Plus de détails
Paris. Opéra Comique, Salle Favart. 30-V-2023. Missy Mazzoli (née en 1980) : Breaking the Waves, opéra sur un livret de Royce Vavrek, d’après le film éponyme de Lars von Trier. Mise en scène : Tom Morris. Décors et costumes : Soutra Gilmour. Lumières : Richard Howell. Vidéo / Projection designer : Will Duke. Son : Jon Nicholls. Collaboration aux mouvements : Sara Brodie. Collaboration à la mise en scène : Rosie Purdie. Assistant lumières : Ryan Joseph Stafford. Assistant vidéo : David Butler. Chefs de chant : Nicolas Chesneau & Yoan Héreau. Avec : Sydney Mancasola, Bess McNeill ; Jarrett Ott, Jan Nyman ; Wallis Giunta, Dodo McNeill ; Susan Bullock, Mother ; Elgan Llŷr Thomas, Dr Richardson ; Mathieu Dubroca, Terry ; Andrew Nolen, Councilman ; Pascal Gourgand, Sadistic Sailor ; Fabrice Foison, Young Sailor. Ensemble Aedes. Orchestre de chambre de Paris, direction musicale : Mathieu Romano
Pour sa création française, Breaking the Waves de Missy Mazzoli retrouve à l'Opéra Comique la production de Tom Morris et la superbe Bess de Sydney Mancasola vues à Édimbourg en 2019, cette fois avec le Chœur Aedes et l'Orchestre de chambre de Paris sous la direction impliquée de Mathieu Romano.
L'engouement autour de l'opéra Breaking the Waves créé en 2016 à Philadelphia d'après le film de Lars von Trier, permet une fois de plus de remarquer à quel point les ouvrages lyriques peuvent s'inspirer du cinéma pour s'adresser à un public contemporain.
Avec cette œuvre, Royce Vavrek propose un livret sur le film ayant obtenu le Grand Prix au Festival de Cannes 20 ans plus tôt, en resserrant l'action à la seule Île de Skye en Écosse. L'histoire décrit une sombre et complexe relation amoureuse entre l'Écossaise Bess et le Danois Jan, qui travaille sur une plate-forme pétrolière offshore proche de l'île. Malgré les amertumes de sa communauté, Bess se marie avec lui, mais Jan est victime d'un grave accident qui le rend presque totalement paralysé. D'infarctus en tentatives de suicide ratées, Jan reste en vie et conduit Bess à faire l'amour à d'autres hommes, donc à se prostituer pour l'exciter, jusqu'à ce qu'elle en soit dénigrée et rejetée par sa mère et sa communauté, puis se mette en danger auprès de mauvais marins dont les poignards finissent par la tuer.
Jugé misogyne par certains à sa sortie, le film est ici réadapté autour du personnage principal de Bess, dans une approche plus féministe de ses doutes et tourments, défendue aussi par la composition vocale de la compositrice Missy Mazzoli. Alors, on retrouve la superbe Sydney Mancasola, d'abord un peu en retrait face à la projection splendide du Jan de Jarrett Ott (c'était Duncan Rock en 2019), puis rapidement d'une finesse lyrique et émotionnelle apte à porter aussi magnifiquement le personnage de Bess qu'Emily Watson à l'écran. Trop vite bloqué dans son lit d'hôpital, le baryton Jarrett Ott déploie à nouveau son chant pour l'opéra contemporain et s'y montre d'une aisance particulière, notamment sur la largeur de la tessiture, sans souffrir d'une partition écrite avec fluidité et peut-être trop limitée dans la dynamique.
La même technique d'écriture marque les autres personnages, sans pouvoir totalement se détacher des opéras modernes de John Adams, ni du style (et c'est assumé par Mazzoli) de Benjamin Britten. Pour le chœur particulièrement, on retrouve alors les accents insulaires de Peter Grimes ou dans les parties d'hommes ceux de Billy Budd. Heureusement, l'équipe majoritairement reprise d'Édimbourg tient ses promesses, notamment l'acerbe Susan Bullock pour la mère. Wallis Giunta campe la sœur Dodo avec une belle vigueur, moins subtile et précise vocalement que Mancasola, mais tout aussi appliquée scéniquement, tandis que des seconds rôles se retient surtout l'humble Dr Richardson d'Elgan Llŷr Thomas, particulièrement gêné lorsque Bess se dénude devant lui pour le convier à faire l'amour.
Après James Darrah à la création, Breaking the Waves retrouve à Paris la production de Tom Morris, au moment même où Brême en propose une nouvelle de Toni Burkhardt, moins d'un an après celle de Ylva Kihlberg pour Vadstena en Suède. Signe évident du fort engouement pour la partition, ces nombreuses reprises sont cependant limitées par un livret qui, bien que focalisé sur l'héroïne comme dans les opéras de Janáček, ne trouve pas la puissance des plus grands chefs-d'œuvre du compositeur tchèque. Royce Vavrek se perd parfois dans son traitement de la communauté ou des groupes, de même qu'il laisse beaucoup trop de temps (près de quinze minutes) après la mort de Bess, qui devrait clore l'opéra, en imageant au loin son mari à nouveau debout.
De même, la partition symphonique semble avoir beaucoup plu, mais si Missy Mazzoli montre clairement ici plus de maturité que dans son premier ouvrage lyrique (Songs from the Uproar, 2012), le traitement post-minimaliste crée rapidement un sentiment de statisme dans les cordes, dont souffre notamment la seconde partie, tandis que l'orchestration des bois est souvent ramenée à quelques notes répétées, comme celles glacées et neutres du piano. À cela s'ajoutent quelques éléments kitsch, dont une guitare électrique d'où seul un moment se démarque vraiment. De même, les percussions sont finalement sollicitées surtout pour les moments de fracas, d'où se démarquent trop peu certaines idées, comme les chaînes frappées sur le gong, bien moins marquantes que les chaînes seules utilisées dès l'ouverture de De la Maison des Morts de Janáček par exemple.
Heureusement, on profite pour le chœur comme pour l'orchestre de deux très bonnes formations françaises. Si Mathieu Romano s'était déjà démarqué de l'Ensemble Aedes, il apparaît à présent comme un chef d'orchestre d'opéra impliqué et précis, à l'aise pour porter en fosse les flux et reflux de l'Orchestre de chambre de Paris, autant que pour bien calibrer le plateau. Sur scène, Tom Morris adapte toute l'histoire autour de pics de béton, qui profitent des superbes lumières de Richard Howell et des projections de Will Duke pour dessiner parfois un intérieur d'église, parfois des rocs ou les pieds de la plate-forme pétrolière. Après cette création à l'Opéra Comique, il reste à voir quelle salle sera la première en France à proposer Proving Up, du même tandem Mazzoli/Vavrek (2018), d'après une histoire de Karen Russell.
Crédits photographiques : © Stefan Brion
Plus de détails
Paris. Opéra Comique, Salle Favart. 30-V-2023. Missy Mazzoli (née en 1980) : Breaking the Waves, opéra sur un livret de Royce Vavrek, d’après le film éponyme de Lars von Trier. Mise en scène : Tom Morris. Décors et costumes : Soutra Gilmour. Lumières : Richard Howell. Vidéo / Projection designer : Will Duke. Son : Jon Nicholls. Collaboration aux mouvements : Sara Brodie. Collaboration à la mise en scène : Rosie Purdie. Assistant lumières : Ryan Joseph Stafford. Assistant vidéo : David Butler. Chefs de chant : Nicolas Chesneau & Yoan Héreau. Avec : Sydney Mancasola, Bess McNeill ; Jarrett Ott, Jan Nyman ; Wallis Giunta, Dodo McNeill ; Susan Bullock, Mother ; Elgan Llŷr Thomas, Dr Richardson ; Mathieu Dubroca, Terry ; Andrew Nolen, Councilman ; Pascal Gourgand, Sadistic Sailor ; Fabrice Foison, Young Sailor. Ensemble Aedes. Orchestre de chambre de Paris, direction musicale : Mathieu Romano