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Renée Fleming à Bordeaux : le rêve, encore et toujours

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Bordeaux. Opéra national de Bordeaux. 9-IV-2022. Mélodies de Gabriel Fauré (1845-1924) et Edvard Grieg (1843-1907) et extraits d’œuvres de Georg Friedrich Haendel (1685-1759), Jules Massenet (1842-1912), Erich Wolfgang Korngold (1897-1957), Richard Strauss (1864-1949), Nico Muhly (né en 1981) et Kevin Puts (né en 1972). Renée Fleming, soprano. Hartmut Höll, piano

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Deux jours après un gala organisé en son honneur par l'Opéra de Paris, fait une halte à Bordeaux pour un récital dont le programme, très largement inspiré par son dernier enregistrement « Voix de la nature : L'Anthropocène », est le prétexte d'une balade entre mélodies françaises et romantiques, souvenirs straussiens et création contemporaine. Le temps de nous rappeler qu'elle a encore beaucoup de choses à nous dire .

Portant les robes Chanel du Gala parisien, apparaît détendue sur la scène de l'Opéra de Bordeaux dont l'acoustique et l'intimisme lui permettent de ne pas trop forcer sur la projection qui peut parfois lui faire défaut aujourd'hui dans de très grandes salles.

Car cela fait plus de 30 ans que chante et nous émerveille et il n'est pas lui faire injure de dire que l'agilité vocale n'est plus la même et que les aigus sont parfois plus tendus notamment dans les extraits de la Sémélé de Haendel qui ouvrent le programme avec un paradoxal alliage de précaution et de maniérisme.

Pourtant ce vilain temps qui passe n'emporte pas tout car il reste ce timbre d'une incomparable beauté, qui aura fait couler tant d'encre pour parvenir à en décrire les moindres reflets et les irisations. Il reste ce legato et ce phrasé singulier qui ont fait sa renommée. Il reste l'onctuosité et le velours. Il reste l'essentiel de ce qui fait de Renée Fleming une immense musicienne.

C'est avec le Endless Space de que l'on s'en rend compte. De longue phrase ondulantes, des tonalités parfois jazzy et une certaine épure nous permettent ici de savourer les moirures de ce timbre unique tout au long de cette partition de huit minutes que l'on ne voit pas passer. Dédicataire de nombreuses pièces contemporaines (de Dutilleux ou Previn par exemple), la soprano a une passion pour la création contemporaine et reste très à l'écoute des jeunes compositeurs qu'elle semble inspirer et qui écrivent pour sa voix. Ainsi qui vient de présenter son adaptation opératique de The Hours, dans laquelle Renée Fleming reprend le rôle de Meryl Streep, est ici présent avec son Evening aux grandes envolées lyriques qui là encore sont parfaitement adaptées à cette voix qui déroule toute son onctueux tapis sonore.

La soprano avait abordé la mélodie française avec Jean-Yves Thibaudet en 2001. Celles de gagnent ici en intelligibilité. L'interprétation, assez magistrale, contient le lyrisme pour mieux travailler les couleurs et une forme de simplicité d'approche pour Rêve d'amour et une intériorité sombre qui fait notamment des merveilles dans Prison et dans Les berceaux, d'une intensité rare et bouleversante.

L'évocation judicieuse de Thaïs de Massenet nous rappelle qu'elle avait gravé le rôle avec l'orchestre de l'Opéra de Bordeaux dans un enregistrement de référence. L'air choisi n'est pas le plus simple à défendre mais qu'importe, on admire la prosodie de la soprano et l'on retrouve la douceur et le velours capiteux de ses débuts.

Avec on se tourne vers une musique plus populaire et romantique. Renée Fleming les aborde avec une désarmante simplicité. Le débit de Lauf der Welt est crânement assumé et la soprano semble beaucoup s'amuser de la légèreté de la partition. Zur Rosenzeit et Ein Traume la trouve à son meilleur et l'on admire la pureté et l'égalité parfaite de l'émission, la richesse des graves et du médium.

En fin de programme, elle revient à un répertoire qui a fait sa renommée mondiale avec Korngold et . L'air de Marietta extrait de La ville morte de Korngold qu'elle a contribué à rendre célèbre expose malheureusement aujourd'hui une ligne de chant qui se dérobe parfois dans des aigus très tendus et qu'elle est obligée d'aller chercher loin. Pourtant, la richesse du timbre confère toujours une splendeur sonore à ce morceau et l'intelligence musicale et l'élégance de Renée Fleming ne cessent de nous stupéfier. De fait la charge émotionnelle reste intacte et impose un silence religieux à une salle conquise.

Après un Muttertändelei de Strauss tout en fantaisie, le programme s'achève sur le fameux Cacilie, opulent et irradiant, où la soprano parvient, comme un défi au temps, à tenir la note finale pendant de longues secondes, mettant la salle à genoux. Les bravi fusent, la standing ovation est plus que méritée pour cette musicienne hors pair qui offre trois bis très rebattus (O mio babbino caro de Puccini, Summertime de Gershwin et l'Ave Maria de Schubert) mais qui font les délices du public.

connaît bien Renée Fleming dont il est un fidèle accompagnateur. Il s'adapte à la variété des répertoires avec une confondante agilité. Après des Haendel qui laissent transparaitre une certaine fébrilité, il offre beaucoup de clarté et de fluidité dans le répertoire contemporain et de superbes couleurs et une grande délicatesse dans le toucher pour la mélodie française et allemande. De fait la complicité des deux artistes contribue grandement à la réussite de la soirée.

À la fin du récital, la diva nous interpelle ; soulignant la beauté des lieux, elle déclare adorer chanter ici avant de lancer : « l'acoustique est fabuleuse n'est-ce pas ? » et quelques spectateurs de répondre « et la voix surtout ! ». Tout est dit. Renée Fleming fait partie de ces artistes qui ont marqué de leur empreinte indélébile tout un répertoire et une génération de lyricomanes qui la retrouve à chaque fois émus. À l'entendre ce soir, on se dit que les répertoires sont vastes et que le rêve peut encore continuer…

Crédit photographique : © Andrew Eccles

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Bordeaux. Opéra national de Bordeaux. 9-IV-2022. Mélodies de Gabriel Fauré (1845-1924) et Edvard Grieg (1843-1907) et extraits d’œuvres de Georg Friedrich Haendel (1685-1759), Jules Massenet (1842-1912), Erich Wolfgang Korngold (1897-1957), Richard Strauss (1864-1949), Nico Muhly (né en 1981) et Kevin Puts (né en 1972). Renée Fleming, soprano. Hartmut Höll, piano

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