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Strasbourg. Opéra national du Rhin. 2-XII-2021. Georges Bizet (1838-1875) : Carmen, opéra-comique en quatre actes sur un livret d’Henri Meilhac et Ludovic Halévy, d’après la nouvelle de Prosper Mérimée. Mise en scène : Jean-François Sivadier. Décors : Alexandre de Dardel. Costumes : Virginie Gervaise Lumières : Philippe Berthomé. Chorégraphie : Johanne Saunier. Avec : Stéphanie d´Oustrac, Carmen ; Edgaras Montvidas, Don José ; Amina Edris, Micaëla ; Régis Mengus, Escamillo ; Guilhem Worms, Zuniga ; Judith Fa, Frasquita ; Séraphine Cotrez, Mercédès ; Anas Séguin, Moralès ; Christophe Gay, le Dancaïre ; Raphaël Brémard, le Remendado ; Yanis Skouta, Lillas Pastia. Chœur de l’Opéra national du Rhin (Chef de chœur : Alessandro Zuppardo), Maîtrise de l’Opéra national du Rhin (Chef de chœur : Luciano Bibiloni), Orchestre symphonique de Mulhouse, direction : Marta Gardolińska
Onze ans après leur production initiale à Lille, Jean-François Sivadier et Stéphanie d´Oustrac présentent à nouveau leur vision de Carmen à l'Opéra national du Rhin.
On retrouve dans cette mise en scène de Jean-François Sivadier les éléments caractéristiques de son langage, qui fait la part belle à l'artifice théâtral et a fait le succès de son Don Giovanni à Aix-en-Provence puis Nancy ou de sa Madama Butterfly déjà lilloise et abondamment reprise, notamment à Nancy ou Luxembourg. A nouveau, le décor d'Alexandre de Dardel opte pour le dépouillement. Le plateau largement ouvert, recouvert d'un plancher de bois, n'est animé que par quelques éléments significatifs : structures isolées de façade pour la manufacture des cigarières ou de portes pour la taverne de Lillas Pastia, l'habit de toréro d'Escamillo suspendu aux cintres dès le début du spectacle, les ballots des contrebandiers qui en descendent à l'Acte III, un rideau mobile et bien sûr une arène qui occupe tout le fond de scène. Les costumes sans âge défini mais très variés de Virginie Gervaise et les lumières à base d'ampoules mouvantes et de spots lumineux de Philippe Berthomé contribuent également à soutenir l'intérêt.
Cette toute relative simplicité scénographique concentre l'attention sur la direction d'acteur particulièrement soignée et aboutie. Là encore, les déambulations des figurants sur le plateau à rideau ouvert dès avant le début du spectacle ou durant l'entracte, les entrées par la salle, l'habillement à vue d'Escamillo rappellent que l'on est au théâtre. Sans espagnolade de pacotille, sans pathos exacerbé, Jean-François Sivadier révèle les psychologies, explicite les comportements avec naturel jusqu'au réalisme glaçant de l'étranglement final de Carmen par Don José contre la paroi du toril. Sans aucun temps mort puisque l'ouverture et les interludes font l'objet de pantomimes, dans une montée progressive de la tragédie, Jean François Sivadier s'autorise même de purs moments de farce avec les personnages du Dancaïre ou du Remendado et des numéros de comédie musicale chorégraphiés par Johanne Sauner. Quant au chœur, il en fait un acteur à part entière, participant à l'action.
Depuis sa prise de rôle remarquée dans cette même mise en scène en 2010, Stéphanie d´Oustrac a chanté le rôle de Carmen sur de nombreuses scènes comme à Aix-en-Provence en 2017. Sur le strict plan vocal, le rôle n'est peut-être pas le mieux adapté à sa vocalité ; le registre grave sonne un peu éteint (mais par bonheur sans être outrageusement poitriné), l'aigu à pleine voix est parfois durci. Mais elle y est mémorable de vérité et de crédibilité. A rebours des séductrices immorales qui ont contribué au XIXe siècle au caractère sulfureux de l'œuvre, elle est sans outrance une femme moderne, libre de ses choix et qui affirme son émancipation. Son charisme sur scène, sa clarté de prononciation, sa réactivité au texte emportent définitivement l'adhésion. Le Don José d'Edgaras Montvidas est tout aussi remarquable. Dès son Werther nancéen, on avait été frappé par sa capacité à passer en une seconde de la douceur la plus tendre à la colère la plus violente. Cette aptitude trouve ici pleinement à s'exercer. Il évolue magnifiquement de l'amoureux naïf du début aux nuances subtiles (il donne en voix de tête le contre-si bémol pianissimo voulu par Bizet qui conclut son air « La fleur que tu m'avais jetée ») vers le criminel fou de jalousie du dernier acte avec une scène finale aux aigus tranchants et à l'intensité sidérante.
Dans le rôle de Micaëla, Amina Edris affirme aussi avec talent un caractère bien trempé, loin des oies blanches habituelles, grâce à un timbre plutôt corsé, à sa puissante projection et à sa remarquable homogénéité des registres. L'Escamillo de Régis Mengus fait plus pâle figure avec ses aigus manquant d'éclat et son déficit de prestance scénique en dépit d'une prononciation là aussi parfaitement intelligible. Dans le reste de la distribution, on notera l'excellent et très impliqué Moralès d'Anas Séguin, le somptueux timbre cuivré de Séraphine Cotrez en Mercédès, la Frasquita aux aigus un peu trop vociférants de Judith Fa et le numéro comique plutôt réussi de Christophe Gay en Dancaïre secondé par Raphaël Brémard en Remendado.
D'une battue précise, nette et bien marquée rythmiquement, la toute jeune et frêle Marta Gardolińska (depuis janvier dernier à la tête de l'Orchestre de l'Opéra national de Lorraine) conduit avec brio l'Orchestre symphonique de Mulhouse. Dès le prélude de l'Acte I, ce « magnifique tapage de cirque » selon Nietzsche, elle assure avec l'orchestre le brillant et l'allant nécessaires, sans excès de clinquant toutefois. Elle maintient tout au long de la soirée une impeccable cohésion de ses troupes musicales et vocales avec des contrastes nettement marqués d'intensité ou de tempo (une Habanera suspendue, un début lentissimo de la chanson bohême « Les tringles des sistres tintaient », ou encore l'atmosphère nocturne du troisième acte parfaitement réalisée). Très sollicité, le Chœur de l´Opéra national du Rhin, se montre très subtil et nuancé pour son versant masculin, plus dur dans l'aigu et moins homogène du côté des voix féminines. Très bien préparés par Luciano Bibiloni, les enfants de la Maîtrise de l´Opéra national du Rhin sont parfaits tant dans leur implication scénique que dans leur justesse vocale. On regrette en conséquence que leur chœur de la « Garde montante » ne soit pas repris une seconde fois.
Crédits photographiques : Stéphanie d'Oustrac (Carmen), Edgaras Montvidas (Don José) © Klara Beck
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Strasbourg. Opéra national du Rhin. 2-XII-2021. Georges Bizet (1838-1875) : Carmen, opéra-comique en quatre actes sur un livret d’Henri Meilhac et Ludovic Halévy, d’après la nouvelle de Prosper Mérimée. Mise en scène : Jean-François Sivadier. Décors : Alexandre de Dardel. Costumes : Virginie Gervaise Lumières : Philippe Berthomé. Chorégraphie : Johanne Saunier. Avec : Stéphanie d´Oustrac, Carmen ; Edgaras Montvidas, Don José ; Amina Edris, Micaëla ; Régis Mengus, Escamillo ; Guilhem Worms, Zuniga ; Judith Fa, Frasquita ; Séraphine Cotrez, Mercédès ; Anas Séguin, Moralès ; Christophe Gay, le Dancaïre ; Raphaël Brémard, le Remendado ; Yanis Skouta, Lillas Pastia. Chœur de l’Opéra national du Rhin (Chef de chœur : Alessandro Zuppardo), Maîtrise de l’Opéra national du Rhin (Chef de chœur : Luciano Bibiloni), Orchestre symphonique de Mulhouse, direction : Marta Gardolińska