Everybody : tous les corps au Carreau du Temple

Du corps triomphant aux corps empêchés, tous les corps ont droit de cité dans le nouveau festival Everybody au Carreau du Temple. Une façon de changer le regard sur la danse.

Dimanche après-midi, le Carreau du Temple est en surchauffe à l'approche du Ball Voguing, animé par Lasseindra Ninja, une papesse du genre. Cette culture très populaire aux États-Unis s'est développée dans la communauté LGBT de New York avant d'essaimer en Europe. Sur une musique de club, elle réunit amateurs du monde entier pour des shows compétitifs extravagants. Réunis en « maisons », House of West, House of Gucci, House of Balenciaga, etc… les supporters des concurrents accompagnent leurs champions d'encouragements très codifiés : claquements de doigts, interjections, acclamations et dégainent leurs portables pour filmer les prestations, plus ou moins virtuoses de ces performers logotisés.

Chaque look, chaque corps est disséqué, observé, scruté, envié par un public bon enfant et bruyant, avide de sensations. Bad Boys ou satin rose, body ultra moulant ou harnais, plus c'est kitsch mieux ça passe. Corps parfait de garçons qui posent comme des mannequins ou formes très plantureuses de performeuses au look R&B, tous les genres et tous les styles défilent avec une haute dose de narcissisme. Le show est autant sur le dancefloor que dans la salle, disposée en un long couloir comme pour un défilé de mode. Au bout, un jury décerne des dix doigts des prix pour chaque catégorie, avec un sextoy en cadeau bonus.

Galerie du paraître ou cour des miracles, on se prend au jeu de la compétition, désignant son préféré, critiquant le look, la danse ou les deux. L'exigence chorégraphique est un peu absente de ce bal débridé et les critères d'appréciation artistique restent subjectifs. Performers et public, appelés alors à s'élancer librement sur le dancefloor, mettent le feu à la salle, survoltée et totalement décomplexée.

Le lendemain sous les néons blafards d'une des salles du sous-sol du Carreau du Temple, la présence intense de Chiara Bersani nous surprend dans Seeking Unicorns. Cette personne de très petite taille, au corps déformé, livre une fascinante démonstration qu'un corps peut toujours s'exprimer. Au rythme d'un escargot, elle évolue à l'aide de ses deux bras surpuissants, battant à intervalles réguliers ses jambes tendues derrière elle, altière comme une sirène. Regard intense, elle fixe le public au fil de son lent déplacement, émettant des vocalises discrètes sur une bande-son de plus en plus puissante. Elle prend littéralement possession de l'espace dont elle embrasse chaque centimètre carré. C'est saisissant !

Crédits photographiques : Ball Voguing © Le Marais Mood ; Seeking Unicorns © Aivars Ivbulis