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Paris. Théâtre des Champs-Élysées. 10-III-2023. Igor Stravinsky (1882-1971) : Le Rossignol, opéra en trois actes, livret du compositeur et de Stepan Mitoussov. Francis Poulenc (1899-1963) : Les Mamelles de Tiresias, opéra-bouffe en deux actes et un prologue, livret d’après Guillaume Apollinaire. Mise en scène : Olivier Py. scénographie et costumes : Pierre-André Weitz. Lumières : Bertrand Killy. Avec : Sabine Devieilhe, le Rossignol/Thérèse-Tiresias ; Jean-Sébastien Bou, l’Empereur de Chine/le mari de Thérèse ; Cyrille Dubois, le pêcheur/premier émissaire japonais/le journaliste parisien/monsieur Lacouf ; Laurent Naouri, le chambellan/ le directeur de théâtre ; Victor Sicard , le bonze/le gendarme ; Francesco Salvadori, deuxième émissaire japonais/monsieur Presto ; Rodolphe Briand, troisième émissaire japonais/ le fils/une grosse femme ; Lucile Richardot, la Mort/ la marchande de journaux ; Chantal Santon Jeffery ; la cuisinière/une dame élégante. Ensemble Aedes, direction Mathieu Romano. Les Siècles, direction François-Xavier Roth
Avec de truculentes Mamelles de Tiresias, Olivier Py clôture sa Trilogie Francis Poulenc au Théâtre des Champs-Élysées. En première partie, Le Rossignol d'Igor Stravinsky occupe l'envers du décor…
Après Dialogue des Carmélites, créé en 2013 puis repris en 2018, Olivier Py avait en 2020, conçu un spectacle lyrique articulant La Voix humaine de Francis Poulenc et Point d'orgue de Thierry Escaich, ce dernier ouvrage pensé comme le prolongement du premier. Le Théâtre des Champs-Élysées n'ayant pu accueillir le public pour les raisons sanitaires que l'on sait, la représentation avait été captée et diffusée en 2021 sur son site. En reliant Le Rossignol (chanté en français) et Les Mamelles de Tiresias, le metteur en scène propose un nouveau couplage au demeurant incongru. D'abord parce que Le Rossignol d'après Andersen, est un conte philosophique et poétique dont l'histoire se situe dans une Chine lointaine et fantasmée, alors que Les Mamelles de Tiresias, d'après la pièce d'Apollinaire, est une fable très parisienne, extravagante et colorée, que Poulenc situe soi-disant à Zanzibar, mais en fait sur la Riviera…Dans le premier il est question de mort, dans le second de sexe, de procréation et d'émancipation.
Olivier Py les rassemblent simultanément dans un même lieu, un cabaret nommé… Zanzibar (en référence au célèbre ancien bar homosexuel de Cannes fréquenté par Apollinaire et Poulenc) : tandis que Les Mamelles de Tirésias sont données en spectacle sur la scène, un homme, l'Empereur de Chine, agonise dans les coulisses. Par rotation du décor à l'entracte, on passe de l'ambiance sombre et noire de celles-ci à celle joyeuse, saturée de couleurs primaires et de lumière pétantes du cabaret. Un triste et blafard néon blanc sans cesse vacillant côté pile contraste avec des tubes fluorescents éblouissants côté face (il nous rappelle le lustre de La Voix humaine…). En première partie, Thérèse-Tiresias est le Rossignol côté coulisse, alternant les tenues suivant qu'elle regagne la scène du cabaret, visible au niveau supérieur, ou qu'elle se fait femme-oiseau auprès de l'Empereur alité en contre-bas, dans la pénombre. Pas de mer ni de palais pour celui-ci. L'invraisemblance déconcerte : que vient faire un Empereur de Chine dans l'envers du décor d'un cabaret ? Où est passée la dimension poétique, le merveilleux du conte ? Il faut en faire abstraction. Le spectacle s'appréhende dans sa globalité. Ici les deux œuvres se rencontrent sur leurs thématiques et déteignent l'une sur l'autre. La mort personnifiée rôde de l'une à l'autre. La jonque chinoise du conte que l'on croit voir est en fait une tête de mort, l'envers de celle verte-fluo en fond de scène du cabaret. Thanatos et Éros : oublier ici le terne plumage de l'oiseau-chanteur, le rossignol-femme au bustier et aux ailes d'ange rouge-désir devient cartomancienne, femme-paon vert, meneuse de revue à la fin des Mamelles. L'érotisme traverse les deux pièces, allègre et désinhibé dans la deuxième. La femme-rossignol met dans les mains de l'Empereur un balai-serpillère en guise d'insigne, tandis que Thérèse se libérant de son rôle de ménagère, devient un Tiresias à la barbe rouge. L'oiseau mécanique du conte est remplacé par un ordinateur marqué du logo d'un réseau social réputé toucher simultanément des dizaines de milliers de personnes, tandis que le progrès scientifique permet à l'homme-mari de la fable d'engendrer sans femme des enfants par milliers en une seule fois. Les genres, la procréation assistée, des thèmes bien de notre siècle…
La circonspection du public à la fin du Rossignol est vite balayée par Les Mamelles de Tiresias pétillantes, savoureuses, hilarantes, mises en scène avec grande virtuosité par Olivier Py qui sait manier l'humour potache et le second degré de Poulenc avec un art consommé et un esprit indéniable, sans vulgarité ni lourdeur, mais sans pruderie non plus et en y mettant les « moyens »…La représentation magnifiée, exaltée des attributs féminins et masculins, des gros seins en baudruche qui volent du plateau au public, de la grande vulve décorative en tubes fluo, du sexe dressé éjaculant une mousse exagérément abondante, tout cela prête à rire de bon cœur et le public ne s'en prive pas !
Les chanteuses et chanteurs sont tous ici d'excellents comédiens. Sabine Devieilhe est à la fois le Rossignol, Thérèse-Tiresias et la cartomancienne, trois rôles qu'elle caractérise avec finesse. Le timbre de sa voix souple et voluptueuse est d'une impalpable beauté, onctueux et soyeux dans le Rossignol, et se fait brillant et fruité dans Poulenc. Elle chante avec une touchante expressivité jusqu'aux notes les plus aigües. Sexy et d'une rafraichissante drôlerie sur scène, elle séduit par sa spontanéité. Jean-Sébastien Bou, en Empereur de Chine mourant, puis surtout en mari de Thérèse, est lui aussi inénarrable. Son « il faut faire des z'enfants z'à Zanzibar » est d'un pathétique comique à souhait. Il réussit une performance scénique et vocale à la hauteur de son rôle d'homme devenant transgenre. On découvre que Cyrille Dubois, en Monsieur Lacouf, sait lever la jambe aussi haut qu'il sait chanter ! Il prête sa voix de ténor, légère et lumineuse au timbre tendre, à trois autres personnages, tour à tour pêcheur, 1er émissaire japonais et journaliste qui prend l'accent de titi parisien, parfaitement à son aise dans chacun d'eux. D'abord Chambellan, c'est en directeur de théâtre que Laurent Naouri impressionne par son talent de chanteur et de comédien : la diction impeccable, le mot ciselé d'une voix qui a gardé intact son timbre et sa verdeur, son prologue et ses autres interventions où il se fait aussi remarquer en danseur souple et aérien sont de grands moments de la soirée. Victor Sicard passe du bonze au gendarme, dans une incarnation qui ne manque pas sel, scéniquement comme vocalement (timbre bien sonore à la couleur corsée), tombant sa veste d'uniforme pour se transformer en partenaire sexuel, son thorax et ses bras nus accoutrés d'accessoires en cuir noir. Rodolphe Briand s'amuse à moduler le timbre de sa voix, acteur et chanteur désopilant, travesti en grosse dame décomplexée les (faux) seins à l'air, ou en lapin-fils impertinent. Francesco Salvadori (émissaire japonais, puis Monsieur Presto), Lucile Richardot (la Mort et la marchande de journaux), et Chantal Santon Jeffery (la cuisinière et la dame élégante) sont tout aussi remarquables et subtils dans leurs courtes interventions vocales.
Les choristes de l'ensemble Aedes répartis dans les balcons et sur scène, sont les spectateurs très impliqués de la représentation. Le chant unifié et puissant, ils en imposent par leur présence tout au long de la soirée. François-Xavier Roth et son orchestre Les Siècles jouant sur instruments d'époque, livrent une interprétation très sensible du Rossignol, soulignant avec tact les dissonances de la partition. Celle qu'ils donnent des Mamelles, est vive, enlevée, pimentée, colorée, et colle parfaitement à la scénographie présentée, haute en couleurs.
La complicité générale qui unit l'ensemble des musiciens, la fantaisie débridée de ce spectacle réglé (presque) au millimètre par Olivier Py, contribuent à sa réussite et à l'impression générale laissée.
Crédit photographique © Vincent Pontet
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Paris. Théâtre des Champs-Élysées. 10-III-2023. Igor Stravinsky (1882-1971) : Le Rossignol, opéra en trois actes, livret du compositeur et de Stepan Mitoussov. Francis Poulenc (1899-1963) : Les Mamelles de Tiresias, opéra-bouffe en deux actes et un prologue, livret d’après Guillaume Apollinaire. Mise en scène : Olivier Py. scénographie et costumes : Pierre-André Weitz. Lumières : Bertrand Killy. Avec : Sabine Devieilhe, le Rossignol/Thérèse-Tiresias ; Jean-Sébastien Bou, l’Empereur de Chine/le mari de Thérèse ; Cyrille Dubois, le pêcheur/premier émissaire japonais/le journaliste parisien/monsieur Lacouf ; Laurent Naouri, le chambellan/ le directeur de théâtre ; Victor Sicard , le bonze/le gendarme ; Francesco Salvadori, deuxième émissaire japonais/monsieur Presto ; Rodolphe Briand, troisième émissaire japonais/ le fils/une grosse femme ; Lucile Richardot, la Mort/ la marchande de journaux ; Chantal Santon Jeffery ; la cuisinière/une dame élégante. Ensemble Aedes, direction Mathieu Romano. Les Siècles, direction François-Xavier Roth