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Les organologues sont assez d’accords sur les faits suivants : le violon ou son prototype apparaît au début du XVIe siècle et est utilisé presque uniquement par les pauvres, les plus aisés jouant eux sur des instruments à cordes tels que les violes ou le luth. Cela soulève une question importante : pourquoi au début du XVIe siècle, le violon, invention su géniale autant sur le plan scientifique que musical, est si mal considéré et doit attendre un siècle pour être enfin utilisé en musique savante ? Pour accéder au dossier complet : Petites histoires du violon
Si nous avons étudié les sensations et les sentiments que peuvent provoquer le violon dans l’inconscient collectif, notamment par rapport à la sexualité et au sacré, nous trouvons également nombre de liens entre l’instrument et la mort, ce nouvel aspect peuplé de cadavres risquant plus particulièrement de choquer.
Une légende arabe raconte la création du oud (luth) : un père trouva son fils pendu à un arbre, il découpa une de ses jambes. De sa cuisse, il fit le corps de l’instrument, du tibia le manche, les orteils devinrent les clés (les chevilles pour tendre les cordes). Certains produits entrant dans la fabrication du violon évoquent directement cette idée : les cordes en boyau de mouton, la colle à base d’os et de nerf de bœufs.
Nous avons déjà souligné l’analogie entre la forme du violon et celle du corps humain. Mais il s’agit d’un corps dans un état particulier : Le haut et le bas terminé par les coins ressemblent à deux crânes (cette image a souvent été reprise dans l’iconographie), la poignée et le pied de manche à un os, les voûtes à un ventre gonflé et le vernis à l’aspect humide, coloré et organique des fluides de la décomposition. Il semble que l’objet-violon, d’origine végétale (bois, gomme et huiles) rende l’impression d’être issu du règne animal, et ce à l’état qui nous touche le plus violemment, celui d’une charogne. Enfin, il est un élément qui parfait cette métamorphose, et qui est le signe indubitable que nous sommes en présence d’un être animé, même mort : c’est le son.
Le mythe grec de l’invention de la lyre par le dieu Hermès nous éclaire encore plus : La légende veut que celui-ci trouve une tortue à l’entrée d’une caverne. Il la tua, pris sa carapace, tendit dessus des intestins et des boyaux de bœufs pour faire la table et les cordes. Ce qui fascina les Dieux ne fut pas tant la musique produite, ni même le son en tant que tel, mais bel et bien l’objet lui-même : un cadavre répugnant, les viscères apparentes, la mort en somme, pouvait produire une matière vivante : le son.
Il existe un objet qui illustre particulièrement les rapports entre le sacré, la magie, la sexualité, la mort, l’animal et le son : le rhombe, appelé « churinga » en Australie (c’est le terme le plus souvent utilisé en anthropologie), on le trouve un peu partout dans diverses civilisations. Il s’agit de morceaux de bois, de pierre ou d’os de forme oblongue explicitement phallique, percé à une extrémité, dans laquelle passe une cordelette. En le faisant tournoyer, celui-ci produit un son. Dans le totémisme, il occupe une place centrale : il est « l’âme du clan », à la fois celle de l’animal totem gravé, et des ancêtres. Il inspire crainte et respect (le tabou). S’il peut être considéré comme instrument de musique ou objet sonore, là n’est pas sa fonction. Un son n’est pas un effet de l’objet et du geste. C’est le contraire. C’est la voix des ancêtres, morts humains et animaux qui les animent ?
Les représentations, symboles et mythes recelés par cet « objet sacré primordial » se retrouvent dans tous les instruments de musique et font écho à notre appréciation de ceux-ci.
Le fait que nous retrouvions dans le violon une dimension animale et mortuaire s’explique par la psychologie de l’évolution. Notre cerveau s’étant construit pour répondre aux impératifs de vie de nos ancêtres préhistoriques, certains systèmes cognitifs continuent d’être activés même si les modes de vie changent. Par exemple, les progrès de la civilisation font qu’il n’est plus nécessaire à l’Humanité de craindre à l’excès les foyers d’infection, vecteurs de maladie et de mort, mais ils continuent pourtant d’exercer la même répulsion. C’est ce genre de sensations, d’émotions, que l’homme cultive dans des activités sans fonctions biologiques, comme l’art, la religion ou la magie. Aussi retrouvons-nous dans la plupart des objets d’art ou magico-rituels les instruments de musique, se situant souvent entre les deux les notions de sexualité et de décomposition intimement mêlées.
Pour conclure cet article, quelques strophes de Baudelaire qui nous semblent illustrer notre propos : Une charogne.
« Les jambes en l’air comme une femme lubrique.
Brûlante et suant les poisons,
Ouvrait d’une façon nonchalante et cynique
Son ventre plein d’exhalaisons
[…]
Et ce monde rendait une étrange musique,
Comme l’eau courante et le vent
Ou le grain qu’un vanneur, d’un mouvement rythmique
Agite et tourne dans son van. »
Sources :
Steven Pinker : Comment fonctionne l’esprit. Édition Odile Jacob, 2000
Robert Wright : l’animal moral. Édition Michalon, 1995
Émile Durkein : Les formes élémentaires de la vie religieuse. 1912
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