1985-86), où elle emploie pour la première fois l'informatique dans le cadre d'une musique purement instrumentale, est une étape importante dans le cours de ses recherches qu'elle va mener sans relâche, mue par une nécessité absolue : « Composer, disait-elle, est, pour moi, une question de vie ou de mort ».

Sensualité, raffinement, complexité, puissance… autant de termes qui peuvent approcher l'esthétique de la compositrice. Parmi la vingtaine de pièces solistes, certaines augmentées de l'électronique, ressort sa prédilection pour le violoncelle, Pétals en 1988, Près en 1992 (contemporain de son concerto pour violoncelle et électronique Amers), Spin and Spells en 1997 et Sept papillons en 2000, des partitions où l'instrument est exploré dans toutes ses potentialités timbrales et spectrales. Elles sont le plus souvent dédiées à l'interprète et ami très cher Anssi Karttunen. aime s'entourer d'interprètes fidèles avec qui elle mène une collaboration fructueuse : au côté du violoncelliste finlandais, citons la flûtiste Camille Hoitenga (Noa-Noa, 1992), la joueuse de Kantele, Rija Kankaanranta (Only the sound remains, 2016), le clarinettiste Kari Kriikku (D'Om le vrai sens, 2010), le violoniste Giddon Kremer (Graal Théâtre, 1994). En 1996, la soprano Dawn Upshaw crée Château de l'âme composé à partir de textes égyptiens et indiens antiques puis Lohn, pour voix de femme et électronique, prologue d'un projet d'opéra à venir. Ce sera L'amour de loin (2000) sur un livret d'Amin Maalouf, mis en scène par Peter Sellars. Commande du festival de Salzbourg, l'opéra, dédié à Gérard Mortier, est repris l'année suivante au Théâtre du Châtelet à Paris et contribue à la reconnaissance internationale de la compositrice. Suivront, avec les mêmes collaborateurs, Adriana mater, commande de l'Opéra de Paris, puis La Passion de Simone, sous forme d'oratorio, « chemin musical en quinze stations » relatant la courte existence de Simone Weil, avec Dawn Upshaw dans le rôle titre. Autre destin de femme, Émilie (2008) est un monodrame retraçant la vie de la marquise Emilie du Châtelet. Composé spécifiquement pour la compatriote et soprano Karita Mattila, l'ouvrage sollicite l'orchestre et une partie électronique en temps réel. Dans le quatrième opéra de Saariaho, Only the sound remains, la compositrice va à la rencontre du théâtre Nō, choisissant deux contes très connus du répertoire traditionnel japonais, Always Strong (Toujours fort) et Feather Mantle (le manteau de plumes). Créé en 2016 à Amsterdam avec le fidèle Peter Sellars, l'opéra est à l'affiche de l'Opéra Garnier en 2018 puis redonné sur le plateau du Maillon à Strasbourg dans la mise en scène d'Aleksi Barrière, le fils de la compositrice. C'est lui qui réalise la version multilingue (anglaise, française, allemande, roumaine, grecque, espagnole, tchèque, suédoise) du livret d'Innocence (2018), incitant la compositrice à intégrer pour la première fois dans son casting des acteurs, souvent aussi chanteurs. Innocence est l'ultime ouvrage lyrique de la compositrice, créé au festival d'Aix-en-Provence en 2021 sous la direction de Susanna Mälkki; c'est aussi la plus belle et la plus puissante de ses réalisations scéniques.

Pour ses 70 ans, l'édition 2022 du festival Musica rendait à Kaija Saariaho un vibrant hommage, réunissant autour de la compositrice tous ses interprètes et amis chers, Anssi Karttunen, Magnus Lindberg, Camilla Hoitenga, Rija Kankaanranta mais aussi Aliisa Neige Barrière, fille de la compositrice et magnifique violoniste, dans un concert-hommage qui résonne aujourd'hui très fort dans nos mémoires.

Crédit photographique : © Maarit Kytöharju

 

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