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Semyon Bychkov et l’Orchestre Philharmonique tchèque jouent Chostakovitch

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Paris. Philharmonie. Grande Salle Pierre Boulez. 17-X-2022. Joseph Haydn (1732-1809 : Concerto pour violoncelle n° 1 en ut ; Dimitri Chostakovitch (1906-1975) : Symphonie n° 11 en sol mineur op. 103, dite « 1905 ». Gautier Capuçon, violoncelle. Orchestre Philharmonique tchèque, direction Semyon Bychkov

De passage à Paris à l’occasion de sa tournée européenne pour deux concerts, l’Orchestre Philharmonique tchèque sous la conduite de son directeur musical Semyon Bychkov livre une interprétation vibrante et sans concession de la Symphonie n° 11 de Dimitri Chostakovitch, précédée en première partie du Concerto pour violoncelle n° 1 de Joseph Haydn interprété par Gautier Capuçon.

Longtemps méconnu, redécouvert en 1961 dans le fonds Radenin du Musée National de Prague, composé entre 1765 et 1769, le Concerto pour violoncelle n° 1 de Joseph Haydn est devenu rapidement une pièce incontournable du répertoire pour violoncelle par son caractère lumineux, très mélodique et virtuose. Comme, hélas, à son habitude Gautier Capuçon en donne une interprétation virtuose, superficielle et maniérée au point de frôler par instant le mauvais gout par ses effets attendus et accrocheurs. Le premier mouvement Moderato met immédiatement en avant la magnifique sonorité du Matteo Gofriller de 1701 dit « L’Ambassadeur » du soliste ainsi que l’ambiance joyeuse et ludique qui gagne rapidement l’orchestre. On apprécie le discret et pertinent accompagnement ciselé des cordes, l’entrainant cantabile du phrasé, la richesse en couleurs du jeu de Gautier Capuçon mais on en déplore le maniérisme outrancier et la grossièreté des effets. Le second mouvement Adagio est porté par un joli legato de cordes et du soliste dans une cantilène qui développe peu cependant d’émotion. Le troisième mouvement Allegro molto d’une éblouissante virtuosité, mais constamment surjoué, plonge rapidement dans un nombrilisme d’un gout douteux… Un Prélude pour 2 violons et piano de Chostakovitch, arrangé pour violoncelles conclut la première partie sur une note plus apaisée.

Après ce « bis » plein d’à-propos, la seconde partie est toute entière dévolue à Chostakovitch.

Symphonie de sang, de feu et de mort, la Symphonie n° 11, qui porte encore en elle les réminiscences de l’insurrection hongroise de 1956 car composée en 1957, occupe une place particulière dans le corpus symphonique de Chostakovitch par son caractère éminemment narratif qui commémore les journées révolutionnaires de janvier 1905 et la sévère répression qui s’ensuivit par les troupes tsaristes. Cette symphonie, véritable film sans paroles, valut en 1958 au compositeur l’obtention du Prix Lenine et une certaine réhabilitation par le pouvoir soviétique. Au-delà de cet épisode historique sanglant et dramatique, Chostakovitch donna plus tard une valeur plus universelle à cette partition en affirmant que la répétition des injustices conduit immanquablement à la réitération de la violence…Une affirmation riche d’échos dans notre époque actuelle…

Semyon Bychkov connait, à l’instar des chef russes, son Chostakovitch sur le bout des doigts et cette symphonie en particulier qu’il a enregistrée à deux reprises (en 1988 avec Berlin et en 2001 avec la radio de Cologne) aussi nous en livre-t-il ce soir une interprétation qui s’inscrit dans la droite ligne des grandes lectures russes, dans des approches différentes, de Mravinski, Kondrachin ou Gergiev : haletante, fracturée, âpre et douloureuse.

Le premier mouvement « Palais d’hiver » installe le cadre de ce dimanche sanglant du 9 janvier 1905 où les troupes tsaristes réprimèrent sévèrement une manifestation pacifique d’ouvriers sur la Palace du Palais d’hiver à Saint-Pétersbourg. Dans un statisme sépulcral annoncé par des notes isolées de la harpe, se développe un long climat lugubre et oppressant sur un tapis de cordes dont on savoure le sublime legato, juste troublé par quelques notes sourdes de timbales scandées sur un tempo très lent, chargé d’attente et de menaces (trompette) ; puis le phrasé peu à peu s’anime figurant les mouvements de la foule réunie autour de chants populaires révolutionnaires (Ecoute et le Convict) au son des différents pupitres de l’orchestre (cuivres, petite harmonie). On apprécie d’emblée la précision et la retenue de la direction de Semyon Bychkov, l’organisation des plans sonores, la transparence de la texture orchestrale qui fait la part belle aux performances solistiques superlatives de l’orchestre praguois.

Le second mouvement, « le 9 janvier », déroule l’action et la révolte qui gronde aux sons de contrebasses rugissantes. Tout imprégné d’urgence et de fureur, l’orchestre se déchaine sous la battue d’une parfaite lisibilité de Semyon Bychkov dans un phrasé haletant, chaotique, épique, tendu et très narratif menant à un crescendo monumental, tandis que la caisse claire véhémente et les percussions éclatantes simulent les rafales répétées des mitraillettes et la violence de la bataille, à laquelle succède bientôt un émouvant épisode de désolation fait d’une musique désincarnée entretenue par le chant lugubre de la trompette et quelques notes égrenées du célesta.

Le troisième mouvement, « Mémoire éternelle », commémore la mémoire des victimes sur la mélodie d’un chant de deuil révolutionnaire (« Vous êtes tombés victimes d’un combat fatal ») porté par un magnifique pupitre d’altos au lyrisme contenu, chargé d’une émotion à faire pleurer les pierres sur un fond de pizzicati des cordes graves (violoncelles et contrebasses).

Le quatrième mouvement symbolisé par « Le Tocsin » fait état de la colère faisant suite au massacre en débutant par un nouveau chant révolutionnaire (« Enragez tyrans ») sur lequel s’affrontent les masses sonores des différents pupitres (cordes, timbales, contrebasses, petite harmonie, clarinette basse et fanfares de cuivres) dans une coda épique et cataclysmique scandée par les cloches, au sein de laquelle s’élève comme un renouveau d’humanité la complainte douloureuse et solitaire du cor anglais…Sublime !

Crédit photographique : © Petra Hajska

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