Comédies musicales, La Scène

Alagna aux Folies Bergère, ou les charmes du cross-over

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Paris. Folies Bergère. 2-II-2023. Jean-Félix Lalanne (né en 1962) : Al Capone, « musical » en deux actes. Dialogue et « lyrics » de Jean-Félix Lalanne. Mise en scène : Jean-Louis Grinda. Décors : Éric Chevalier. Costumes : David Beligou. Lumières : Laurent Castaingt. Chorégraphie : Caroline Roëlands. Avec : Roberto Alagna, Al Capone ; Anggun, Lili ; Bruno Pelletier, Eliot Ness ; Kaïna Blada, Rita Capone ; Thomas Boissy, Franck Capone. Chanteuses/danseuses et chanteurs/danseurs. Ensemble de musiciens, direction : Philippe Gouadin

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Dans un environnement où l'on ne l'attendait pas, se risque à l'univers de la comédie musicale. Une nouvelle corde à l'arc du grand chanteur, entouré de partenaires qui font tous preuve du plus grand professionnalisme.


Dans un pays où l'on n'a jamais vraiment prisé le mélange des genres, certains pourraient décider de bouder une production qui mise sur la réunion d'un des plus grands ténors classiques et de vedettes du rock et de la musique dite populaire. Ils auraient tort, et cela pour plusieurs raisons. D'une part la trame du livret, également due au compositeur , fonctionne admirablement bien. Puisant dans une thématique vieille comme le monde, celle de l'amour interdit en raison d'inimitiés familiales, il narre les amours contrariées de Rita Capone, déchirée entre d'un côté sa loyauté pour son grand frère et protecteur Al, et de l'autre ses sentiments pour le policier Eliot Ness. Problème, ce dernier a juré d'avoir coûte que coûte la peau du célèbre gangster de Chicago. Drame cornélien s'il en est, qui brode autour de l'intrigue connue de tous de Roméo et Juliette, déjà reprise dans cet autre musical qu'est West Side Story. Le spectacle met ainsi en scène deux personnages masculins plutôt fascinants, le redoutable bandit romantique au grand cœur – du moins dans cette fiction – et le flic justicier un rien psychorigide qui découvre les délices de l'amour. La rencontre au tableau final de ces deux géants constitue le point culminant du drame, la ligne de fuite attendue du public, un choc des Titans comme le cinéma populaire en raffole. Le contexte des années 1930, par ailleurs, fournit au compositeur-auteur l'occasion de recourir sur le plan musical à toutes formes de charleston, boogie-woogie et autres rythmes jazzy qui forcément font mouche. Les admirateurs et connaisseurs de reconnaitront par ailleurs quelques éléments biographiques associés à la vie du grand chanteur : sa fascination pour l'Amérique des années folles, déjà évoquée dans son bel hommage à Enrico Caruso, mais également des éléments plus personnels dont les rapports d'Al Capone avec sa fratrie pourraient être le reflet. La musique de s'inscrit dans la grande tradition de la comédie musicale populaire, et l'on ne serait nullement étonné que le spectacle soit repris un jour ou l'autre de l'autre côté de la Manche ou de l'Atlantique. Le thème, en tout cas, a tout pour charmer le public anglo-saxon.


La mise en scène de respecte elle aussi les lois du genre. Décors réalistes et variés, costumes d'époque, direction d'acteurs précise et efficace, chorégraphies conventionnelles mais bien huilées. L'orchestre, installé en fond de scène au sommet du décor, est visible du spectateur, ce qui est particulièrement pertinent pour les scènes situées au « Lili's bar » de Chicago. Les différents chanteurs et danseurs réunis pour cette production font tous preuve d'un professionnalisme à toute épreuve, et aucun maillon faible ne vient ternir le paysage. On signalera la belle prestation de dans le rôle du frère d'Al Capone, Franck, personnage rongé par la jalousie et le manque de reconnaissance d'un frère dont il a du mal à supporter la supériorité. Très convaincante aussi, et très bien chantante, la jeune en Rita, la Juliette de cette transposition, belle incarnation de l'amour contrarié et de l'innocence bafouée. Plus sensuelle dans le rôle de Lili, la chanteuse d'origine indonésienne incarne idéalement son personnage de femme fatale, sincèrement amoureuse de son Al dont elle ne cesse de réclamer davantage d'attentions. Le plateau n'en reste pas moins dominé par les deux protagonistes masculins, dont l'affrontement dans le récit de l'intrigue est quasiment dupliqué sur le plan de la performance scénique et vocale. Hors micros, ne ferait forcément qu'une bouchée de son collègue . Ce dernier fait cependant valoir une réelle voix de ténor riche et bien timbrée, et en termes de coloration et d'inflexions vocales ses capacités sont loin d'être inférieures à celles d'Alagna. Intéressante confrontation que celle d'un chanteur lyrique aux moyens imposants et dans ce contexte précis presque surdimensionnés, et d'un artiste issu du rock et de la musique pop dont les qualités de diseur montrent davantage de finesse et de nuances que celles du grand ténor. Autant dire que les admirateurs de Roberto Alagna risquent d'être quelque peu déçus, ce dernier ne se détachant pas du reste de ses collègues de manière particulièrement marquante, sauf peut-être par une certaine gaucherie scénique en début de soirée. Une belle preuve de professionnalisme en tout cas, et une nouvelle corde à l'arc d'un immense artiste qui, pour pouvoir réaliser un de ses rêves, aura renoncé à un engagement qui sans doute eût été plus routinier.

Crédit photographique : © Laura Gilli

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